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Le CRSNG et le CRSH envisagent des politiques de libre accès obligatoires

Ils emboîteraient ainsi le pas aux IRSC et aux organismes subventionnaires de nombreux autres pays.

par ROSANNA TAMBURRI | 15 JAN 14

Le Canada a fait un pas de plus pour rendre les résultats de la recherche universitaire financée par l’État accessibles gratuitement à tous, et non seulement à ceux qui profitent d’abonnements coûteux à des revues.

Deux des principaux organismes subventionnaires fédéraux, à savoir le Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie (CRSNG) et le Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH), ont indiqué qu’ils envisagent d’adopter une politique de libre accès obligatoire aux articles des revues révisés par les pairs issus des travaux qu’ils financent. Ils emboîteraient ainsi le pas aux Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et aux principaux organismes subventionnaires des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie et de l’Union européenne.

« Nous voulons que le plus grand nombre de personnes possible puisse consulter les résultats des travaux de recherche que nous produisons », a déclaré Jean Saint-Vil, directeur des politiques et des relations internationales au CRSNG. Selon lui, comme il permet à un plus grand nombre de prendre connaissance rapidement des travaux de recherche, le libre accès peut accélérer la commercialisation des résultats et stimuler la recherche et le développement. Il accroît aussi le nombre de citations des chercheurs et fait mieux connaître les activités de recherche effectuées au Canada.

La Fédération des sciences humaines prépare elle aussi une politique de libre accès dans le cadre de son fonds Prix d’auteurs pour l’édition savante, qui appuie la publication d’ouvrages savants.

Selon une étude menée pour la Commission européenne par Science-Metrix, une entreprise de recherche indépendante de Montréal, le libre accès est devenu la principale forme de publication dans plusieurs pays. La proportion d’articles de revues savantes révisés par les pairs qui ont été publiés en ligne gratuitement entre 2008 et 2011 s’élève à plus de 50 pour cent au Brésil, en Suisse, en Israël, aux Pays-Bas et aux États-Unis, entre autres. Le Canada rejoindra bientôt ce groupe. Ce seuil est près de deux fois supérieur à ce qu’il était estimé dans les études précédentes.

« Il s’agissait au départ d’une initiative audacieuse limitée à quelques champs de recherche comme les mathématiques, la physique et l’informatique. Puis, elle a pris beaucoup d’ampleur, s’est étendue à toutes les disciplines et représente maintenant une pratique courante favorisée par les politiques ou l’infrastructure en place », indique le rapport.

« C’est une réalisation majeure, affirme Éric Archambault, président et chef de la direction de Science-Metrix et coauteur de l’étude. Il est important que les connaissances scientifiques soient accessibles à toutes les personnes qui pourraient en avoir besoin. Elles ne doivent pas être restreintes aux utilisateurs dans les universités. »

Le recours croissant au libre accès est également perçu comme une réaction aux importants frais d’abonnement imposés par les éditeurs de publications savantes, qui grèvent les budgets des bibliothèques de recherche.

Le libre accès ne fait toutefois pas l’unanimité. Certains chercheurs mettent en doute la qualité, le prestige et les pratiques d’examen par les pairs des revues en libre accès. Ils s’inquiètent également de l’avènement d’éditeurs avides et peu scrupuleux. Dans un article paru dans Science, qui a fait grand bruit, le journaliste John Bohannon raconte comment plus de 150 revues en libre accès ont accepté de publier un article bidon signé de sa main, consacré à la recherche sur le cancer. Cela montre, écrit-il, qu’un « certain désordre commence à régner dans l’édition savante ».

Les petites revues canadiennes craindraient par ailleurs que le passage au libre accès ne les prive des revenus générés par les abonnements, ce qui pourrait provoquer leur disparition selon un rapport préliminaire du groupe de travail des trois organismes subventionnaires chargé d’élaborer une politique commune en matière de libre accès.

Ce problème n’est pas sans lien avec celui des frais de traitement d’article qu’imposent, en lieu et place des frais d’abonnement, certains types de revues en libre accès aux auteurs ou aux établissements, pour couvrir les frais d’édition. Ces frais de traitement sont l’une des raisons pour lesquelles le libre accès est mieux accepté dans les disciplines scientifiques que dans le domaine des sciences humaines, où les importantes subventions de recherche sont moins courantes, explique Richard Wellen, professeur agrégé au programme Entreprises et société à l’Université York.

Tout n’est pas qu’une question d’argent. Selon M. Wellen, nombre de ses collègues du domaine des sciences humaines « se méfient » des revues en libre accès, notamment par méconnaissance du principe, étant plus habitués à se voir publiés dans des ouvrages où le libre accès est moins commun. De plus, la rapidité de publication des résultats de la recherche, qui caractérise les publications en libre accès, a moins d’importance en sciences humaines.

Les IRSC se sont volontairement dotés d’une politique de libre accès en 2008, entre autres parce que le répertoire en ligne d’articles en libre accès PubMed Central était déjà en place et facilitait le respect d’une telle politique, souligne M. Saint-Vil. Le respect de la politique est d’ailleurs obligatoire depuis janvier 2013 aux IRSC.

Le CRSNG et le CRSH ont été plus prudents dans leur manière de répondre aux préoccupations des chercheurs, précise M. Saint-Vil. Leur circonspection a également conduit les organismes subventionnaires à opter pour le libre accès dit « vert ». Alors que les éditeurs de revues en libre accès dit « or » mettent directement, immédiatement et sans frais leurs articles en ligne à la disposition des lecteurs (tout en imposant habituellement des frais de traitement d’article), le libre accès vert permet aux auteurs de proposer leurs articles par l’entremise de répertoires en ligne ou de systèmes d’auto-archivage, une fois ceux-ci publiés dans une revue accessible sur abonnement, habituellement au terme d’une période d’embargo.

En vertu de la politique dont les organismes subventionnaires envisagent de se doter, les articles parus dans les revues devraient être accessibles gratuitement dans l’année suivant leur publication, par l’entremise du site Web de l’éditeur ou d’un répertoire en ligne. Le CRSNG et le CRSH n’ont pas encore fixé de date pour la mise en œuvre de cette politique. Le processus de consultation doit prendre fin à la mi-décembre, après quoi ils prendront leur décision, d’ici septembre 2014.

Le libre accès vert recèle un autre avantage. En effet, selon l’étude de Science-Metrix, les revues en libre accès vert ou hybride génèrent plus de citations que celles en libre accès or, sauf dans les domaines de la physique et de l’astronomie. Les auteurs de l’étude soulignent toutefois que le fait que nombre de revues en libre accès or soient à la fois plus récentes et plus modestes pourrait restreindre le nombre de citations générées.

Toujours selon l’étude de Science-Matrix, il semble que l’accélération de la tendance au libre accès partout dans le monde forcera les éditeurs à effectuer une « mutation révolutionnaire », beaucoup plus rapidement que prévu. Selon M. Archambault, les éditeurs de revues sauront s’adapter et survivre. « Je ne crois pas qu’ils disparaîtront. Ils sont trop solides et futés pour ça, dit-il. Ils s’arrangeront simplement pour se financer autrement. »

Certains grands éditeurs commerciaux comme le Nature Publishing Group, Springer ou Elsevier, ont déjà lancé ou acquis des titres en libre accès, souligne par ailleurs M. Archambault. Parallèlement, des revues en libre accès financièrement rentables et respectées comme PLoS ONE ont vu le jour.

L’impact du libre accès sur les bibliothèques de recherche pourrait être encore plus prononcé que prévu, les éditeurs les contournant de plus en plus pour mettre directement leurs contenus à la disposition des lecteurs, et les chercheurs pouvant décider du mode de financement de leurs articles. Le pouvoir des bibliothécaires en matière de gestion des abonnements aux revues est appelé à régresser, tout comme leurs budgets, prédit M. Archambault.

Certains observateurs estiment que les bibliothèques pourraient s’arroger de nouvelles fonctions : publications maison, exploitation de répertoires en ligne, gestion des frais de traitement d’article, etc. « Plutôt que de continuer à acheter des contenus produits ou compilés par des tiers, les bibliothèques ont l’occasion de devenir les gardiens et les défendeurs des contenus savants générés localement », explique Geoffrey Little, bibliothécaire à l’Université Concordia, dans un article paru dans le quotidien montréalais The Gazette.

Le libre accès devrait également influer sur la nature de la recherche universitaire en poussant les chercheurs à écrire pour un lectorat élargi et non seulement universitaire, prédit M. Wellen.

« Le libre accès ne se borne pas à favoriser l’accessibilité du même type de contenus qu’auparavant, dit-il. Il modifiera vraisemblablement notre manière de produire de l’information et de la consommer. »

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