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Beaucoup trop d’enseignants

L’expression « offre excédentaire » est loin d’être assez forte pour décrire l’écart entre le nombre de nouveaux enseignants et le nombre de postes à pourvoir en Ontario.

par MOIRA MACDONALD | 07 NOV 11

Michael Sereda se trouve dans une position qui pourrait être qualifiée d’enviable. Il n’est toutefois pas de cet avis. Depuis le milieu des années 2000, il doit chaque année pourvoir un nombre limité de postes d’enseignants au sein de son conseil scolaire du sud-ouest de l’Ontario en choisissant dans une immense banque de candidats certifiés impatients de trouver un emploi. « Nous recevons, sans exagération, des milliers de demandes d’emploi par année », constate l’administrateur en chef du service des ressources humaines du conseil scolaire du district de Thames Valley situé à London, en Ontario.

Pour l’année en cours, il n’avait que 161 postes à pourvoir, dont beaucoup de contrats à temps partiel. La concurrence est féroce même pour les enseignants qui tentent de s’inscrire à la liste de suppléance, celle-ci étant considérée comme un tremplin vers un poste permanent après au moins trois ans de service. « C’est ridicule, constate avec frustration M. Sereda. Les jeunes qui postulent sont absolument fabuleux, et je n’ai rien à leur offrir. »

La situation décrite par M. Sereda n’est qu’une des conséquences du pire surplus d’enseignants au pays. Quelques autres provinces, comme la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse, ont aussi un surplus à gérer, mais l’Ontario est de loin la plus touchée.

Au cours des cinq dernières années, 4 500 enseignants par année en moyenne ont pris leur retraite, tandis que 12 000 ont obtenu leur certification. De tous les nouveaux enseignants, environ 9 000 sont diplômés d’une université ontarienne. Outre les départs à la retraite, d’autres circonstances entraînent des ouvertures de poste, mais il reste que le nombre de nouveaux enseignants qui arrivent sur le marché du travail ontarien dépasse chaque année d’au moins 4 000 le nombre de postes offerts.

L’enquête de 2010 de l’Ontario College of Teachers, l’organisme de réglementation provincial, illustre les effets de ce bassin croissant de chercheurs d’emploi. La plupart des nouveaux professeurs n’obtiennent pas de poste à temps plein, ni rien qui s’en approche. En 2006, 30 pour cent des enseignants étaient sans emploi ou en situation de sous-emploi au cours de l’année suivant l’obtention de leur diplôme. En 2010, cette proportion avait plus que doublé pour atteindre 68 pour cent. En outre, près d’un nouvel enseignant sur quatre ne travaillait pas du tout, contre un maigre trois pour cent en 2006.

« C’est comme si votre vie était sur pause », affirme Yvonne Ringler. Depuis qu’elle a obtenu son baccalauréat d’un an en éducation de l’Université Lakehead en 2005, la jeune femme de 30 ans a effectué des suppléances d’une journée ou de plus longue durée pour un conseil scolaire de l’est de Toronto et a même enseigné à l’étranger. Elle n’a toutefois pas été en mesure d’obtenir un poste à temps plein. Deux de ses amis se trouvent exactement dans la même situation.

Ironiquement, l’Ontario a vécu la pire pénurie d’enseignants il y a à peine 14 ans. « C’est comme des montagnes russes », illustre Frank McIntyre, directeur des ressources humaines à l’Ontario College of Teachers, qui suit l’évolution des effectifs enseignants depuis plus d’une décennie. De 1998 à 2008, l’Ontario prévoyait perdre jusqu’à 78 000 enseignants sur un total de 171 500 en raison des départs à la retraite. Au final, ce sont 62 000 enseignants qui ont effectivement pris leur retraite, soit moins que ce que les experts avaient prédit.

Entre-temps, on a prévu d’importantes ouvertures. Sous la pression des facultés d’éducation et de l’Ontario College of Teachers, le gouvernement provincial a financé 1 500 places supplémentaires au sein des programmes d’un an de formation des enseignants, portant le total des places – qui représentent le gros de la formation en enseignement – à 6 500 en 2003. Ces chiffres n’incluent pas les effectifs des programmes d’études de quatre et de cinq ans en enseignement ni ceux des trois nouveaux programmes de formation des enseignants qui ont ouvert leurs portes en Ontario pendant cette décennie. Ainsi, l’Ontario s’est retrouvée avec plus de 9 000 places par année destinées aux étudiants en enseignement dans ses facultés d’éducation.

La demande a explosé elle aussi, passant de moins de 8 000 candidatures en 1998 à environ 15 000 en 2005. Ceux qui n’étaient pas admis dans les facultés ontariennes pouvaient se tourner vers les universités étrangères ou les « collèges frontaliers » des États-Unis, qui ont rapidement amélioré leur offre de programmes de formation des enseignants pour répondre à la demande. Ces collèges ont plus que triplé leur contingent d’étudiants en enseignement pour atteindre 1 700 diplômés en 2006 (un chiffre qui s’est établi à environ 1 000 par la suite). Le gouvernement de l’Ontario a également autorisé l’Université Charles Sturt de l’Australie à offrir des programmes de formation des enseignants directement en Ontario, suivant ainsi les traces de l’Université Niagara de New York qui le faisait déjà depuis de nombreuses années.

Alors que la province atteignait sa pleine capacité à former de nouveaux enseignants, l’Ontario College of Teachers a annoncé la fin de la pénurie en 2005, bien qu’elle ait commencé à se résorber quelques années auparavant, mis à part de modestes demandes dans quelques matières comme le français, la science, les mathématiques et la technologie. Les besoins ont depuis été comblés. Dans l’ensemble, le déclin du nombre d’enfants d’âge scolaire au Canada, l’essoufflement des départs à la retraite et l’élargissement du bassin d’enseignants à la retraite qui font de la suppléance ont tous contribué à la baisse de la demande pour les nouveaux diplômés.

Malgré cela, le gouvernement provincial a attendu jusqu’en 2011 pour réduire le nombre de places dans les programmes de formation des enseignants. Il a annoncé la fermeture de 885 places à compter de 2012, ce qui portera le nombre total à 9 058.

Justifiant sa décision, John Milloy, ministre de la Formation, des Collèges et des Universités de l’Ontario avant les récentes élections provinciales, a expliqué que les facultés d’éducation de la province « forment simplement trop d’enseignants » par rapport à la demande. Il a décrit les compressions négociées avec les universités comme « un gros coup porté au budget des établissements », ajoutant que son gouvernement souhaitait agir « de façon à atténuer l’incidence fiscale ».

Même si les compressions négociées semblent modestes, les facultés d’éducation se plaignent d’avoir été poussées à augmenter l’offre, puis à la réduire. Bien que les administrateurs reconnaissent le problème et leur part de responsabilités, ils estiment que la façon dont les réductions ont été réparties pose certaines difficultés, en particulier lorsqu’elles nécessitent la compression de programmes relativement nouveaux qui ont été mis en place au beau milieu de la pénurie. « C’est une goutte d’eau dans l’océan pour eux, affirme George Sheppard, directeur de l’école d’éducation anglophone de l’Université Laurentienne, en faisant référence aux conséquences des réductions commandées par le gouvernement, mais pour moi, c’est dramatique. »

L’Université Laurentienne comptait déjà un programme de formation des enseignants en français, mais a ouvert en 2003 deux programmes anglophones – un de quatre ans et un de cinq ans avec une dimension autochtone – pour répondre aux besoins régionaux. Un immeuble de 18 millions de dollars a été inauguré en 2008. L’école venait tout juste de recevoir l’autorisation de l’Ontario College of Teachers d’ouvrir un programme de formation d’un an destiné aux enseignants intermédiaires et confirmés lorsqu’elle a reçu en 2010 l’annonce de compressions budgétaires. Ainsi, un programme qui devait accueillir 200 étudiants à pleine capacité plafonnera à 65 en 2012.

« L’Université paie encore pour ce nouvel immeuble, se désole M. Sheppard. Des gens ont été embauchés en pensant qu’il y aurait des étudiants à former, mais ça ne semble pas être le cas. C’est délicat. »

Selon Alice Pitt, doyenne de la faculté d’éducation de l’Université York, une réduction des places peut nuire à la capacité d’une faculté d’offrir des programmes d’études aux cycles supérieurs – qui attirent généralement des enseignants sur le marché du travail ou des personnes ayant un intérêt pour l’éducation mais n’envisageant pas de carrière en enseignement – ou un programme de baccalauréat en éducation aux enseignants qui visent le marché étranger ou qui veulent appliquer leurs connaissances à l’extérieur du système scolaire officiel de la maternelle à la 12e année.

Mme Pitt estime que la faculté d’éducation est traitée davantage comme une faculté de médecine que comme une faculté de droit en ce sens que le gouvernement intervient périodiquement pour ajuster les effectifs aux besoins en main-d’œuvre du système d’éducation public. Selon elle, le gouvernement néglige un aspect important : les facultés d’éducation ont la capacité – et pourraient même l’accroître – de répondre aux besoins du marché de l’éducation au-delà du système de la maternelle à la 12e année.

Comme le font remarquer les doyens des facultés d’éducation, le gouvernement de l’Ontario n’exerce aucun contrôle sur les places offertes dans les collèges frontaliers aux États-Unis. Les universités ontariennes publiques portent donc seules le fardeau de la solution. Si les universités ontariennes subissent de trop grandes compressions, les étudiants qui se destinent à une carrière en enseignement se tourneront vers les collèges frontaliers, ce qui ne viendra en rien régler le problème.

M. Milloy dit avoir pris les mesures nécessaires pour limiter toute croissance, rejetant une demande de l’Université Charles Sturt de l’Australie qui visait la création d’un programme de formation d’enseignants de niveau secondaire. Les collèges frontaliers des États-Unis échappent au contrôle du gouvernement, mais ont tout de même enregistré une baisse de leurs effectifs.  « À ma connaissance, la baisse est importance dans toutes les villes [collégiales] frontalières près d’ici, parce qu’il n’y a pas d’emplois », explique Ron Dannecker, directeur des admissions et du marketing internationaux au Collège D’Youville de Buffalo, dans l’État de New York, qui offre un programme de formation des enseignants populaire auprès des étudiants canadiens.

En Ontario, les demandes ont également diminué à 11 500, et les admissions confirmées pour la présente année universitaires se chiffrent à 7 688, le plus bas niveau depuis 2005. Même si le marché de l’emploi est meilleur pour les enseignants dans les régions les plus au nord de l’Ontario, la situation « demeure décourageante », constate Sharon Rich, doyenne de l’École d’éducation Schulich de l’Université Nipissing, située à North Bay. « Les étudiants n’acceptent pas les offres [d’admission] au même rythme qu’auparavant ».

Quant à M. Sereda, du conseil scolaire de London, il ne croit pas que les compressions effectuées par le gouvernement provincial auront beaucoup d’effets sur la situation des nouveaux enseignants qu’il rencontre chaque printemps. Même si les facultés d’éducation cessaient complètement de former de nouveaux enseignants, il y aurait assez de candidats pour répondre à ses besoins pour les cinq prochaines années.

Les responsables des facultés d’éducation croient toutefois qu’il est difficile de prédire avec justesse les besoins futurs. À leur avis, l’Ontario doit modifier sa perception du rôle des facultés d’éducation et même envisager de prolonger la durée du baccalauréat en éducation en suivant l’exemple de l’Alberta. Au cours de la campagne électorale, le premier ministre Dalton McGuinty a promis que, si son parti était élu, il ferait passer de un à deux ans la durée du baccalauréat en éducation pour les étudiants déjà titulaires d’un baccalauréat.

En ce qui concerne la gestion des attentes des étudiants en enseignement, les doyens et les enseignants en devenir disent tous que ces attentes sont plus réalistes que jamais. Il restera toujours des étudiants qui choisiront de travailler très fort pour devenir enseignant à tout prix. « Ceux qui choisissent tout de même de présenter une demande d’admission sont des gens passionnés, affirme Mme Pitt. Ils ne baisseront pas les bras facilement. »

Rédigé par
Moira MacDonald
Moira MacDonald est journaliste à Toronto.
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