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Jamais trop tard pour apprendre

À l’heure de la retraite, les baby-boomers se ruent par milliers vers les universités du troisième âge. Portrait d’une tendance.

par YVES LUSIGNAN | 04 AOÛT 09

L’historien Gratien Allaire, de l’Université Laurentienne de Sudbury, Ontario, discutait un jour d’informatique avec son frère cadet. Ils étaient au chevet de leur père mourant et croyaient ce dernier profondément endormi. Quelle ne fut pas leur surprise d’entendre leur père soupirer : « C’est dommage que je sois à la veille de mourir. J’aurais aimé apprendre, moi aussi! »

Ce moment fut une véritable révélation pour M. Allaire, l’un des piliers de l’Université du troisième âge (UTA) à Sudbury.

Loin d’être un club de l’âge d’or transformé en haut lieu du savoir, l’UTA est plutôt un lieu d’apprentissage qui s’adresse aux personnes de 50 ans et plus. C’est d’ailleurs le seul critère d’admission pour en faire partie. Eh oui, le troisième âge débute à 50 ans!

L’UTA est une « université » qui ne fait pas partie du réseau universitaire régulier, qui n’exige de ses étudiants aucun diplôme préalable, aucun travail scolaire et aucun examen, mais qui n’accorde ni crédit scolaire ni diplôme.

Il s’agit d’apprendre pour le simple plaisir d’apprendre, dans le but de faire travailler son cerveau et de socialiser. Les cours durent généralement 20 heures réparties sur 10 semaines. Il y a toutefois des frais d’inscription à payer à l’UTA. Il n’y a rien de gratuit de nos jours, pas même pour les aînés!

L’aventure des UTA a débuté en Europe en 1973, avec la fondation de la première UTA à Toulouse, en France, par le professeur Pierre Vellas. Ce dernier souhaitait offrir un programme d’activités qui respecte les conditions d’apprentissage, les besoins et les aspirations propres aux personnes âgées.

Le mouvement s’est développé en France, puis la Belgique, l’Espagne, la Suisse, la Pologne, le Canada, la Suède, l’Italie, les États-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie ont emboîté le pas.

L’Université de Sherbrooke (U de S) a été la première au Québec à adopter cette formule en fondant en 1976 la première UTA en Amérique. L’idée a fait son chemin et des groupes de personnes âgées ont commencé à demander à l’U de S de créer des UTA dans d’autres régions.

On compte maintenant 27 « antennes » affiliées à l’U de S dans 10 régions du Québec, dont les Cantons de l’Est, le Centre-du-Québec, Charlevoix, l’île de Montréal, les Laurentides, la Montérégie et, dès cet automne, Laval. Tout ceci est possible, explique Monique Harvey, directrice de l’UTA de l’U de S, grâce aux 500 bénévoles qui permettent la tenue de plus de 800 activités par année : « C’est le fun de voir des gens qui, après 50 ans, ont encore envie d’apprendre et de stimuler leurs neurones. »

On peut parler d’un véritable engouement pour cette forme d’apprentissage sans contrainte parmi les personnes de plus de 50 ans. Pendant l’année 2008, on comptait, dans les 27 antennes de l’U de S, 8 262 étudiants qui suivaient des cours ou des ateliers, ou qui assistaient à des séminaires ou à des causeries. La participation semble différente selon le sexe, dit Mme Harvey, car on constate un plus grand nombre de femmes qui s’inscrivent aux activités de l’UTA (70 pour cent de l’effectif étudiant). Elles sont davantage attirées par les causeries alors que les hommes vont plutôt suivre les cours ou ateliers de longue durée.

Hélène Bérard, 61 ans, fait partie des milliers d’élèves charmés par l’UTA. Elle a travaillé pendant près de 40 ans comme secrétaire à la Faculté de droit de l’U de S et elle a vu le mouvement croître au fil des ans. « J’ai des tantes qui ont maintenant 90 ans et qui ont suivi des cours. Je me suis dit que c’était une formule gagnante pour garder les gens du troisième âge plus actifs, plus éveillés et plus intéressés à ce qui se passe. C’est ce qui m’a motivée à participer. »

André Lefebvre, qui a mis sur pied plusieurs antennes de l’UTA pour l’U de S entre 1996 et 2001, a rencontré au cours de sa carrière toutes sortes de personnes âgées ayant le désir d’apprendre. « J’ai vu des gens qui avaient comme scolarité une deuxième année, pas plus. Sauf que leur vécu, leur expérience leur avait donné une formation [bien à eux]. Il y a des gens qui étaient dans l’industrie, dans le commerce… des gens d’une intelligence supérieure. »

L’Université Laval a aussi mis en place à Québec, dès 1983, une UTA rattachée à la direction générale de la formation continue. Les quelque 4 000 étudiants sont âgés en moyenne entre 60 et 65 ans. La plupart des cours sont offerts sur le campus de l’Université Laval, bien que des cours se donnent aussi à Charlesbourg, à Lévis et à Montmagny. Il en coûte en moyenne entre 105 $ et 135 $ pour suivre un cours, comparativement à 75 $ à Sherbrooke.

Le programme a une structure « très universitaire », c’est-à-dire qu’il colle de près à ce qu’offre le secteur universitaire régulier, explique la coordonnatrice Johanne L’Heureux. « Le but est d’offrir un programme qui reflète bien la mission de l’Université Laval et qui s’éloigne des activités de loisir des municipalités. »

On note, à Laval comme ailleurs, une croissance importante du nombre d’étudiants depuis dix ans, ce qui s’explique notamment par l’arrivée des baby-boomers à la retraite. « Le but est de répondre à un besoin de ces gens qui cherchent à garder le contact avec le monde de la connaissance et à rester actifs sur les plans intellectuel et social. Le fait de venir à l’université empêche l’isolement », dit Mme L’Heureux.

L’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) suit le mouvement. Les premiers cours seront donnés cet automne sur le campus par des professeurs qui seront payés par l’UTA. Chaque cours coûtera environ 100 $ et les enseignants seront payés 60 $ l’heure. L’UQTR s’est engagée à soutenir la mise sur pied de l’UTA et à fournir une subvention annuelle jusqu’à la fin de l’entente. L’UTA devra par la suite s’autofinancer.

À Rouyn-Noranda, en Abitibi, le Réseau libre savoir est aussi très autonome par rapport à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, qui a par ailleurs donné un sérieux coup de main à son démarrage et qui prête gratuitement ses locaux.

« On a développé un modèle semblable à celui de Rimouski, explique la fondatrice du Réseau libre savoir, Anne-Marie Lemieux. On trouve des professeurs et on offre des cours. » Les frais pour suivre un cours sont de 80 $, et les professeurs sont payés 30 $ l’heure. Les cours sont offerts à Rouyn-Noranda, à Amos et à Val-d’Or.

Les professeurs des UTA ne pro-viennent pas toujours de l’université d’attache. Ce sont parfois des retraités de l’université d’attache, alors que d’autres proviennent du milieu collégial. À Sherbrooke, les professeurs sont parfois des étudiants de doctorat et « une infime minorité sont des professeurs de l’Université », dit Monique Harvey.

La formation continue… enrichie

La différence entre l’auditeur libre et l’étudiant qui suit un cours dans une UTA tient beaucoup à la démarche préconisée par les professeurs et au contenu du cours.

S’il est vrai que l’auditeur libre n’a ni travail à soumettre ni examen à préparer, il est également vrai qu’il paie pour avoir le privilège de suivre un cours du programme régulier, offert dans un cadre bien défini – et qui est parfois trop avancé pour lui, dans une classe formée pour l’essentiel de jeunes gens. L’étudiant inscrit à l’UTA suivra plutôt un cours qui fait place à la socialisation, qui est modulé en fonction de ce que les étudiants attendent, et qui est offert dans un cadre détendu où la flexibilité du professeur joue un rôle important.

« Le côté humain et la relation privilégiée entre le professeur et nos étudiants sont moins développés dans le secteur régulier, [alors que] ces aspects sont très importants pour nos étudiants », explique Johanne L’Heureux, coordonnatrice de l’UTA de l’Université Laval.

Il y a aussi une nuance entre la formation continue et le mandat de l’UTA. Selon Mme L’Heureux, en règle générale, les secteurs de la formation continue « répondent à des attentes plus spécialisées, puisque la plupart des étudiants proviennent du marché du travail et suivent des formations en lien avec leurs fonctions au travail ». Cela n’est pas le cas de ceux et celles qui suivent des cours dans une UTA, qui a une mission éducative et une clientèle différentes.

Il existe aussi des UTA francophones au Nouveau-Brunswick. Dans la Péninsule acadienne, les UTA ont d’abord vu le jour en 1989 à Caraquet, à Bathurst et à Shippagan, et ensuite à Tracadie-Sheila en 1993. Ces UTA sont affiliées à l’Université de Moncton, qui couvre le coût des cours et des conférences. Les étudiants paient seulement 5 $ pour les documents imprimés. Les professeurs sont payés par l’Université de Moncton.

On compte environ 3 000 élèves du troisième âge, dont l’âge moyen est de 65 ans, dans la région de l’Atlantique. La majorité d’entre eux proviennent du nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Le 4e congrès de l’Association des universités du troisième âge francophone en Amérique a eu lieu à Caraquet en juin dernier.

La barrière psychologique

Si l’avenir semble sourire aux UTA, la partie n’est pas gagnée d’avance pour certaines d’entre elles. En Ontario, l’UTA de Sudbury a été créée en 1993. Cet organisme autonome, partiellement rattaché à l’Université Laurentienne, compte 150 membres âgés de 55 ans et plus.

À Sudbury, il a d’abord fallu briser la barrière psychologique entre la population et l’université, puisque la proportion de Franco-Ontariens qui ont un diplôme universitaire est moins élevée qu’au Québec. On a ensuite expérimenté pour trouver la formule qui convenait aux francophones de la région. « Je ne vous cache pas qu’il s’agit d’un défi », dit l’historien Gratien Allaire.

Pour l’instant, l’UTA de Sudbury n’offre pas de cours. Ce qui fonctionne le mieux, ce sont les brunchs éducatifs qui se tiennent une fois par mois. Pour les personnes aînées, « l’aspect socialisation est aussi important et parfois plus que la dimension enseignement et apprentissage », constate M. Allaire.

La conférence la plus courue à ce jour a été celle d’un professeur de sciences politiques qui expliquait ce qui se passe au Moyen-Orient. C’est à cette occasion que M. Allaire s’est souvenu de ce qu’il a vécu avec son père à l’hôpital.

« Les personnes du troisième âge ne sont pas intéressées à savoir pourquoi elles ont ou n’ont pas l’Alzheimer; elles sont intéressées par le monde dans lequel elles vivent. »

Et si les médecins prescrivaient l’apprentissage tout au long de la vie plutôt que des médicaments?

Entre-temps, au Canada anglais…

D’après un sondage réalisé par Julian Benedict, coordonnateur des programmes destinés aux aînés à l’Université Simon Fraser (SFU), il existe environ 50 programmes d’apprentissage continu pour les aînés au Canada anglais. Offerts par des universités, des collèges et diverses organisations non affiliées, ces programmes s’adressent généralement aux personnes de 50 ans et plus. Il peut s’agir de programmes de loisir axés sur les compétences pratiques ou encore de cours axés sur le savoir, semblables à ceux qui sont offerts dans les programmes de premier cycle.

Créé en 1974, le programme de la SFU est l’un des plus anciens au Canada, note M. Benedict. Le nombre d’inscriptions à ce programme augmente propotionnellement à la croissance du nombre d’aînés au Canada. En 1999, moins de 200 étudiants étaient inscrits aux trimestres de printemps et d’automne; en 2009, plus de 800 étudiants étaient inscrits au trimestre du printemps.

M. Benedict a sondé les participants et a constaté qu’ils aiment apprendre en compagnie d’autres aînés. « Ma recherche tend entre autres à montrer que nous devons éviter d’intégrer les aînés dans les programmes réguliers, car ils aiment manifestement se retrouver entre eux. »

Par ailleurs, les aînés arrivent maintenant à la retraite en bien meilleure santé qu’avant. Ils recherchent des occasions d’apprentissage flexibles, ce que M. Bene-dict qualifie de « loisirs cognitifs ».

Des difficultés se présentent toutefois. « J’ai observé une tendance partout au Canada : beaucoup de programmes destinés aux aînés subissent des pressions financières en raison des réductions globales des coûts », indique M. Benedict. Des recherches montrent que ces pro-grammes procurent des bienfaits pour la santé des aînés en permettant à ceux-ci de demeurer actifs et engagés socialement. Pourtant, « il faut toujours plaider en faveur [de ces programmes] auprès des établissements et des gouvernements ».

« Les universités doivent adopter une perspective d’avenir, commencer à investir de manière significative dans l’apprentissage continu et à financer les programmes existants ainsi que de nouveaux programmes, et fournir le soutien administratif nécessaire pour répondre aux besoins des aînés. »

André Lemieux abonde dans le même sens. Fondateur en 1983 de l’Institut universitaire du troisième âge de Montréal et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), M. Lemieux estime que les universités devraient s’occuper davantage de cette clientèle avant de frapper ce qu’il appelle « le mur démographique. »

À son avis, on se pose encore trop la question de la pertinence de l’apprentissage pour les personnes du troisième âge. « Les décideurs ne comprennent rien. Ils sont pris dans du court terme, ils ne voient pas le long terme. Je ne dis pas que ça va être le Klondike, mais ça va être une façon de changer l’université. Les universités ne voient pas cela : elles enseignent aux personnes du deuxième âge, pour le marché du travail, mais il faut que les universités changent, sinon il y en a qui vont fermer. C’est un simple reflet de la démographie. »

Rédigé par
Yves Lusignan
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