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L’avenir professionnel des doctorants, un sujet chaud du congrès de cette année

Un groupe d’experts presse les Canadiens de revoir l’objectif des études supérieures en sciences humaines.

par NATALIE SAMSON | 04 JUIN 14

Les programmes d’études supérieures en sciences humaines, leurs professeurs et leurs administrateurs ne préparent pas bien les étudiants à la vie après l’obtention de leur doctorat. Voilà un des messages qui est ressorti du Congrès des sciences humaines de cette année, qui s’est déroulé à l’Université Brock de Saint Catharines (Ont.) du 24 au 30 mai.

Un groupe d’experts composé de quatre représentants du projet sur l’avenir des études supérieures en sciences humaines (Future of Graduate Training in the Humanities Project), commandité par plusieurs partenaires, y compris le Conseil de recherches en sciences humaines, a présenté son livre blanc sur l’avenir des titulaires de doctorats en sciences humaines (White Paper on the Future of the PhD in Humanities), publié l’an dernier. Le rapport soutient qu’il faudrait repenser l’objectif de l’enseignement supérieur, particulièrement en sciences humaines, afin de mieux préparer les étudiants à occuper des emplois ailleurs qu’en milieu universitaire. Il présente sept recommandations pour la réforme des programmes de doctorat, dont celle de permettre le remplacement de la thèse classique par un « ensemble cohérent de projets », de limiter les programmes de doctorat à une durée de cinq ans et de recruter des candidats qualifiés ayant des ambitions autres que l’enseignement supérieur. (La Modern Language Association des États-Unis a publié un rapport semblable après une enquête de deux ans sur les programmes de doctorat. Sidonie Smith, directrice de l’institut des sciences humaines de l’Université du Michigan et ancienne présidente de la Modern Language Association, fait partie des coauteurs des deux rapports.)

Le groupe à l’origine du projet canadien a constaté que 50 pour cent des candidats au doctorat abandonnent leur programme sans avoir obtenu leur diplôme. Parmi ceux qui l’obtiennent, après de six à sept ans d’études en moyenne, bon nombre ne deviennent pas membres du corps professoral. « Jusqu’à 90 pour cent des étudiants au doctorat n’atteignent pas les objectifs fixés par le programme », déclare la coauteure Leigh Yetter, directrice administrative de l’Institut pour la vie publique des arts et des idées (IVPAI) de l’Université McGill.

La situation n’est pas bien meilleure pour ceux qui obtiennent un poste universitaire malgré les perspectives d’emploi plutôt sombres dans le milieu. À 34 ans, le chercheur postdoctoral moyen au Canada gagne moins de 45 000 $ par année sans assurance maladie privée. Paulina Mickiewicz, qui a récemment soutenu sa thèse à l’Université McGill, a remarqué que les emplois et les ressources se faisaient de plus en plus rares et que la concurrence avait augmenté de façon spectaculaire. Aujourd’hui, il est essentiel de présenter une thèse prête à être publiée dans de prestigieuses revues et une expérience considérable de l’enseignement et de la recherche pour obtenir un poste de chargé de cours ou de professeur auxiliaire. « Ce qui était autrefois exigé des candidats à la permanence est maintenant exigé des candidats à l’entrevue d’embauche », explique-t-elle.

Le groupe ne recommande pas de réduire le nombre d’admissions ou de programmes de doctorat au Canada. « La réduction du nombre de programmes ne constituerait pas une solution parce qu’elle nuirait à la solidité de la discipline, a souligné Paul Yachnin, professeur d’anglais et directeur de l’Institut pour la vie publique des arts et des idées de l’Université McGill. Nous ne formons trop de doctorants que si nous ne les préparons qu’à une carrière en milieu universitaire. »

En plus de recommander des modifications aux programmes d’études, le rapport souligne que ces transformations ne seront possibles que si chaque établissement s’engage d’abord à changer sa culture. D’un point de vue pratique, les établissements doivent cesser de mesurer la réussite des programmes en fonction du nombre de diplômés occupant un poste universitaire — un étalon de mesure utilisé à la fois par les départements universitaires et par les gouvernements. Les établissements devront aussi modifier le langage qu’ils utilisent pour discuter du travail postdoctoral. « La transition vers un emploi ailleurs qu’en milieu universitaire ne devrait pas être considérée comme un échec, mais comme la prochaine étape d’une carrière et d’une vie », explique Mme Mickiewicz.

La question du langage utilisé a été reprise par Allison Sekuler, vice-rectrice adjointe et doyenne des études supérieures à l’Université McMaster, dans le cadre de la réunion d’un autre groupe d’experts sur le perfectionnement professionnel des étudiants aux cycles supérieurs et des chercheurs postdoctoraux. Elle explique que nous ne devrions pas présenter le travail en milieu universitaire comme le plan A et le travail à l’extérieur comme le plan B, mais plutôt présenter toute carrière comme également souhaitable et valable.

Lors de la réunion du groupe d’experts, Valerie Walker, analyste principale des politiques à Mitacs, a présenté des données qui accentuaient la nécessité de faire preuve d’honnêteté dans les communications avec les étudiants aux cycles supérieurs au sujet de leur transition à la vie professionnelle. Selon une étude réalisée en 2013 auprès de 1 830 chercheurs postdoctoraux canadiens, 81 pour cent d’entre eux avaient pour objectif de devenir membres du corps professoral lorsqu’ils ont entrepris leurs études supérieures. Une fois devenus chercheurs postdoctoraux, 69 pour cent ont déclaré avoir comme objectif de carrière de devenir professeur-chercheur universitaire. Ces chiffres étaient de 91 pour cent et de 82 pour cent chez les chercheurs postdoctoraux en sciences humaines. Dans ces disciplines, il persiste une vision étroite des choses, explique Mme Walker.

Mme Sekuler affirme que les universités canadiennes commencent à mieux répondre aux besoins professionnels des étudiants aux cycles supérieurs grâce à des outils comme le site mygradskills.com, qui sera bientôt rendu accessible. Conçu par le consortium ontarien pour les compétences professionnelles des étudiants aux cycles supérieurs (Université McMaster, Université Queen’s, Université Western, Université de Waterloo, Université d’Ottawa, Université de Toronto et Université de Guelph), le site Web contiendra des modules d’autoapprentissage sur des sujets comme le leadership et la gestion, la communication professionnelle, les dossiers d’enseignement, la rédaction d’un curriculum vitae et la recherche d’emploi. Le site sera lancé en septembre et ses ressources seront offertes gratuitement aux étudiants aux cycles supérieurs des universités ontariennes.

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  1. Julie Godbout / 5 juin 2014 à 13:49

    Il y a quelques semaines, j’ai écrit un texte sur le même sujet (http://www.sciencepresse.qc.ca/blogue/2014/04/27/who-wants-be-gestionnaire). Je suis issus des sciences dites « dures » et le portrait est très semblable de l’autre côté de la clôture invisible.

    Dans mon texte, j’en arrive quasiment aux mêmes conclusions à la différence que j’estime moi, qu’il y a trop de Ph.D. qui sont formés par les universités. … Je vois d’ailleurs une contradiction dans le texte alors qu’on demande un changement de culture des universités mais un statu quo en ce qui a trait au nombre de docteurs formés.

    Je comprends bien que de diminuer le nombre de docteurs formés serait dommageable (à court terme) à l’avancement des travaux de recherche. Mais cela ne vaudrait-il pas la peine d’explorer, en parallèle, de nouveaux modèles de production de la science, des modèles qui ne reposeraient pas exclusivement sur la formation de nouveaux étudiants?

    Un point sur lequel on insiste bien peu lorsqu’on aborde ce sujet, c’est la véritable valeur, une fois sur le marché du travail, des connaissances et aptitudes acquises durant le doctorat. Ce que je veux dire ici, c’est que dans les faits, bien peu d’emplois, hors université, nécessitent une formation doctorale.

    J’aimerais bien savoir si les 5 années de formation que constitue le doctorat sont véritablement perçues comme un atout par les employeurs? Et si oui, est-ce que cet atout se traduit en termes de catégorie d’emplois occupés ? Pour l’instant, les seules données disponibles (les salaires des diplômés) n’ indiquent qu’une très faible différence de salaire entre les détenteurs d’une maîtrise et d’un doctorat.

    Donc, avant d’affirmer que « Nous ne formons trop de doctorants que si nous ne les préparons qu’à une carrière en milieu universitaire », encore faudrait-il voir ce qu’il arrive avec eux, une fois qu’ils occupent un emploi en dehors de l’université.

  2. Julie Godbout / 11 juin 2014 à 12:35

    À Isabelle Couture.

    merci beaucoup pour la référence.

    30% d’employés surqualifiés! C’est énorme!

    J’ai hâte de voir si le document traite du rapport qui existe entre les coûts et bénéfices liés à l’éducation (et en lien avec la surqualification).

    Car bien sûr, les bénéfices ne sont pas strictement liés au salaire, ils peuvent aussi être de nature plus personnelle. Il y a aussi les bénéfices pour la société liés à l’apport à la recherche de l’étudiant durant sa formation.

    Mais de la même façon, les coûts peuvent être tout aussi divers. Coûts de la formation pour l’étudiant mais aussi pour l’ensemble de la société (qui défraie une partie de la formation). Mais aussi coûts « émotifs » durant les études (ex: stress, dépression) et par la suite, à titre d’employé (surtout s’il est surqualifié).

  3. Gilles Tremblay / 11 juin 2014 à 18:33

    L’un des problèmes, il me semble,réside aussi dans le fait que les programmes de doctorat forment essentiellement à la recherche. Or, être un bon professeur, devenir consultant ou autres nécessite aussi de grandes qualités humaines qui ne s’apprenent pas toutes derrière un ordinateur ou dans un labo de recherche. Par ailleurs, les critères utilisés par la suite pour évaluer un cv d’un/e détenteur d’un PhD sont souvent très questionnables. Par exemple, la valeur très grande accordée à une publication en anglais fait en sorte que la diffusion de la sciences au Québec n’a à peu près aucne valeur selon le « mainstream », présenter ses résultats devant 3 ou 4 personnes dans un congrès international vaut plus que le transfert de connaissances (ex : formation) à des intervenants sur le terrain. Et j’en passe. Bref, il faut revoir plusieurs choses. Cela revient sans doute aux universités, mais aussi aux grands fonds qui subventionnent la recherche et orctroient des bourses.

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