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L’importance cruciale de la relation entre les étudiants aux cycles supérieurs et leur directeur de recherche

Les universités veillent de plus en plus à ce que la relation soit durable.

par VIRGINIA GALT | 09 OCT 13

Pendant la semaine de lecture de mars dernier, sur le campus presque désert de l’Université Laval, 40 professeurs débutants et chevronnés se sont réunis pour entreprendre un projet novateur. Issus d’un éventail de disciplines, de la médecine à l’agriculture, ils ont été intrigués par l’invitation de la Faculté des études supérieures et postdoctorales à former une « communauté de pratique » visant à les aider à devenir de meilleurs directeurs de recherche.

Les professeurs les plus chevronnés, directeurs de recherche expérimentés mais autodidactes, se sont joints au groupe dans l’espoir de partager leur expertise et d’explorer de nouvelles idées. « Nous avons également accueilli de jeunes professeurs qui ne savent aucunement comment entreprendre une relation d’encadrement avec un étudiant, explique Fernand Gervais, vice-doyen aux études supérieures et professeur de psychopédagogie à l’Université Laval. Le groupe présente une diversité très intéressante. L’objectif était de tirer parti de l’énergie des membres; de ce point de vue, la première rencontre a été un franc succès. »

La communauté a elle-même établi son programme et a déjà choisi les grands thèmes à aborder au cours des 12 prochains mois, explique Marie Audette, doyenne de la Faculté des études supérieures. « Par exemple, on explorera comment harmoniser les attentes de l’étudiant et celles du directeur, comment aborder les différences culturelles, comment aider les étudiants à devenir autonomes rapidement. »

Même pour les professeurs d’expérience, la direction de recherche peut engendrer un sentiment d’isolement, ajoute Mme Audette, qui prend part à la nouvelle communauté de pratique à titre de professeure de biochimie. Elle a été inondée de demandes de professeurs qui aimeraient voir d’autres groupes de ce genre mis sur pied à l’Université Laval.

Les professeurs sont le plus souvent de bons directeurs de recherche, selon les administrateurs et les étudiants, même si, jusqu’à récemment, il n’existait aucune formation professionnelle continue sur l’encadrement efficace des étudiants. Un sondage mené par l’Association canadienne pour les études supérieures en 2010 a révélé que plus de 80 pour cent des étudiants au doctorat dans les grandes universités de recherche du Canada étaient satisfaits de la qualité de la supervision (un deuxième sondage a été réalisé ce printemps). Malgré cela, les doyens des facultés d’études supérieures affirment que les universités canadiennes peuvent et doivent fournir aux professeurs les outils et les ressources nécessaires pour leur permettre d’assumer encore mieux ce rôle crucial. Le nombre d’étudiants aux cycles supérieurs a augmenté de plus de 80 pour cent entre 2000 et 2012, et l’éventail des programmes d’études à la maîtrise et au doctorat s’est beaucoup élargi.

Conscientes de leurs nouvelles responsabilités, les universités ont organisé des ateliers pour les nouveaux professeurs sur les pratiques exemplaires en supervision. Nombre d’entre elles ont publié des directives sur les droits et les devoirs des professeurs et des étudiants dans une relation d’encadrement. Certaines, comme l’Université Laval, adoptent de nouveaux concepts réunissant tous les professeurs, et non seulement les débutants. « La qualité de la relation avec son directeur de recherche est essentielle à la réussite de l’étudiant, précise Mme Audette. Lorsqu’elle pose problème, le risque de voir l’étudiant simplement abandonner est très élevé. Voilà pourquoi nous portons autant d’attention à la relation étudiant-directeur de recherche. »

De fait, les étudiants ne réussissent pas tous aussi bien. Joan Foley, médiatrice à l’Université de Toronto, avoue qu’il est fréquent que des étudiants aux cycles supérieurs lui fassent part sous couvert de confidentialité de certains problèmes, parmi lesquels l’impossibilité de trouver un directeur de recherche, la formulation tardive de commentaires sur les versions préliminaires de leur thèse, l’inadéquation ou l’incohérence de l’encadrement procuré, ou encore l’impossibilité pure et simple de consulter leur directeur de recherche. Certains se sont même plaints d’avoir à accomplir un « surplus de travail pour le compte de leur directeur de recherche, au détriment de l’avancement de leur thèse ».

Comme le superviseur est en situation d’autorité, les étudiants autorisent rarement Mme Foley à enquêter et à intervenir. « Ils craignent que cela ne fasse qu’empirer les choses », souligne-t-elle dans son dernier rapport annuel. Les étudiants usant rarement des mécanismes de plainte à leur disposition, les administrateurs universitaires peinent à déterminer s’ils ont réellement été victimes d’injustice, et s’il s’agit d’un cas isolé ou d’un problème répandu. Mme Foley précise toutefois que ces problèmes ne sont pas propres à l’Université de Toronto.

Les doyens des facultés d’études supérieures se disent tous très attentifs à ces problèmes, en présence comme en l’absence de plaintes officielles. Selon Carolyn Hibbs, présidente de l’Association des étudiants aux cycles supérieurs de l’Université York et représentante de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, l’action menée par les professeurs aux cycles supérieurs pour déceler et résoudre ces problèmes par l’émission de lignes directrices et la formation est « indubitablement une bonne chose ». Elle estime toutefois que les universités doivent veiller davantage au respect des lignes directrices, car « le bris de la relation entre un directeur de recherche et un étudiant pénalise avant tout ce dernier ».

À l’invitation de l’Association des étudiants aux cycles supérieurs de l’Université de Toronto, le vice-doyen aux affaires étudiantes de cet établissement, Luc De Nil, a récemment participé à un atelier sur les droits des étudiants. Une représentante de l’Association, Gail Alivio Fernando, a à cette occasion confié qu’un étudiant totalement désemparé s’était plaint auprès d’elle de ne recevoir ni rétroaction ni soutien de la part son directeur de recherche, souvent absent pour cause de déplacements professionnels ou personnels : « Il l’avait prévenu qu’il ne serait joignable ni par courriel ni par téléphone pendant ses absences. » Elle a également rapporté le cas d’un étudiant dont la directrice de recherche, après avoir touché un financement de recherche, avait demandé aux étudiants de réorienter leurs recherches afin qu’ils coïncident avec le domaine de recherche financé.

L’Université de Toronto s’est dotée de lignes directrices très claires pour les étudiants, les professeurs et les administrateurs. Les directeurs de recherche sont tenus de prévoir des réunions à intervalles réguliers pour discuter des progrès accomplis, d’être « raisonnablement disponibles pour des réunions impromptues » et de prêter attention à tous les problèmes signalés. Ils doivent également veiller à assurer la continuité de la supervision pendant leurs congés ou absences prolongées. Ils sont en outre censés aider les étudiants à choisir un sujet de recherche pertinent et adéquat leur permettant de déposer leur thèse dans le délai prévu. Les étudiants sont eux aussi tenus à des obligations, dont celle de signaler à leur directeur de recherche tout problème dans leur relation avec lui.

M. De Nil estime que nombre de conflits peuvent être évités en discutant sans tarder des aspects de la relation entre directeur de recherche et étudiant : tenue de réunions à intervalles réguliers, attentes du directeur de recherche, signature des documents publiés, etc. Mme Audette est d’accord : « Il est essentiel que les parties cernent leurs attentes mutuelles dès le départ. »

Martin Kreiswirth, doyen des études supérieures et postdoctorales à l’Université McGill, propose régulièrement des séances de remue-méninges distinctes pour les étudiants aux cycles supérieurs et pour les professeurs. Il peut ainsi mieux cerner ce qui fonctionne et les points à améliorer par de la formation et de l’encadrement. M. Kreiswirth est particulièrement fier de son atelier « Comment gérer son superviseur » destiné aux étudiants aux cycles supérieurs. « Une fois la porte fermée, rien de ce qui se dit dans la pièce n’en sort. Nous discutons. Des cas particuliers sont abordés, des conseils sont formulés. L’exercice est riche d’enseignements. »

M. Kreiswirth estime également très stimulant l’atelier qu’il propose aux professeurs pour améliorer leur relation avec les étudiants dont ils dirigent les recherches. « Les participants mènent la danse. L’un confie avoir tel problème, un autre avoue avoir eu le même, et ils discutent de leurs expériences et des solutions qui ont porté leurs fruits. Je ne veux pas que les participants aient l’impression que nous cherchons à mettre au jour de graves problèmes, comme l’a fait la Commission Charbonneau. » Ces séances à huis clos lui permettent en prime d’avoir vent des problèmes que professeurs et étudiants hésitent à aborder publiquement.

Comme le précise M. Kreiswirth, pratiquement chaque grande université compte une structure destinée à aider les professeurs à peaufiner leurs compétences, mais uniquement en matière d’enseignement, pas de direction de recherche. « Les universités canadiennes ne s’intéressent que depuis peu à ce sujet de manière analytique et systématique. »

M. Kreiswirth travaille avec l’Université d’Oxford et l’Université nationale d’Australie à mettre sur pied un site Web interactif qui donnera accès à des ressources communes aux trois établissements, à des outils et des stratégies efficaces touchant la gestion de la relation directeur de recherche-étudiant, ainsi qu’à des scénarios adaptables, des méthodes proposées et des liens vers des études pédagogiques axées sur les études supérieures et la recherche postdoctorale.

La mise sur pied de ce site repose en partie sur les épaules de Lynn McAlpine, professeure de développement de l’enseignement supérieur aux universités McGill et d’Oxford, qui gère le site du Oxford Learning Institute consacré à la direction de recherche, que l’Université McGill entend imiter. Selon Mme McAlpine, l’une des grandes difficultés de la supervision de recherche aux cycles supérieurs a longtemps tenu au fait que les professeurs en étaient les seuls responsables. Cela change, puisque les universités assument désormais leurs responsabilités à divers degrés. « La supervision de recherche est une responsabilité collective », affirme t-elle. ((Voir « Recommandations d’Oxford » à la fin de l’article).

Au Royaume-Uni et en Australie, les codes de pratique gouvernementaux imposent aux établissements des responsabilités précises en matière de supervision de recherche. Ainsi, au Royaume-Uni, l’organisme Quality Assurance Agency for Higher Education oblige les nouveaux directeurs de recherche à participer à des activités de développement proposées par l’entremise de leur établissement et visant à garantir leur compétence. Ils doivent « apporter la preuve de leur perfectionnement professionnel constant par la participation à des activités destinées à les soutenir dans leur action à titre de directeurs de recherche ».

Il n’existe pas d’organisme ou de code de pratique du genre au Canada, mais les universités canadiennes accentuent leurs efforts pour rendre accessibles les ressources qu’exige le perfectionnement professionnel. Les administrateurs des facultés des études supérieures font appel aux représentants des professeurs et des étudiants pour concevoir des ateliers et des ressources en ligne. Les lignes directrices récemment mises à jour de l’Université de Toronto édictent ainsi à l’intention des professeurs, conseillers pédagogiques et directeurs de département des pratiques exemplaires. Elles recommandent que les étudiants et les directeurs de recherche consacrent dès l’amorce de leur relation un « temps de qualité » à discuter de manière précise de leurs attentes, des raisons de celles-ci et de leur souplesse. Les attentes les plus importantes sont consignées par écrit dans un contrat ou résumées dans un courriel échangé entre les parties, « qui peut servir de rappel de ce qui a été convenu et se révéler utile en cas de problème ». Une sorte de contrat prénuptial, en somme.

Wendy Hall, vice-doyenne de la faculté des études supérieures et du développement des programmes à l’Université de la Colombie-Britannique, explique aux étudiants que leur lien avec leur directeur de recherche « est l’un des plus importants de leur vie, une sorte de mariage appelé à durer six ou sept ans ». La faculté des études supé-rieures de l’établissement a d’ailleurs publié un document sur les attentes réciproques des étudiants et des directeurs de recherche. Selon la doyenne, Susan Porter, « ce document vise à servir de base à la signature d’un accord entre les parties ».

La faculté des études supérieures de l’Université de la Colombie-Britannique fournit sur demande de l’aide et des conseils aux étudiants et aux directeurs de recherche, ainsi que des ateliers axés sur le mentorat, la communication, la prévention et la résolution des problèmes ou encore la préparation des étudiants pour l’avenir. Hélas, comme c’est souvent le cas pour ce genre d’initiatives, « ce sont les plus motivés et proactifs, déjà aptes à devenir de bons directeurs de recherche qui y assistent, les autres ne viennent pas, déplore Mme Porter. Nous tentons d’y remédier en organisant de séances au sein même des départements et des facultés, où nous nous contentons de donner quelques conseils. Ça fonctionne. »

La faculté propose aussi des ateliers destinés aux chercheurs postdoctoraux susceptibles d’être appelés à diriger des recherches en laboratoire. Selon Mme Hall, c’est important, « car ils ne sont pas forcément prêts à agir comme directeurs de recherche ». De plus, comme le souligne le dirigeant de l’Association des étudiants aux cycles supérieurs de l’Université de Toronto, Bahram Farzady, il peut y avoir conflit si un étudiant au doctorat, qui s’attend à être dirigé par un professeur en vue, se retrouve sous la supervision d’un chercheur postdoctoral.

Un certain nombre d’universités proposent des séances sur les différences culturelles et sur la manière de venir en aide aux étudiants aux prises avec des problèmes de santé mentale ou d’autres problèmes personnels. Heather Macdonald, professeure adjointe à la faculté de médecine expérimentale de l’Université de la Colombie-Britannique, a assisté l’an dernier à un atelier sur la résolution des conflits où les participants ont pu discuter en petits groupes des qualités qui caractérisent les bons directeurs de recherche, peu nombreux, selon elle.

Chercheuse spécialisée en activité physique et en santé osseuse, Mme Macdonald a eu la chance de pouvoir compter au doctorat sur une excellente directrice de recherche : « Elle était régulièrement disponible, m’incitait à sortir des sentiers battus, à faire preuve d’indépendance. Elle était dure avec moi, mais ça m’a beaucoup apporté ». Mme Macdonald codirige aujourd’hui les recherches d’étudiants aux cycles supérieurs avec son ex-directrice de recherche, dont elle profite du mentorat et qui la remplacera pendant son congé de maternité cette année.

Mme Macdonald a goûté à certains des aspects les plus gratifiants de la direction de recherche. L’une des étudiantes qu’elle a dirigées, Christa Hoy, lui a notamment rendu hommage dans l’introduction de son mémoire de maîtrise sur l’influence de l’adiposité sur la qualité des os de l’enfant, de l’adolescent et du jeune adulte : « Ce mémoire n’aurait pu voir le jour sans les conseils d’experts et le soutien de certaines personnes. Je tiens avant tout à remercier mes deux directrices, Heather McKay et Heather Macdonald, de m’avoir poussée à approfondir ma compréhension des choses. La passion et le dévouement qu’elles affichent sont pour moi une vraie inspiration. »

Virginia Galt est une journaliste torontoise qui aborde fréquemment les questions professionnelles et sociales.

Recommandations d’Oxford

Le site Web du Oxford Learning Institute sur l’encadrement des étudiants aux cycles supérieurs regorge de ressources pour les étudiants, les professeurs – nouveaux comme chevronnés – et toutes les personnes concernées par la question, qu’elles soient ou non de l’Université d’Oxford. Le site Web est conçu pour être ouvert, informatif et accessible, selon Lynn McAlpine, professeure de développement de l’enseignement supérieur, qui collabore avec l’Université McGill à l’élaboration d’un site semblable.

La section consacrée à la direction de recherche comporte des rubriques consacrées aux étudiants au doctorat, à la fonction de directeur de recherche, aux étapes d’un doctorat, aux examens, au milieu de la recherche et aux contextes national et international. Chaque rubrique est segmentée en trois parties, respectivement consacrées à de l’information sur l’Université d’Oxford, aux idées et outils recueillis des directeurs de recherche, de la documentation et des étudiants au doctorat, ainsi qu’aux enseignements de la recherche et de la documentation, le tout étant « rédigé avec rigueur dans un style simple et direct ».

Ce site peut notamment être utile aux professeurs chevronnés d’Oxford, souvent appelés à assurer le mentorat de jeunes collègues ou à codiriger des recherches. Il comporte d’ailleurs une série de questions à aborder dès le départ. Par exemple : Comment faire en cas de formulation de conseils contradictoires? Qui doit avoir le dernier mot; l’étudiant, le directeur de recherche principal, ou les divers membres de l’équipe en fonction de leur domaine d’expertise? Quel est le rôle d’un directeur de recherche adjoint par rapport au directeur principal?

Un site à consulter!

Rédigé par
Virginia Galt
Virginia Galt is a Toronto-based freelancer.
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