Passer au contenu principal

La pérennité des livres papier

Les manuels électroniques sont plus présents que jamais. Mais sont-ils vraiment sur le point de remplacer le livre traditionnel?

par TIM JOHNSON | 07 DÉC 09

Après des années de faux départs, des années à entendre les hérauts experts annoncer l’avènement d’une nouvelle ère, il semble que le manuel électronique soit enfin arrivé.

Est-ce vraiment le cas? Tout dépend de la personne à qui on s’adresse.

Le gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger, est sans contredit du nombre de ceux qui y croient. « Il est absurde et coûteux de se tourner vers les livres reliés traditionnels à l’époque où l’information est si facilement accessible en format électronique », affirme-t-il. Tenant quatre lourds manuels, il ajoute à la blague que ceux-ci auraient pu lui servir lors de ses légendaires séances d’entraînement, avant d’annoncer un plan visant à fournir aux élèves du secondaire en Californie des manuels électroniques, en commen-çant par les mathématiques et les sciences.

Étonnamment, la réticence des étudiants – ceux-là mêmes qu’on qualifie de magiciens du Web et de maîtres de la technologie – à s’adapter aux manuels électroniques constitue peut-être la plus importante pierre d’achoppement. Se plaignant de la convivialité et d’autres lacunes des appareils ainsi que du rapport qualité-prix, ceux pour qui se procurer des films ou de la musique en ligne relève de l’habitude optent tout de même invariablement pour les bons vieux manuels, épais et peu pratiques, lorsqu’on leur donne le choix.

On peut donc se demander si l’ère du manuel électronique est réellement arrivée (et, sinon, si elle arrivera un jour). L’enjeu est plutôt complexe. Les premiers manuels électroniques donnaient simplement accès à la version PDF statique d’un document imprimé. Ces dernières années, ils se sont beaucoup perfectionnés : ils sont conviviaux, et présentent une foule de fonctions ingénieuses et fort pratiques qui permettent de simuler des laboratoires pour les cours de sciences, de visionner des cours en format vidéo et de fournir des commentaires instantanés aux étudiants, qui peuvent aussi communiquer entre eux.

Au cours des derniers mois, l’entre-prise californienne CourseSmart LLC a lancé une nouvelle application iTunes, qui permettra aux utilisateurs d’un iPhone ou d’un iPod touch de téléchar-ger le contenu de plus de 7 000 manuels CourseSmart vers leur appareil. Amazon a dévoilé son nouveau Kindle DX, main-tenant disponible au Canada. L’écran de l’appareil est plus large que dans ses versions antérieures, pour accommoder les dimensions d’un manuel. Amazon met l’appareil à l’essai dans sept uni-versités américaines, et les commen-taires des étudiants sont dans l’ensemble positifs. Au même moment, l’éditeur de manuels McGraw-Hill Higher Education propose une nouvelle série de manuels électroniques qui présentent des fonctions sensation-nelles : logiciel d’enregistrement de cours, fonction de notation instantanée qui évalue automatiquement les réponses aux questions soumises électroniquement par l’enseignant, et transmet le bilan des résultats à ce dernier et aux étudiants.

Curtis Bonk, professeur à l’Université de l’Indiana, spécialisé dans les systèmes pédagogiques, rappelle combien la situation était différente lorsqu’il a écrit son premier livre électronique en 2000. « Il y a neuf ans, les éditeurs ne savaient même pas quel prix attribuer aux livres électroniques. Un jour, tout le monde se ruait sur ces produits, et un mois plus tard, le marché du livre électronique s’effondrait. Pendant de nombreuses années, c’était extrêmement instable », se rappelle

M. Bonk, qui a récemment publié l’ouvrage intitulé The World is Open: How Web Technology is Revolutionizing Education.

Les choses ont bien changé, et l’avancée la plus marquée s’est produite dans les dernières années, ce dont témoigne l’évolution de l’attitude généralisée des professeurs. « Je pense que nous sommes à l’étape de faire connaître le marché du livre électronique, et nous nous acheminons vers l’étape de l’acceptation, estime M. Bonk. Quand un plus grand nombre de personnes accepteront l’idée que le livre électronique est une option, ou la meilleure option à adopter en classe, je pense que les éditeurs n’hésitent plus à entrer dans la danse. »

Nul doute que bon nombre de professeurs et d’étudiants voient les avantages de faire le grand saut. Anne Jordan, professeure émérite à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario l’Université de Toronto, a rédigé un manuel électronique et s’en est servi dans le cadre de cours aux cycles supérieurs en éducation spécialisée. Ce fut une excellente expérience, affirme celle qui se dit « absolument vendue à l’idée ». Le manuel en ligne lui permettait d’intégrer de la vidéo, des exercices par glissé-déposé, des tests préparatoires et des commentaires individuels, ainsi que d’utiliser d’autres fonctions inter-actives. « L’enseignement s’en trouve complètement transformé; il ne s’agit plus de donner un cours magistral,

puis de donner aux étudiants des lectures à faire et des travaux à rédiger. L’inter-activité rend l’expérience d’apprentis-sage beaucoup plus personnalisée. »

Elle pouvait entre autres présenter des études de cas en format vidéo. Les étudiants visionnaient une vidéo montrant un enfant ayant des difficultés d’apprentissage, puis devaient évaluer la source du problème. La professeure formulait ensuite des commentaires, et ils concevaient un programme pour aider l’enfant, en abordant le problème à divers niveaux. « Contrairement à un livre imprimé, qui indique aux étudiants comment traiter un problème, on peut les inviter à réfléchir à une solution. Ensuite, le système intervient pour les orienter en fonction de ce qu’ils ont trouvé », explique Mme Jordan.

Chris Martin, étudiant en sciences politiques, en théâtre et en cinéma à l’Université McMaster, et vice-président responsable de l’éducation à l’association étudiante de l’Université, est conscient des possibilités offertes à sa génération douée en informatique. Il se dit enthou-siaste : un manuel électronique aux multiples facettes s’adapterait à la grande diversité de styles d’apprentissage – et serait moins dommageable pour l’environnement.

Malgré ces avantages technologi-ques et environnementaux, un certain nombre d’inquiétudes demeurent. Étonnamment, la réticence des étudiants à s’adapter aux manuels électroniques constitue peut-être la plus importante pierre d’achoppement.

Le coût abordable des manuels électroniques est l’un des arguments vendeurs : ils sont souvent deux fois moins chers que les manuels tradition-nels. M. Martin signale toutefois que les documents électroniques ont souvent une date limite d’utilisation. Après un certain temps (généralement 180 jours dans le cas des livres CourseSmart), la page disparaît tout simplement. C’est ce qu’on appelle littéralement une bombe à retardement, dans le jargon du cyberlivre. « Si un étudiant paie pour un produit, ce dernier devrait lui appartenir, tout comme ce serait le cas d’un manuel traditionnel », soutient-il.

Il y a aussi la question de l’appareil. De l’avis de M. Martin, les étudiants ne sont généralement pas chauds à l’idée d’adopter de nouveaux gadgets et logiciels, surtout si la technologie est coûteuse. Les bons vieux manuels n’ont pas besoin d’être branchés à une source d’alimentation, ou encore d’une pile ou d’une connexion Internet. Il ajoute que les manuels électroniques peuvent poser un problème d’accessibilité pour les étudiants qui ne peuvent se payer un ordinateur portable, un téléphone intelligent ou un lecteur Sony.

De plus, rares sont les étudiants qui aiment étudier directement à l’écran. Cela ne permet pas d’annoter, de griffonner, de corner une page ou de lire pendant des heures sans se fatiguer. « Quand je dois lire à l’écran, je ne m’éternise pas », avoue Joanna Moon, récente diplômée de l’Université Queen’s. Lorsqu’elle étudiait en biologie et en sciences de la santé, elle imprimait les articles provenant de revues en ligne pour en faciliter la lecture.

De récents logiciels et appareils permettent à l’utilisateur de prendre des notes et de surligner des passages, mais cela n’est pas comme écrire sur une feuille de papier. « Pour lire des textes, le format importe peu, mais quand vient le temps d’étudier, les étudiants préfèrent généralement utiliser une copie papier, fait observer Mark Lefebvre, gestionnaire des activités liées aux livres à Titles, la librairie de l’Université McMaster, et vice-président de la Canadian Booksellers Association. Peut-être y a-t-il des techniques d’études utiles qui ne peuvent s’appliquer que de façon tangible, physique. »

Fort de plus de 40 ans d’expérience dans l’industrie de la publication et le directeur de University of British Columbia Press, Peter Milroy, estime que le livre a quelque chose d’intemporel. « Les supports utilisés pour la musique n’ont cessé de changer au fil du temps : disque de cire, 78 tours, 45 tours, 33 tours, ruban à huit pistes, cassette, disque com-pact, MP3. Le mouvement a toujours été constant, fait-il remarquer. Le livre, lui, n’a pas changé, principalement parce que ce médium est assez bien pensé. »

Comme le précise David Stover, président d’Oxford University Press Canada, des recherches effectuées par l’entreprise révèlent que l’idée du livre électronique suscite de l’intérêt, mais que les produits offerts ne sont pour le moment pas satisfaisants. « Ils n’offrent pas encore une expérience vraiment agréable », affirme-t-il, notant que les manuels électroniques représentent moins de un pour cent des ventes de manuels aux presses Oxford Canada.

Il prédit toutefois que les choses s’accéléreront quand un fabricant mettra au point un appareil électronique offrant tout ce dont les étudiants ont envie et besoin et qui leur plaît.

M. Bonk soutient que, « un jour, un produit comme l’iPod et l’iPhone apparaîtra en tête de liste, et tous se rueront sur cet appareil. Mais celui-ci n’existe pas encore. »

Des experts américains et cana-diens établissent à environ cinq pour cent la proportion du marché du manuel scolaire occupé par les produits électro-niques. Ce n’est pas énorme, mais dans un marché de plusieurs milliards de dollars, cela n’est pas négligeable. De l’avis de M. Bonk, le tournant pourrait approcher.

« On ne peut plus dire que nous n’en sommes qu’à l’étape des essais. À mon avis, le livre électronique va rapidement gagner des parts de marché. Et je pense que ce sera une véritable explosion. »

Rédigé par
Tim Johnson
Missing author information
COMMENTAIRES
Laisser un commentaire
University Affairs moderates all comments according to the following guidelines. If approved, comments generally appear within one business day. We may republish particularly insightful remarks in our print edition or elsewhere.

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  1. Ebook / 2 juillet 2010 à 08:14

    Les Ebooks sont beaucoup mieux que les livres papier 🙂

Click to fill out a quick survey