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Un arbitre tranche sur l’évaluation de l’enseignement par les étudiants

Ces évaluations ne peuvent être prises en compte dans les décisions ayant trait aux promotions et à la titularisation, déclare un arbitre.

par MOIRA FARR | 28 AOÛT 18

Dans une affaire créant un précédent, un arbitre ontarien a ordonné à l’Université Ryerson de ne tenir compte d’aucune évaluation faite par les étudiants pour mesurer l’efficacité de l’enseignement aux fins de promotion ou d’obtention d’un poste permanent. La question des évaluations de l’enseignement par les étudiants est abordée depuis 2003 dans les séances de négociations collectives de l’Université Ryerson, et a fait l’objet d’un grief en 2009.

Cette longue affaire a été suivie – et la décision, saluée – par les universitaires de partout au Canada et à l’étranger qui signalent depuis des années que les universités se fient trop aux sondages menés auprès des étudiants pour évaluer l’efficacité de l’enseignement.

« Nous sommes ravis, explique Sophie Quigley, professeure en sciences informatiques à l’Université Ryerson et agente des griefs ayant déposé le grief en 2009. Nous invoquons ces arguments statistiquement corrects depuis des années. La raison a eu gain de cause et c’est merveilleux. »

Bien que les évaluations de l’enseignement par les étudiants soient utiles pour brosser un
« portrait de l’expérience étudiante » à l’égard du cours et du professeur, l’arbitre William Kaplan souligne dans le compte rendu de sa décision que les témoignages d’experts présentés par l’association des professeurs démontrent clairement que l’un des principaux outils utilisés pour évaluer l’efficacité de l’enseignement est bancal.

Le corps professoral défendait cette position depuis des années, surtout depuis la montée en flèche des taux de participation découlant de la mise en ligne des évaluations, alors que les services d’administration des universités se fiaient de plus en plus à ce qui leur semblait être un outil légitime fondé sur des données.

La conclusion de M. Kaplan selon laquelle les évaluations sont hautement problématiques va soulever des débats dans les universités de partout au pays, affirme David Robinson, directeur administratif de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université. « La décision rendue confirme que les membres avaient raison de s’inquiéter. Les évaluations par les étudiants sont utiles, mais elles ne donnent pas de mesures rigoureuses. Les professeurs trouvent déconcertant d’être jugés selon des données qui n’ont rien de fiable. »

Comme le soulignait Mme Quigley, il y a 15 ans, il n’existait pas d’étude portant sur les évaluations par les étudiants, alors il était peutêtre plus facile pour les universités de les voir comme un outil efficace d’évaluation. « Psychologiquement, l’utilisation de ces données comme si elles étaient officielles et valables donne une impression d’autorité. »

De nombreuses recherches appuient maintenant l’argument contre la valeur des évaluations par les étudiants comme mesure fiable de l’efficacité de l’enseignement, surtout lorsque les résultats servent à établir des tableaux de moyennes et à faire des comparaisons. L’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario (OCUFA) a commandé deux rapports sur la question : le premier à Richard Freishtat, directeur du centre d’enseignement et d’apprentissage à l’Université de Californie à Berkeley, et le second au statisticien Phillip B. Stark, aussi à Berkeley.

Leurs conclusions ont été acceptées par M. Kaplan, qui a souligné des lacunes méthodologiques et des préoccupations éthiques liées à la confidentialité et au consentement éclairé. Il a aussi mentionné d’importants problèmes en matière de droits de la personne, car certaines études ont démontré que le sexe, l’origine ethnique, l’accent, l’âge et même l’apparence physique d’un professeur pouvaient avoir une incidence sur les évaluations des étudiants à son égard, ce qui est profondément discriminatoire envers certains professeurs « vulnérables ».

« Nous nous attendons à ce que d’autres associations de professeurs utilisent cette décision », déclare Mme Quigley, qui dit avoir reçu de nombreuses demandes d’information sur le sujet de la part de professeurs de tout le Canada.

Les représentants de l’OCUFA s’entendent aussi sur les vastes répercussions de la décision de M. Kaplan. Selon Jeff Tennant, professeur d’études françaises à l’Université Western, président du comité de négociation collective de l’établissement et représentant des professeurs au sein du groupe de travail sur les évaluations de l’enseignement par les étudiants de l’OCUFA à l’origine des deux rapports soumis à l’arbitre, « cette décision est très évocatrice de l’évolution des idées sur la question ».

« Je crois que, pour veiller à la qualité de l’enseignement ainsi que suivre et évaluer le rendement, l’administration universitaire doit reconnaître avoir besoin d’instruments plus efficaces que les sondages auprès des étudiants, soutient M. Tennant. Les évaluations par les pairs et les dossiers d’enseignement, par exemple, sont des indicateurs plus fiables que ces derniers. »

Un rapport consignant les travaux de recherche rassemblés par l’OCUFA dans le cadre de l’affaire Ryerson sera publié en octobre. Il s’agit d’une belle occasion pour les universités canadiennes de se poser en chefs de file en reconnaissant les données probantes de plusieurs dizaines d’études. Bien sûr, elles pourront continuer de sonder les étudiants au sujet de leur expérience, mais elles devront trouver des moyens plus fiables d’évaluer l’enseignement des professeurs.

M. Kaplan a finalement appuyé les rapports de l’OCUFA : « Un dossier d’enseignement très exhaustif, tel que la convention collective le prévoit, contenant des renseignements pédagogiques provenant du professeur et d’autres sources devrait suffire à évaluer l’enseignement en tant que processus de recherche, d’expérimentation et de réflexion continu. Avec l’évaluation par les pairs, il permet de dresser le portrait le plus fidèle de l’efficacité de l’enseignement. »

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