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Les chercheurs postdoctoraux réclament des changements dans leur traitement

Lors d’une conférence à Ottawa, l’association qui les représente a dévoilé quatre grandes recommandations politiques.

par LÉO CHARBONNEAU | 10 DÉC 18

Bien qu’ils constituent les piliers de la recherche universitaire, les chercheurs postdoctoraux sont confrontés à des défis de taille, notamment une faible rémunération, une inégalité en matière d’avantages sociaux ainsi qu’un manque de reconnaissance à l’égard de leur formation et de leur expertise. Tel est l’avis des représentants de l’Association canadienne des stagiaires postdoctoraux (ACSP) qui ont participé en novembre, à Ottawa, à une table ronde lors de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes. « La situation est problématique », affirme Krishnamoorthy Hegde, chercheur postdoctoral à l’Institut national de la recherche scientifique, qui compte parmi les trois membres de la direction de l’ACSP à avoir pris part à la table ronde.

Selon le président de l’ACSP, Joe Sparling, les stages postdoctoraux ne doivent être qu’une étape pour les titulaires de doctorat, « l’occasion de bénéficier d’un mentorat et d’un perfectionnement pour devenir chercheur indépendant ou professeur d’université ». D’après M. Sparling, qui vient d’effectuer un stage postdoctoral de trois ans au Hotchkiss Brain Institute de l’Université de Calgary, le problème tient au fait que moins de 20 pour cent des chercheurs postdoctoraux actuels obtiendront un poste de professeur menant à la permanence. Cela engendre selon lui un « marché du travail hyperconcurrentiel » et prolonge la période de formation.

Joe Sparling. Photo de ACSP.

Selon un sondage de 2016 de l’ACSP, l’âge moyen des chercheurs postdoctoraux au Canada est de 34 ans. Leur rémunération annuelle moyenne est de 46 600 $, et près de la moitié gagnent moins de 45 000 $. Par comparaison, les Bourses d’études supérieures du Canada Vanier décernées aux doctorants sont de 50 000 $ par an.

Jenna Haverfield, la troisième participante à la table ronde, est stagiaire au Centre for Research in Reproduction and Development de l’Université McGill et elle bénéficie d’une Bourse de recherche postdoctorale des Instituts de recherche en santé du Canada. À propos du revenu moyen des chercheurs postdoctoraux, elle déclare que « si on y réfléchit, il est comparable à celui des postes de premier échelon qui exigent peu ou pas de formation, comme on en trouve dans les secteurs du commerce de détail ou du transport. Et ce, bien que les chercheurs postdoctoraux aient pour bagage plus de dix ans d’études [postsecondaires]. »

M. Sparling a aussi calculé que le manque à gagner pour quiconque effectue une formation postdoctorale se situe entre 27 000 $ et 35 000 $ par an par rapport à un titulaire de doctorat qui accède directement à un poste non postdoctoral. Le taux de chômage chez ceux qui ont fait un stage postdoctoral est en outre supérieur à celui des titulaires de doctorat qui n’ont pas fait de stage postdoctoral.

« Aucune donnée n’indique que la rémunération des ex-chercheurs postdoctoraux puisse surpasser ni même rattraper celle des titulaires de doctorat ayant directement intégré le marché du travail canadien », précise M. Sparling. Rien ne prouve qu’une formation postdoctorale confère un avantage sur le marché du travail. Au contraire, en moyenne, un chercheur postdoctoral perd de l’argent pour chaque année de formation suivie.

Un autre problème auquel se heurtent les chercheurs postdoctoraux tient à l’absence de règles régissant leurs avantages sociaux en santé, soins dentaires, congés parentaux et congés payés. Selon M. Hegde, certains chercheurs postdoctoraux ont confié avoir accepté un second emploi pour bénéficier d’avantages sociaux ou abandonné leur stage en raison de l’attente d’un enfant.

Tout n’est pas sombre pour autant. De plus en plus de chercheurs postdoctoraux sont considérés par leur université comme des employés, plutôt que comme des étudiants ou des stagiaires, ce qui leur donne accès aux avantages sociaux. Toutefois, les chercheurs postdoctoraux bénéficiaires de bourses externes ne sont toujours pas considérés comme des employés, si bien que leurs avantages sociaux sont limités, voire inexistants.

« À l’échelle du Canada, la rémunération, les avantages sociaux et le statut des chercheurs postdoctoraux sont loin d’être uniformes, déplore Mme Haverfield. Nous faisons pourtant tous le même travail et possédons tous la même formation. Nous devrions donc tous toucher la même rémunération. »

Selon elle, les perspectives d’emploi, « très mauvaises », demeurent le problème numéro un. Les chercheurs postdoctoraux sont si peu nombreux à obtenir des postes de professeur menant à la permanence que la plupart optent pour d’autres carrières. Pourtant, seuls seize pour cent des participants au sondage de l’ACSP ont dit avoir eu accès à des services d’orientation professionnelle. « Les chercheurs postdoctoraux de talent sont nombreux, mais on néglige de leur apporter le soutien nécessaire pour qu’ils puissent embrasser d’autres carrières, déplore Mme Haverfield. Le Canada pourrait pourtant bénéficier de leurs compétences. »

Recommandations

La direction de l’ACSP a dressé à l’intention des décideurs une liste de quatre recommandations visant à améliorer le sort des chercheurs postdoctoraux que les participants ont présentée à la conférence. Selon M. Sparling, ces recommandations découlent largement du mémoire prébudgétaire 2019 de l’ACSP soumis au Comité permanent des finances du gouvernement fédéral, ainsi que du mémoire soumis par l’Association lors de la consultation menée par le Comité de coordination de la recherche au Canada.

Voici les quatre recommandations : superviser le système de formation postdoctorale et suivre les résultats; établir des normes minimales de soutien postdoctoral; accorder le statut d’employé à tous les chercheurs postdoctoraux qui travaillent au Canada; et établir une politique nationale homogène de formation professionnelle.

La première recommandation est « sans doute la plus susceptible de recueillir le soutien de tous », estime M. Sparling. Dans un courriel rédigé à la suite de la table ronde, il précise que l’ACSP consulte actuellement Innovation, Sciences et Développement économique Canada au sujet de la possibilité d’intégrer des données postdoctorales au Système d’information sur le personnel d’enseignement dans les universités et les collèges (SPEUC) de Statistique Canada. L’ACSP réclame également une enveloppe pour financer et étoffer le Registre national des postdocs, créé en 2017 pour suivre l’évolution des chercheurs postdoctoraux formés au Canada une fois sur le marché du travail.

En ce qui concerne la deuxième recommandation, M. Sparling précise que l’ACSP rédige actuellement un livre blanc comportant des recommandations sur les normes minimales de soutien pour les chercheurs postdoctoraux qui travaillent au Canada, et pour ceux qui travaillent à l’étranger tout en étant financés par des organismes canadiens. Dans son mémoire prébudgétaire, l’ACSP recommande que le revenu annuel brut minimal des chercheurs postdoctoraux soit porté à 47 500 $, avec augmentation de deux pour cent par année de formation postdoctorale additionnelle; que le montant minimal des bourses de recherche accordées par les organismes subventionnaires atteigne 50 000 $ – à l’exception des Bourses postdoctorales Banting, qui s’élèvent à 70 000 $ par année.

« Nous espérons présenter ce livre blanc au début de 2019, puis le mettre à jour tous les deux ou trois ans en fonction des données issues des futures enquêtes et de l’évolution des conditions de travail, précise M. Sparling. L’ACSP compte aussi classer les établissements selon leur respect des normes pour améliorer l’information des chercheurs postdoctoraux sur les conditions de travail et sur les politiques postdoctorales des établissements de l’ensemble du pays. Le classement devrait inciter les établissements à adopter des politiques de soutien pour être en mesure d’attirer les meilleurs chercheurs postdoctoraux. »

M. Sparling admet qu’il sera compliqué de mettre en œuvre la troisième recommandation – accorder le statut d’employé aux chercheurs postdoctoraux. Il est en effet peu probable que les organismes subventionnaires soient en mesure de mettre en œuvre une telle politique. L’accès au statut d’employé pourrait aussi dépendre de certains règlements de l’Agence du revenu du Canada.

Enfin, le sort de la dernière recommandation dépendra de la réussite de la mise en œuvre des trois premières. « Nous espérons au moins la mise en place d’une politique nationale imposant de traiter tous les chercheurs postdoctoraux comme des stagiaires, peu importe leur situation d’emploi. En l’absence d’une telle politique, les chercheurs postdoctoraux sont privés d’occasions de formation ou de perfectionnement, ce qui va à l’encontre de la définition même de ce qu’est un chercheur postdoctoral », estime M. Sparling.

COMMENTAIRES
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  1. Éric GEORGE / 13 décembre 2018 à 18:31

    Votre article est fort intéressant. Toutefois, j’ajouterai deux éléments de réflexion. Premièrement, j’ai eu l’occasion d’embaucher de jeunes diplômé.e.s de doctorat mais jamais en tant que chercheur.e.s en postdoctorat, plutôt en tant que professionnel,le.s de recherche donc avec le statut d’employé.e.s. Toutefois, par définition, ce sont des personnes qui, le plus souvent, acceptent un tel poste en attendant un poste de professeur.e. On peut donc les perdre à tout moment, d’où le fait que j’en embauche assez rarement. Le manque de statut ne s’expliquerait-il pas par le fait que l’on est normalement « postdoctorant.e » que temporairement ? Deuxièmement, ne faudrait-il pas s’interroger sur le grand nombre de docteur.e.s qui n’obtiennent pas de poste de professeur.e ? Et si nous formons de plus en plus de docteur.e.s qui ne deviennent pas professeur.e.s d’université, savez-vous ce qu’ils deviennent ? Ce sont deux questions qui se posent en filigrane par rapport à votre texte. Votre revue a-t-elle déjà traité de ces questions ? Je ne m’en souviens pas en tout cas.

    En vous remerciant de votre attention
    Bien cordialement
    Éric George, professeur titulaire, École des médias, Faculté de communication, UQAM

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