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Comment résoudre le problème de la malhonnêteté universitaire?

Les étudiants peuvent acheter des travaux plus facilement que jamais. En attendant que les universités puissent éradiquer ce type de tricherie, les professeurs font de la prévention.

par EMILY BARON CADLOFF | 04 AVRIL 18

Comment composer avec une tricherie sans savoir si elle s’est vraiment produite? Il s’agit d’une question importante pour les universités du pays, car il est de plus en plus facile pour les étudiants d’acheter des dissertations entières et rédigées sur demande par l’intermédiaire de services en ligne ou de babillards, et de les soumettre en leur propre nom. Les professeurs ont beaucoup de mal à démasquer ces supercheries, et personne ne connaît vraiment l’ampleur du problème.

Dans une étude publiée en 2015, la moitié des étudiants interrogés dans trois universités britanniques ont affirmé qu’ils envisageraient la possibilité de payer quelqu’un pour faire leurs travaux. Les hommes étaient légèrement plus susceptibles de prendre un tel risque que les femmes. En outre, les étudiants n’ont pas à chercher bien loin pour profiter de ces services. Des sites Web comme bestessays.com, gonerdify.com, boomessays.com et EduBirdie.com proposent des dissertations originales et uniques en quelques jours seulement. Des rédacteurs offrent aussi leurs services sur Upwork et Kijiji, ce qui permet aux acheteurs de négocier les prix. Selon la longueur, le sujet et la complexité du travail, les étudiants peuvent se procurer une dissertation entière pour quelques centaines de dollars, voire une thèse de doctorat pour quelques milliers de dollars. (La demande d’entrevue d’Affaires universitaires à EduBirdie.com, un des services de rédaction de dissertations les mieux cotés du pays par les utilisateurs, est restée sans réponse.)

Selon Sarah Elaine Eaton, professeure adjointe à la Faculté d’éducation Werklund de l’Université de Calgary, la publicité est beaucoup plus visible depuis quelques années. « En entrant dans les classes, on trouve des dépliants [faisant la promotion de services de rédaction de dissertations] qui ont été laissés sur les chaises ou sur le rebord du tableau, ou dissimulés sur une table, à un endroit où les étudiants les verront, mais où le professeur ne les remarquera probablement pas. » Mme Eaton se dit persuadée que le même problème touche tous les campus canadiens.

« Je me sens impuissante devant l’existence de ces services et notre incapacité à réagir, souligne-t-elle. Mes pensées vont aux étudiants qui croient que payer une personne pour faire le travail à leur place les aidera. Ce n’est pas le message que nous voulons transmettre. Les étudiants sont ici pour apprendre, pas seulement pour remettre des travaux. »

Mme Eaton affirme qu’à l’heure actuelle, beaucoup d’universités n’ont pas assez de ressources pour aider les professeurs à lutter contre la malhonnêteté. La situation pourrait s’améliorer à mesure que les politiques universitaires en matière d’intégrité seront revues, croit-elle. Pour le moment, elle souhaite approfondir la discussion avec les professeurs et les étudiants dans l’espoir de mettre le problème en lumière.

À cet effet, Alyson King, professeure adjointe à l’Institut universitaire de technologie de l’Ontario, a créé un cours en ligne sur l’intégrité universitaire. Mme King précise toutefois que le site Web vise principalement le plagiat accidentel lorsqu’il est impossible pour un étudiant de « savoir ce qu’il ne sait pas ».

La seule fois où Mme King a eu la certitude qu’un étudiant avait triché est lorsqu’une rédactrice clandestine a téléphoné à l’université pour dénoncer un étudiant qui avait omis de la payer. Même dans cette situation, les faits étaient difficiles à prouver. « La rédactrice clandestine a supprimé son adresse de courriel, nous n’avons donc pas pu communiquer avec elle pour obtenir des preuves ou de l’information, indique Mme King. Il se peut même que l’étudiant n’ait pas présenté le travail en question, puisque la rédactrice lui a envoyé une copie du courriel de dénonciation. »

À l’exception de cette situation particulière, il n’existe pratiquement aucune mesure pour aider les professeurs à déceler la malhonnêteté universitaire. Les outils comme Turnitin permettent de repérer du texte plagié, mais non des travaux originaux provenant de rédacteurs clandestins.

Puisqu’il est difficile de prouver qu’un travail a été acheté, Shirley McDonald a décidé de restructurer son cours afin que le jeu n’en vaille tout simplement pas la chandelle. En effet, Mme McDonald, professeure d’anglais et de rédaction au campus Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique, a pratiquement éliminé les gros projets de fin de session qui comptent pour une grande partie de la note finale. Elle les a remplacés par de plus petits travaux interdépendants, échelonnés sur tout le trimestre.

« Au terme du trimestre, les étudiants ont pratiquement déjà rédigé leur dissertation finale, affirme Mme McDonald. En donnant à mes étudiants plusieurs travaux qui valent peu de points, il ne vaut plus la peine pour eux de débourser mille dollars pour sous-traiter leurs dissertations. Chacune ne compte que pour cinq pour cent de la note finale. »

Mme King a également adopté cette stratégie. « Pour contrer le problème, je donne maintenant un travail de réflexion, pour lequel les étudiants doivent parler du contenu du cours et de leur recherche. Ce type de stratégie m’aide à repérer les travaux malhonnêtes. »

Selon Mme McDonald, la prévention du plagiat relève en grande partie des professeurs. Elle ne croit pas que la majorité des étudiants trichent par manque d’intégrité, mais plutôt par manque de compétences.

« En accordant 50 ou même 100 pour cent de la note finale à un seul travail, les professeurs mettent énormément de pression sur les étudiants. Lorsque l’enjeu devient trop important, les étudiants sont plus enclins à tricher. En agissant ainsi, nous les mettons face à un dilemme moral », soutient Mme McDonald.

Selon elle, la pression est encore plus grande pour les étudiants étrangers, qui doivent déjà composer avec une nouvelle culture et parfois une nouvelle langue. « Si nous voulons continuer d’attirer les étudiants étrangers dans les universités canadiennes, affirme Mme McDonald, nous avons l’obligation morale de leur enseigner les principes de l’intégrité universitaire et, donc, les valeurs de notre milieu universitaire. »

Un sujet de discussion international

La conférence annuelle 2018 du Centre international d’intégrité universitaire (ICAI), qui s’est tenue au début mars à Richmond, en Virginie, portait sur l’achat frauduleux de travaux universitaires et les solutions possibles à ce problème. Christopher Lang, responsable des appels, des mesures disciplinaires et des griefs à l’Université de Toronto, figurait parmi les conférenciers. M. Lang est également ancien président du comité consultatif de l’ICAI. À ce titre, il a contribué à instituer la journée annuelle contre la malhonnêteté universitaire. De plus, il collabore avec les éducateurs pour mettre en oeuvre des techniques de prévention comme celles qu’utilisent Mmes McDonald et King.

M. Lang souhaite sensibiliser non seulement les étudiants et le personnel enseignant, mais aussi les vendeurs de travaux. « Ces entreprises perpétuent la fraude universitaire », affirme M. Lang. De nombreux sites Web précisent que les travaux sont fournis à des fins de référence seulement, et que l’entreprise ne peut être tenue responsable de l’utilisation frauduleuse que peuvent en faire les étudiants. M. Lang croit que ces avis ne valent pas grand-chose.

« Si les étudiants utilisent les documents à titre de référence, pourquoi leur demander dans quelle police livrer le texte, combien de mots sont nécessaires, quel style de rédaction utiliser et quelle note ils souhaitent obtenir? Ces questions laissent entendre que les entreprises savent exactement ce qui se passe, souligne M. Lang. Elles gagnent beaucoup d’argent en faisant ce qu’elles font et ferment volontairement les yeux. »

M. Lang collabore actuellement avec l’ICAI pour instaurer des dispositions législatives qui permettraient aux établissements de poursuivre les rédacteurs clandestins pour cause de préjudice institutionnel. « La malhonnêteté universitaire dévalue le diplôme des étudiants qui ont fourni un effort intellectuel légitime, affirme M. Lang. Qui voudrait emprunter un pont construit par un ingénieur qui a acheté son diplôme? Ce problème touche l’ensemble de la société. »

COMMENTAIRES
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  1. Jean-François Desbiens / 5 avril 2018 à 11:04

    Merci pour ce texte qui permet de nourrir ma réflexion de prof. sur un phénomène difficile à contrer bien que j’ai comme la Pre MacDonald modifié mes pratiques évaluatives pour limiter ce phénomène mais aussi pour être en mesure de produire des portraits plus justes des compétences de mes étudiants. Je constate toutefois que ces nouvelles pratiques me contraignent à évaluer davantage ce qui accroît ma charge de travail globale déjà grande.

  2. Hélène Cazes / 18 avril 2018 à 13:32

    Merci de cet article qui regarde les racines du problème plutôt que les branches. Comme les collègues consultés, j’ai cherché une stratégie constructive et je demande maintenant les différentes étapes d’un devoir : analyse du sujet, lectures, plan, introduction, que je commente et note séparément avant la remise du devoir final. Cette méthode prend du temps à cause des corrections à répétition mais a le mérite de prévenir la tentation d’acheter ou copier un texte. Certains étudiants insistent pour tout rendre en même temps et cela donne l’occasion d’une explication sur l’organisation d’un travail de recherche. pour les grands groupes, c’est malheureusement intenable.

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