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La tendance à évaluer les résultats d’apprentissage gagne en popularité

Les universités mettent du temps à adhérer à cette tendance mondiale, mais pourraient être contraintes de le faire.

par ROSANNA TAMBURRI | 06 FEV 13

Quelle est la valeur d’un diplôme? Soucieuses d’apporter une réponse à cette question, de plus en plus d’universités canadiennes évaluent les résultats d’apprentissage dans le but de garantir la qualité de leurs diplômes et de favoriser la mobilité des étudiants au Canada et à l’étranger.

« Ce phénomène touche pratiquement tous les établissements », précise Donna Woolcott, directrice générale du Conseil d’assurance de la qualité des universités ontariennes. Mis sur pied en 2010 par le Conseil des universités de l’Ontario pour assurer la qualité des diplômes et des programmes universitaires à l’échelle provinciale, le Conseil d’assurance de la qualité est chargé d’approuver les nouveaux programmes et d’examiner régulièrement ceux qui sont déjà en place. L’Alberta, la Colombie-Britannique et, plus récemment, la Saskatchewan ont aussi mis sur pied des conseils chargés d’examiner les nouveaux programmes d’études et de faire des recommandations au ministre approprié.

Les préoccupations sur la qualité de l’enseignement universitaire se sont multipliées depuis deux ans, en particulier aux États-Unis où l’on craint, selon Mme Woolcott, « que les universités ne parviennent pas à inculquer aux étudiants certaines compétences de base en matière de rédaction, de pensée critique, de travail d’équipe et de leadership ».

Ces inquiétudes sont en partie nées de l’apparition de nouveaux types d’établissements conférant des grades et de nouveaux modes de prestation des programmes (dont les programmes en ligne et les initiatives d’apprentissage fusionnées). Parallèlement, les universités sont de plus en plus exhortées à rendre des comptes. Selon Mme Woolcott, l’élaboration et le réexamen des programmes ne reposaient traditionnellement que sur un critère : le nombre, suffisant ou non, de professeurs en mesure d’offrir les programmes en question. « Ce critère demeure important, dit-elle, mais on attache aujourd’hui beaucoup plus de poids au savoir, aux compétences et aux capacités qu’un programme peut apporter aux étu-diants pour les aider à poursuivre leurs études ou à intégrer le marché du travail. »

L’évaluation des résultats d’apprentissage et des compétences inculquées était déjà chose courante en médecine ou en études commerciales, par exemple, souvent par souci de respect des normes d’agrément. Désormais, certaines universités pratiquent cette évaluation à l’échelle de l’établissement. En décembre, l’Université de Guelph s’est ainsi dotée, pour tous ses programmes conférant des grades, de cinq critères d’évaluation des résultats d’apprentissage : pensée critique et créative, littératie, compréhension globale, aptitude à la communication, professionnalisme et sens de l’éthique. Selon le vice-recteur adjoint à l’enseignement, Serge Desmarais, le but est de permettre aux étudiants de bien cerner quelles sont les compétences à acquérir dans le cadre d’un programme d’études donné, outre son contenu. L’évaluation des résultats d’apprentissage aidera également à la reddition de comptes, ainsi qu’à répondre aux exigences de la commission provinciale d’évaluation de la qualité.

Il a également été question d’évaluation de la qualité au Québec, dans le cadre des discussions qui ont mené au sommet sur l’éducation de cet hiver. En Alberta, l’Université Mount Royal s’est dotée, depuis sa transformation en établissement conférant des grades en 2009, d’« objectifs d’apprentissage » à l’échelle de l’établissement. D’autres universités envisagent d’opter pour l’évaluation des résultats d’apprentissage, mais tous les établissements n’y sont pas encore prêts. Certains professeurs s’opposent vivement à cette démarche, jugeant qu’elle porte atteinte à leur liberté universitaire et à leur droit de décider seuls du mode de conception et de prestation de leurs cours. Des membres du corps professoral voient par ailleurs dans cette démarche une importation dans le secteur de l’éducation des méthodes du secteur privé en matière d’assurance de la qualité, ce qui risque selon eux de réduire les universités à de simples établissements de formation.

Bien que l’évaluation des résultats d’appren-tissage puisse sembler raisonnable et sans danger, elle pousse les professeurs à concevoir des cours générateurs de résultats quantifiables, estime Christophe Pavsek, professeur auxiliaire de cinéma à l’Université Simon Fraser. « Ils de-viennent plus soucieux du respect de leurs objectifs en matière d’évaluation que de leur enseignement proprement dit, déplore-t-il. Cela transforme totalement l’enseignement et les universités, au détriment de l’éducation. » Le recours aux méthodes et aux tests pratiqués aux États-Unis pour cerner et évaluer les résultats d’apprentissage fait également débat parmi les professeurs.

Les professeurs ne sont pas prêts à abandonner leur autonomie souveraine en classe, souligne Alex Usher, président du cabinet-conseil Higher Education Strategy Associates. M. Usher estime toutefois que comme de plus en plus de pays optent pour l’évaluation des résultats d’apprentissage, le Canada devra s’y conformer s’il entend assurer la mobilité de ses étudiants et attirer les étudiants étrangers. « Cette tendance se mue en norme mondiale : il serait dangereux de ne pas y adhérer. »

Les pays européens ont été parmi les premiers à opter pour l’évaluation des résultats d’apprentissage il y a 10 ans dans le cadre du Tuning Process, une initiative visant l’harmo-nisation des aptitudes et des compétences au sein des disciplines ou des programmes. L’objectif : faciliter la reconnaissance des diplômes, le transfert des crédits et la mobilité internationale des étudiants. Cette démarche a depuis gagné l’Amérique latine, la Russie, l’Afrique, l’Asie, l’Australie et les États-Unis. L’année dernière, l’American Historical Association a ainsi lancé à l’échelle nationale un projet de type Tuning dans le cadre duquel plus de 60 collèges et universités sont invités à cerner les points communs entre leurs programmes d’histoire respectifs. Les États-Unis ont également expérimenté d’autres méthodes d’évaluation des résultats d’appren-tissage, parmi lesquelles la très répandue Collegiate Learning Assessment.

La plupart des établissements canadiens refusent tout recours à des tests normalisés, mais huit universités et collèges ontariens, dont l’Université de Guelph, prennent actuellement part à un projet pilote financé par le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES), qui vise justement à étudier la méthode américaine Collegiate Learning Assessment. Le COQES et le Bureau canadien de l’éducation internationale ont financé des études de faisabilité portant sur un projet de type Tuning, et plusieurs universités ontariennes participent à un projet pilote international intitulé le Assessment of Higher Education Learning Outcomes, ou AHELO, financé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La plupart des universités canadiennes préfèrent toutefois faire cavalier seul plutôt que d’opter pour des processus plurinationaux ou multiétablissements.

D’après M. Desmarais, certaines études remettent en question l’efficacité de l’outil américain d’évaluation des résultats d’appren-tissage. L’Université de Guelph, qui l’a utilisé, s’interroge elle aussi. « Le taux de participation est très faible. Même si l’on rend l’exercice obligatoire, les étudiants n’y participent pas de bon coeur », dit-il, ajoutant qu’il faudra sans doute plusieurs années à l’Université de Guelph pour se doter d’un outil d’évaluation à l’échelle de l’établissement. »

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