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Lutter pour libérer les universitaires détenus à l’étranger : un enjeu délicat

Le sort de la professeure de l’Université Concordia Homa Hoodfar en Iran soulève de nouveau la question de savoir ce que les universités peuvent faire pour protéger les universitaires détenus à l’étranger.

par CARL MEYER | 16 SEP 16

Note de la rédaction : Tahmid Khan a été libéré au Bangladesh le 2 octobre. Le 26 septembre, le gouvernement du Canada a confirmé que Homa Hoodfar avait été libérée de la prison d’Evin, qu’elle avait quittée l’Iran et qu’elle devait arriver au Canada sous peu.

Une journée s’était à peine écoulée depuis l’emprisonnement d’Alexander Sodiqov en Asie centrale que son collègue Edward Schatz pensait déjà à une campagne publique pour le ramener au pays. « Nous avons tout de suite voulu lancer une pétition », explique M. Schatz, professeur adjoint en science politique à l’Université de Toronto. M. Sodiqov, étudiant au doctorat collaborant avec M. Schatz, a été détenu au Tadjikistan pendant près de trois mois en 2014.

Il était détenu dans cette nation d’Asie centrale, accusé de trahison et d’espionnage alors qu’il faisait de la recherche. On lui a finalement permis de retourner au Canada après que M. Schatz et d’autres universitaires ont sonné l’alarme grâce à une campagne qui a pris de plus en plus d’ampleur. La pétition soulignait les compétences universitaires de M. Sodiqov, ce qui a aidé à démontrer sa neutralité et le fait qu’il n’était pas l’objet d’une « cause tristement célèbre », selon M. Schatz.

Savoir comment les administrateurs et les universitaires devraient réagir en cas de détention d’un collègue à l’étranger est une question délicate pour les universités canadiennes. Homa Hoodfar, universitaire canado-iranienne-irlandais et professeure de sociologie et d’anthropologie à l’Université Concordia, est détenue à la prison d’Evin en Iran depuis son arrestation le 6 juin. Elle se trouvait en Iran pour faire de la recherche et à titre personnel. Le gouvernement iranien l’accuse d’avoir agi à l’encontre de la sécurité nationale, une accusation que ses défendeurs réfutent avec véhémence. Des rapports laissent entendre qu’elle a été placée en isolement et que sa santé se détériore.

Tahmid Khan, étudiant au premier cycle de l’Université de Toronto, est détenu au Bangladesh depuis le 1er juillet. Il a été arrêté à la suite d’un attentat dans un café. Sa famille et ses amis soutiennent qu’il est innocent.

Leur expérience n’est malheureusement pas unique : John Greyson, réalisateur torontois et professeur adjoint à l’Université York, et Tarek Loubani, urgentologue et professeur adjoint à l’école de médecine et de dentisterie Schulich de l’Université Western, ont été arrêtés en Égypte en 2013 et détenus pendant 50 jours sans accusations. Curtis Riep, candidat au doctorat de l’Université de l’Alberta, a été arrêté en Ouganda en mai dernier lors d’un voyage de recherche, mais les accusations portées contre lui ont été abandonnées quelques jours plus tard.

Selon les professeurs qui ont vécu et étudié ce type d’incident, et les représentants du gouvernement canadien qui donnent des commentaires sur ces cas, il est clair que les universités ont un certain devoir de diligence à l’égard de leurs étudiants, professeurs et autres membres qui voyagent à l’étranger en leur nom. On s’accorde aussi à dire que la préparation est essentielle aussi bien pour le voyageur que pour l’administration universitaire. Toutefois, ils indiquent qu’en cas de détention, il n’y a pas une façon universelle de réagir pour les universités, les professeurs et les étudiants.

Réduction des risques et liberté universitaire

L’année dernière, le gouvernement a dénombré environ 1 300 cas relevant des services consulaires impliquant l’arrestation ou la détention de Canadiens – universitaires ou non – dans un pays étranger. Affaires mondiales Canada (AMC) conseille les étudiants, les professeurs et les administrateurs universitaires sur les mesures à prendre pour se préparer à un éventuel incident. Pour ce faire, le ministère participe à des foires d’information, présente des exposés sur les campus et organise des webinaires où des représentants donnent des conseils et répondent aux questions.

« Les étudiants, enseignants et professeurs peuvent demander une présentation personnalisée ou un webinaire adapté à leur destination en envoyant un courriel à [email protected] », a répondu la porte-parole Jocelyn Sweet dans un courriel.

AMC souligne quatre mesures à prendre par les voyageurs canadiens : déclarer leur prochain voyage au service Inscription des Canadiens à l’étranger; se procurer une assurance voyage avec couverture santé; suivre les alertes d’AMC dans les médias sociaux; lire les avertissements d’AMC sur la destination. Les avertissements sont souvent mis à jour. L’un des quatre niveaux de risque suivants sont attribués aux pays : « prendre des mesures de sécurité normales », « faire preuve d’une grande prudence », « éviter tout voyage non essentiel » et « éviter tout voyage ».

Afin de limiter les risques auxquels les universitaires sont exposés, les universités peuvent simplement leur interdire de se rendre dans les pays auxquels on a attribué l’un des deux niveaux de risque les plus élevés. René Provost, professeur de droit et directeur fondateur du Centre pour les droits de la personne et le pluralisme juridique de l’Université McGill, explique que l’Université McGill procède ainsi.

Lorsqu’il dirigeait un programme de stages internationaux sur les droits de la personne à la faculté de droit de l’Université McGill, M. Provost a dû suspendre des activités au Burkina Faso après l’encerclement des bureaux de l’ONG par des véhicules blindés. Il a aussi fallu suspendre les activités du programme au Pakistan après que la situation se soit détériorée.

Le problème, admet-il, est que les professeurs et les étudiants doivent se rendre à l’étranger pour effectuer des travaux de recherche. La recherche ne peut pas toujours avoir lieu dans des endroits parfaitement sûrs. « Avoir ce choix fait partie de la liberté universitaire, explique-t-il. Il serait grave et problématique de suggérer que les universités ont le droit de restreindre les travaux de recherche d’un professeur en l’empêchant de se rendre quelque part. »

Canaliser le pouvoir de l’éducation

Dans certains cas, les universités peuvent servir à ouvrir les voies de communication, soutient M. Provost. Elles savent qu’elles « participent à un effort collectif pour faire avancer le savoir humain et que la négation de la liberté universitaire où que ce soit représente une menace à la liberté universitaire partout ailleurs », affirme-t-il.

Ainsi, selon lui, les universités pourraient demander aux universités du pays de détention d’utiliser leur statut pour soutenir les droits des universitaires de faire leur travail. « On essaie de trouver des canaux de communication avec les personnes qui peuvent intervenir et prendre des décisions qui auront des répercussions. »

Dans le cas de Mme Hoodfar, la situation se complique davantage du fait que le Canada n’a pas de relations diplomatiques officielles avec l’Iran. Les amis et connaissances de Mme Hoodfar ont créé un site Web, homahoodfar.org, pour sensibiliser la population à son emprisonnement et demander sa libération. La pétition qu’ils ont lancée a été signée par plus de 5 000 universitaires. Plusieurs collègues de Mme Hoodfar se sont fait entendre, par exemple lors d’une conférence de presse organisée à Montréal le 7 septembre. Parallèlement, l’Université Concordia dit n’avoir d’autre choix que de rester muette.

« On nous a assuré qu’AMC travaillait diligemment sur le cas en utilisant les canaux diplomatiques. Nous offrirons toute l’aide nécessaire au ministère », a déclaré le porte-parole de l’Université Concordia, Chris Mota, dans une déclaration à Affaires universitaires. Il a aussi précisé que l’université n’était pas en mesure de commenter davantage parce qu’elle ne voulait pas risquer de dire ou de faire quelque chose susceptible d’entraver les activités en cours visant la libération de M. Hoodfar.

En ce qui concerne l’étudiant de l’Université de Toronto, M. Khan, détenu au Bangladesh, les sites de nouvelles de l’établissement indiquent que le recteur de l’université a écrit en juillet une lettre au ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, afin d’exprimer son inquiétude au sujet du bien-être de l’étudiant et de confirmer que M. Khan était un étudiant en règle et un membre actif de la communauté universitaire.

Formation d’équipes de gestion de crise

Schatz, de l’Université de Toronto, croit que les universités auraient intérêt à former des « équipes d’intervention rapide » lorsqu’un de leurs membres est détenu à l’étranger. Chaque équipe se consacrerait à un cas en particulier, explique-t-il, mais les équipes auraient des points en commun : une personne ayant de l’expertise dans le pays de détention, une personne chargée des relations avec le gouvernement, une équipe juridique, comprenant des experts en droit international, et un service de relations publiques. Un modèle semblable existe dans le secteur privé qui permet aux entreprises qui envoient des employés dans des régions instables de disposer d’une équipe de gestion de crise prête à agir.

En fin de compte, M. Schatz croit que les universitaires doivent mieux expliquer leur travail. « Nous ne voulons pas qu’ils soient perçus comme des menaces, dit-il. Nous voulons mettre l’accent sur la valeur qu’ils apportent et faire comprendre que leur travail n’est pas une tentative déguisée pour alimenter une guerre de l’information. »

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