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Évolution des études sur la pornographie

Les chercheurs universitaires font des études sur la pornographie depuis au moins 30 ans, mais les opinions sont divisées.

par CHANTAL BRAGANZA | 14 JAN 15

Cet article est un sommaire de l’article « The evolution of porn studies ».

Mardi, 8 h 30. Nous sommes dans une classe où près de 40 étudiants de l’Université York se sont inscrits à l’automne 2013 pour parler de pornographie. Il s’agit de la première séance d’un nouveau cours sur la pornographie mis au point par Bobby Noble, professeur adjoint de sexualité et d’études du genre. M. Noble a dû contourner de nombreux obstacles administratifs pour présenter ce cours, il se devait donc de réussir. Et il a délibérément choisi d’offrir le cours tôt le matin pour s’assurer du « sérieux de la démarche des étudiants qui y participent ».

Ceux qui se seraient inscrits au cours Études sur la pornographie pour vivre un moment d’exaltation se seraient trouvés au mauvais endroit. Pendant les premières semaines, le professeur n’a présenté aucune image ni aucune séquence vidéo : les étudiants ont plutôt posé des questions, et proposé des réponses. Pourquoi certaines images sont-elles qualifiées de pornographiques et d’autres non? Quels types de préjugés culturels entourent habituellement la pornographie? Comment ont-ils évolué? Certaines des premières images montrées aux étudiants étaient des daguerréotypes datant des années 1850, montrant des femmes de l’époque victorienne en petite tenue. Les étudiants ont été « stupéfaits de constater que ce qui était considéré comme une pose aguichante il y a 100 ans différait autant de ce à quoi on s’attend aujourd’hui », explique M. Noble.

Il a fait le récit de son expérience dans le premier numéro de Porn Studies, une revue universitaire lancée par les éditions Routledge au printemps dernier. De nombreux reportages ont alors prétendu que l’étude de la pornographie était le sujet de l’heure dans les universités nord-américaines, mais si vous demandez à un professeur en études sur la pornographie, il vous assurera que l’étude des représentations sexuelles, sur papier et à l’écran, se pratique dans les universités depuis plus de 30 ans. Ce sujet d’études chargé d’histoire fait depuis toujours l’objet d’une controverse qui divise les milieux intellectuels et les mouvements activistes.

Au début des années 1980, la culture populaire voulait qu’une personne se disant féministe s’oppose automatiquement à la pornographie. En 1981, par exemple, la cinéaste canadienne Bonnie Sherr Klein a présenté C’est surtout pas de l’amour (Not a Love Story), un documentaire de l’Office national du film qui jetait un œil critique sur l’industrie des films pour adultes. Cependant, un changement s’opérait déjà dans la façon dont certains universitaires traitaient de la pornographie. En 1981, la journaliste et activiste Ellen Willis a inventé le terme « féminisme pro-sexe », critiquant ce qui était, selon elle, une vision puritaine de la sexualité des femmes.

C’est vers cette même époque que Thomas Waugh, professeur en études cinématographiques, a commencé à intégrer la pornographie à ses cours sur la sexualité et le cinéma à l’Université Concordia. Alors que l’Université appuyait son programme, il rapporte que les universitaires qui s’intéressaient au débat sur la pornographie au Canada et aux États-Unis étaient fortement divisés et s’affrontaient souvent lors de conférences ou dans les salles de classe.

Trois décennies plus tard, la recherche de Lisa Sloniowski illustre tout le chemin parcouru en matière d’études sur la pornographie. En collaboration avec M. Noble, Mme Sloniowski, bibliothécaire associée à l’Université York, a créé les archives de pornographie féministe. Au départ, il s’agissait de répondre aux besoins en documentation des participants aux cours de sexualité et d’études du genre, sans avoir à leur demander d’aller dans les boutiques érotiques. Cependant, « essayer de décider de ce qui fera partie de la collection, c’est accomplir un acte définitionnel, c’est-à-dire statuer sur ce qui constitue de la pornographie féministe », explique Mme Sloniowski.

Julie Lavigne, professeure de sexologie à l’Université du Québec à Montréal et auteure de La traversée de la pornographie, s’intéresse également aux définitions de la pornographie, mais du point de vue de l’histoire de l’art. « Décider de ce qui représente de la pornographie revient souvent à poser un jugement moral. Si on utilise des caractéristiques plus objectives, on constate que le terme “pornographie” a un usage plus restreint que d’autres comme “érotisme”. »

À l’Université Carleton, Lara Karaian, professeure adjointe en criminologie, étudie les cas où la pornographie touche au numérique, et particulièrement les « égoportraits » comme forme d’expression sexuelle. Elle a animé des groupes de discussion partout en Ontario dans le cadre d’une étude de deux ans sur l’expression sexuelle des adolescents par le numérique et sur les problèmes découlant des interventions des autorités pour l’encadrer (à savoir la tendance à accuser les adolescents de distribution de pornographie juvénile lorsqu’ils diffusent des photos sans consentement). Bien que les choses puissent mal tourner lorsqu’on partage des images de nature sexuelle avec les autres, Mme Karaian a découvert que, pour certains adolescents, les sextos sont un « important mode d’expression personnelle ».

Lynn Comella, professeure adjointe en études de la condition féminine à l’Université du Nevada, à Las Vegas, souligne qu’aux États-Unis, les professeurs qui étudient la pornographie doivent souvent lutter pour obtenir la légitimité et l’espace nécessaires dans un milieu éducatif conservateur. Selon elle, ils ne doivent pas seulement convaincre les législateurs d’État que l’étude de la pornographie est un sujet valide, mais aussi dissiper les préjugés selon lesquels les chercheurs adoptent une position « pour » ou « contre ».

Rebecca Sullivan, professeure d’études anglaises et d’études de la condition féminine et directrice de l’Institut d’études du genre de l’Université de Calgary, donne un séminaire de cinématographie sur la pornographie depuis 2008. À propos des films pornographiques, elle affirme : « Je veux les visionner de la même façon qu’on regarderait un film d’Hitchcock. Que se passe-t-il? Qu’apprenons-nous? » Le débat polarisé divise en plus d’être contre-productif et « antiscientifique », poursuit-elle.

Chantal Braganza est auteure, rédactrice et étudiante à temps partiel à la maîtrise en arts du programme de communication et de culture de l’Université Ryerson. Elle habite à Toronto.

Rédigé par
Chantal Braganza
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