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La philosophie sous un autre jour

Les perspectives d'emploi des titulaires d'un diplôme en philosophie sont de plus en plus réjouissantes

par DANIEL DROLET | 03 NOV 08

Il y a 30 ans, Jim Mitchell, originaire de la Colombie-Britannique, refusait deux offres d’emploi comme professeur à l’université. Après avoir étudié la philosophie et obtenu un doctorat de l’Université du Colorado, il préférait ne pas passer les décennies suivantes au même endroit. Il entreprend donc une carrière au sein de la fonction publique fédérale canadienne et grimpe les échelons jusqu’au poste de secrétaire adjoint du Cabinet, où il conseille des premiers ministres en ce qui a trait à l’organisation du gouvernement.

Surpris mais ravi, il se rend compte que ses études en épistémologie et en métaphysique l’ont bien préparé à jongler avec les mécanismes complexes du gouvernement fédéral. M. Mitchell, qui quitte par la suite la fonction pu-blique pour devenir associé fondateur du groupe d’experts-conseils Le Cercle Sussex, établi à Ottawa, n’est pas le seul à trouver que ses études en philosophie ont porté leurs fruits.

En effet, il y a une prise de cons-cience croissante à cet égard : les gens qui étudient la philosophie acquièrent des compétences tout à fait transfé-rables, utiles dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, et qui conduisent à de longues carrières bien rémunérées.

Selon Statistique Canada, les inscriptions à temps plein dans les programmes de philosophie des universités canadiennes ont augmenté de 54 pour cent entre 2000 et 2004; cela constitue plus du double de l’augmentation moyenne de 25 pour cent qu’a connue l’ensemble des programmes au cours la même période.

Non seulement le nombre d’étudiants qui suivent des cours de philosophie est en hausse, mais les perspectives d’emploi des titulaires d’un diplôme dans ce domaine sont de plus en plus réjouissantes. Les écoles de droit apprécient les diplômés en philosophie, car leur formation leur a appris à développer leur pensée critique et à défendre leur point de vue, alors que les entreprises aiment leur habileté à aborder les problèmes sous différents angles. Même en ingénierie et dans d’autres domaines techniques, les philosophes sont appréciés pour traiter entre autres des questions éthiques.

« En plus de développer les compétences en communication et l’habileté à organiser des tâches complexes, la philosophie favorise la capacité d’analyser différents points de vue et de trouver des solutions à divers problèmes, explique Jeff Noonan, directeur du département de philosophie de l’Université de Windsor. Un éventail impressionnant d’emplois requièrent de telles compétences. »

C’est certainement ce qu’a découvert M. Mitchell. « J’ai pris conscience que je baignais littéralement dans la même réalité que lors de mes études en philosophie, soit des situations assez complexes en théorie et en pratique. Ma formation en philosophie s’est avérée très utile à cet effet.

« La morale de cette histoire, ajoute-t-il, c’est que mes études philosophiques m’ont très bien préparé au genre de travail que j’ai choisi, chose que je n’aurais pu prévoir. »

Les titulaires d’un diplôme en philosophie embrassent un large éventail de carrières, indique Francis Peddle, professeur de philosophie du droit au Collège dominicain de philosophie et de théologie (Collège universitaire dominicain), à Ottawa. Certains de ses anciens étudiants travaillent maintenant dans les domaines des affaires internationales, du droit, de l’administration publique ou des affaires. Parmi ses étudiants, on compte également des fonctionnaires venus parfaire leurs connaissances. Un de ses étudiants au doctorat, qui travaille au service des ressources humaines du ministère de la Défense nationale, étudie d’ailleurs le courant de pensée actuel sur le capital humain au sein de la nouvelle économie.

La philosophie semble se prêter particulièrement bien au droit. Kate McGillis a obtenu son diplôme en philosophie à l’Université de Calgary en 2005 et, suivant une carrière universitaire typique, entreprendra des études à la faculté de droit de l’établissement cet automne.

« Je ne pensais pas étudier en droit, se rappelle-t-elle, mais je crois que la philosophie y mène naturellement, car elle nous apprend à décomposer des arguments. »

Daniel Gervais, professeur à l’Université d’Ottawa et depuis peu doyen par intérim des études en common law de l’établissement, admet qu’il y a aujourd’hui un lien particulièrement étroit entre le droit et la philosophie. « Ce n’est pas uniquement parce que la philosophie enseigne comment construire des arguments, mais aussi parce que le domaine du droit a changé la façon dont il se définit. »

« La loi se voit de moins en moins comme un domaine technique où l’on applique des règles et de plus en plus comme une science sociale influencée par ce que nous appelons la philosophie de la loi. » Par exemple, dans un contexte de mondialisation, le droit est forcé d’examiner sa structure par rapport à d’autres pays et en relation avec des va-leurs universelles, explique M. Gervais.

Les écoles de commerce s’inté-ressent aussi aux philosophes. Ce printemps, l’école de gestion Sauder de l’Université de la Colombie-Britannique a lancé un programme de maîtrise d’un an en gestion des affaires, conçu à l’intention des diplômés de programmes non liés aux affaires, tels que les titu-laires de diplômes en philosophie.

« Un diplôme en philosophie présente une valeur ajoutée (pour utiliser une expression propre au monde des affaires) : la capacité d’analyser des problèmes à partir d’un cadre systématique applicable à de nombreuses situations, observe Dale Griffin, vice-doyen des programmes d’études et professeur de marketing à l’école de gestion Sauder.

« Nul doute qu’il y a dans le monde des affaires un engouement pour les gens qui pensent de manière créative et analy-tique, en dehors des sentiers battus, ajoute-t-il. Le fait de recruter des candidats provenant d’une plus grande sphère est inédit, et il sera très intéressant de voir comment les philosophes soulèveront des questions de façon critique. »

Gordon Cheesbrough fait partie des philosophes qui ont bien réussi en affaires. Diplômé de l’Université de Toronto, M. Cheesbrough est l’ancien président-directeur général des Services de placement Altamira, une des plus importantes sociétés de fonds communs de placement au pays. Il est maintenant associé directeur de Blair Franklin Capital Partners, un cabinet de consultation financière, et président du conseil consultatif des arts et sciences de l’Université de Toronto.

« Je crois que la valeur des études en philosophie ou en arts libéraux tient au fait qu’on y apprend à faire preuve d’esprit critique et à jongler avec des concepts », affirme M. Cheesbrough. Ses trois enfants ont étudié les arts libéraux, et le plus jeune termine ses études en philosophie et en sciences politiques au Collège Trinity de Dublin.

M. Cheesbrough s’est retrouvé dans le monde des affaires après l’université, lorsqu’il a suivi un programme de formation au sein de la compagnie McLeod Young Weir. « En entrant à l’université, je ne savais pas ce que je voulais faire », dit-il. Mais le programme en philosophie lui avait appris à envisager les problèmes de façon critique, sous différents angles. Il a tout de suite su mettre ces notions en pratique dans le monde des affaires. Il a même mis ses études universitaires sur le shintoïsme japonais d’après-guerre à profit lorsque McLeod Young Weir a ouvert un bureau au Japon dans les années 1980, car il était en mesure de comprendre la façon de penser des clients japonais.

L’intérêt renouvelé en matière de philosophie n’est pas présent qu’au Canada. Le New York Times rapportait récemment que les demandes d’admission en philosophie s’étaient multipliées aux États-Unis, alors que le Guardian indiquait que les employeurs du Royaume-Uni recherchaient de plus en plus de titulaires de diplômes en philosophie.

Les cours sur l’éthique

Cette augmentation de la demande s’explique en partie par la création de cours sur l’éthique. Luc Langlois, doyen de la faculté de philosophie de l’Université Laval et ancien président de l’Association canadienne de philosophie, explique que l’établissement offre désormais un cours intitulé Éthique et professionnalisme, obligatoire pour les étudiants de 16 disciplines techniques, y compris la chimie, l’informatique, la géomatique et le génie mécanique, et optionnel pour ceux de cinq autres.

« Pendant deux ans, tous les étu-diants en génie devaient suivre le cours Éthique et professionnalisme, explique M. Langlois. Cela représente de 700 à 1 000 étudiants par année. »

La philosophie gagne aussi en popularité pour d’autres raisons, dit-il. D’abord, « je pense qu’on se vend mieux ». L’Université Laval a déployé des efforts de toutes sortes pour élargir les possibilités liées à la philosophie. L’établissement offre un baccalauréat intégré en philosophie et science politique et a mis sur pied l’Institut d’éthique appliquée, un regroupement multidisciplinaire affilié à la Faculté de philosophie. L’Université a également créé une chaire de recherche nommée La philosophie dans le monde actuel, qui vise à appliquer les principes philosophiques aux préoccupations fondamentales de notre époque, comme la manière d’équilibrer le développement économique et le respect de l’environnement ou le parallèle entre la dignité humaine et les progrès en biotechnologie.

M. Langlois croit que la popularité croissante de la philosophie tient également au fait que les étudiants cherchent à donner un sens au monde dans lequel ils vivent. « Il y a une recherche de repères qui est symptomatique des étudiants qui viennent étudier la philosophie. » D’une certaine manière, observe-t-il, la philosophie a remplacé la religion dans notre société laïque, procurant ainsi aux gens un cadre leur permettant de réfléchir à des questions fondamentales.

D’autre part, les gens reconnaissent l’aspect pratique de la philosophie. Il cite en exemple Charles Taylor, professeur de philosophie à l’Université McGill, qui a coprésidé la récente enquête publique québécoise sur les accommodements raisonnables envers les immigrants.

M. Noonan, de l’Université de Windsor, explique que les départements de philosophie ont appris à se mettre en valeur dans un monde où les universités luttent pour obtenir des fonds et attirer des étu-diants, et où les parents tiennent à ce que l’investissement dans l’éducation de leurs enfants rapporte. « Les parents veulent savoir ce que leurs enfants pourront faire avec leur diplôme », explique-t-il.

Bien que certains traditionnalistes semblent décontenancés par le nouveau profil de la discipline, d’autres sont ravis d’obtenir une certaine reconnaissance. Selon M. Noonan, la philosophie a longtemps été vue comme accessoire. « Les gens ne reconnaissaient pas la contribution cruciale de cette discipline à la vie scientifique et éthique du pays. »

Rédigé par
Daniel Drolet
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