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Des chercheurs préoccupés par l’exploitation des mégadonnées pour la surveillance

Selon des bénéficiaires de subventions du CRSH, une grande partie de ces données est utilisée sans notre consentement ou à notre insu.

par TIM LOUGHEED | 03 NOV 15

Discuter avec David Lyon peut être déstabilisant, même d’un sujet aussi réjouissant que l’obtention d’une subvention de partenariat de 2,5 millions de dollars du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). Ce professeur de sociologie à l’Université Queen’s est cependant ravi que lui et ses collègues du Surveillance Studies Centre aient obtenu cette troisième généreuse subvention en appui à ses travaux depuis 2003.

Les nouveaux fonds seront consacrés à l’étude de l’une des réalités actuelles les plus déran-geantes et sournoises : l’importance croissante des mégadonnées, à savoir de cette masse de données liées à nos activités numériques (allant des achats à l’épicerie au domaine de téléphonie mobile). Véritable mine d’information, les mégadonnées sont de plus en plus exploitées par les gouvernements et le secteur privé, souvent à notre insu ou sans notre consentement.

Lyon parle avec passion de cette forme subtile et apparemment inoffensive de surveillance, ainsi que de ses profondes répercussions sur nos vies quotidiennes. Pour illustrer ce qui l’inquiète, il cite le cas des compteurs intelligents installés par beaucoup de propriétaires résidentiels. Ces dispositifs sans fil communiquent au fournisseur la consommation d’électricité des ménages, sans que quiconque doive procéder à leur relevé. « Ce qui pose problème, ce ne sont pas ces compteurs; c’est ce qu’on fait des données qu’ils communiquent », explique M. Lyon.

Selon lui, les données relatives aux habitudes de consommation d’électricité peuvent permettre de présumer du type d’électroménagers de la maison et de leur utilisation. Les autorités policières peuvent également exploiter ces données pour repérer les cultures de marijuana, qui exigent un éclairage très intense. Ces données permettent même de tirer d’autres conclusions plus étonnantes. Elles peuvent, par exemple, permettre aux sociétés de prospection de cibler les acheteurs potentiels d’électroménagers. Les marchands paient régulièrement pour avoir le privilège d’exploiter ces données, sans que les propriétaires résidentiels ne s’inquiètent de la présence chez eux de compteurs intelligents.

Il s’agit de la dernière d’une longue série d’études sur les tendances en matière de surveillance effectuées par M. Lyon depuis le début des années 1990 : Ses travaux ont évolué pour devenir officiellement le Queen’s Surveillance Project, puis le Surveillance Studies Centre, créé en 2008 grâce à une subvention pour les grands travaux de recherche concertés, décernée par le CRSH pour le projet The New Transparency : Surveillance and Social Sorting. Cette subvention a permis de constituer une équipe de chercheurs du Canada et de l’étranger, qui se sont penchés sur neuf des manières dont la surveillance transforme nos vies et touche chacun de nous.

En matière de financement, la plus récente annonce, faite à la fin de septembre, vise la création d’une subvention de partenariat pour la surveillance des mégadonnées par le CRSH. « Cette subvention est accordée aux groupes de cher-cheurs qui accomplissent un travail socialement pertinent avec l’appui d’organisations tierces, comme le Commissariat à la protection de la vie privée ou diverses ONG, explique Colin Bennett, professeur de sciences politiques à l’Université de Victoria et codemandeur de cette subvention aux côtés de M. Lyon. Elle montre que le CRSH juge important d’étudier les risques du progrès technologique pour la société et les préjudices qu’il peut lui causer. »

Selon M. Bennett, la surveillance des mégadonnées représente la toute dernière évolution en matière de surveillance. Des logiciels fouillent cette énorme masse de données pour cerner, dans nos comportements, des nuances qui autrement resteraient indécelables. Le meilleur exemple de cette forme de surveillance est selon lui la « gestion des relations des électeurs », une technique largement utilisée par les partis politiques pour étudier les échanges sur les réseaux sociaux, comme Twitter. Comme dans le cas des comp-teurs intelligents, beaucoup des participants à ces échanges ne s’inquiètent nullement de ce qu’il adviendra de ces données. Pourtant, au fil de la campagne électorale fédérale exceptionnellement longue qui vient de s’achever, M. Bennett a rédigé pour iPolitics.ca une série d’articles destinés à mettre en lumière les indications fournies par ces données aux stratèges des partis en lice.

Parmi les partenaires du Surveillance Studies Centre figurent le Commissariat à l’infor-mation et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique, ainsi que la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, tous deux en première ligne de l’étude des conséquences de la surveillance pour les populations. La commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique, Elizabeth Denham, se réjouit d’avoir la possibilité d’interagir avec les chercheurs universitaires. « Ce projet de recherche permettra également d’élaborer de nouvelles démarches stratégiques et législatives garantes de la protection de la vie privée des citoyens à l’ère du progrès technologique », a-t-elle déclaré.

Le plus important selon M. Lyon, est toutefois de veiller à ce que les résultats des travaux de recherche du Centre soient accessibles au plus grand nombre, pour que les Canadiens puissent enfin comprendre que la surveillance est devenue l’une des principales caractéristiques de notre société, et qu’elle concerne chacun de nous. C’est pour cette raison que M. Lyon avait hâte que le projet New Transparency soit à l’origine d’un ouvrage. C’est chose faite : Transparent Lives: Surveillance in Canada est paru en 2014 chez Athabasca University Press

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