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La piqûre des abeilles

par STEPHEN STRAUSS | 07 JAN 08

Lorsqu’on lui demande pourquoi il n’étudie pas l’abeille mellifère, Laurence Packer répond que « si on empilait toutes les recherches du monde portant sur l’abeille mellifère, la pile monterait jusqu’ici », en plaçant une main à la hauteur de sa ceinture. Puis, il descend la main à la hauteur de son genou et ajoute : « Tandis que les recherches consacrées aux quelque 20 000 autres espèces d’abeilles ne formeraient qu’une pile de cette hauteur. Trouvez l’erreur. »

M. Packer, professeur de biologie à l’Université York, s’est engagé à corriger ce déséquilibre.

Seule l’abeille mellifère produit du miel. Toutefois, les autres espèces d’abeilles jouent un rôle vital, bien que méconnu, dans la pollinisation des plantes. Selon M. Packer, c’est à cause de cette méconnaissance que ces abeilles sont si peu étudiées. Afin de redresser la situation, il a entrepris de lancer une initiative canadienne sur la pollinisation et d’étudier le bassin de plus de 800 espèces d’abeilles non mellifères qui existent au Canada et qui contribuent à la pollinisation, tant sur les terres agricoles que dans l’ensemble de la nature.

Le laboratoire de M. Packer est rempli de collections de spécimens d’abeilles. La plupart ne ressemblent en rien aux abeilles ou aux bourdons auxquels nous sommes habitués et s’apparentent davantage aux guêpes, aux fourmis volantes ou aux mouches. C’est avec fierté qu’il mentionne que son laboratoire est en train de devenir le siège non officiel de toutes les collections d’abeilles du Canada.

Les efforts de M. Packer pour améliorer notre connaissance des abeilles ne se limitent pas à donner aux abeilles ordinaires le mérite qui leur revient. Il mène également un projet visant à produire le code à barres de l’ADN de toutes les espèces d’abeilles du monde. La technique du code à barres génétique, mise au point par le biologiste Paul Hebert à l’Université de Guelph, permet de produire l’empreinte génétique d’une espèce à partir d’un fragment de gène, soit l’équivalent du test de l’ADN pour déterminer un lien de parenté.

Il explique qu’il serait avantageux de pouvoir attribuer un code à barres à chaque espèce pour deux raisons : « D’abord, la plupart des spécimens exposés dans les musées ne sont pas identifiés. Ensuite, seulement de 60 à 70 pour cent de ceux qui le sont portent le bon nom. »

M. Packer a choisi d’étudier les abeilles alors qu’il était à l’Université d’Oxford « parce qu’elles sont belles, se souvient-il. Ce n’est que plus tard que je me suis rendu compte à quel point elles sont intéressantes », ajoute-t-il. Arrivé au Canada en 1981 après avoir obtenu une bourse de l’OTAN pour faire son doctorat à l’Université de Toronto, il a joint les rangs de l’Université York en 1988.

« Discuter avec lui est toujours agréable. […] Ses exposés sont généralement ponctués d’histoires drôles », commente Jerry Rozen, autre passionné d’abeilles, de l’American Museum of Natural History. Ses étudiants abondent dans le même sens : « Il n’utilise jamais de notes et a l’aisance d’un animateur de télévision », observe Milos Mihac, étudiant de quatrième année.

Les étudiants de M. Packer doivent s’attendre à effectuer des travaux sur le terrain fort intéressants et souvent exigeants physiquement, comme l’explique Anne-Isabelle Gravel, qui a dû affronter des conditions d’échantillonnage extrêmes en Patagonie, où les abeilles abondent, à cause du vent constant.

Une autre étudiante, Hien Ngo, s’est récemment rendue au Costa Rica pour étudier la diversité des abeilles dans les champs de café. Elle a découvert que malgré leurs avantages environnementaux, les champs de café ombragés grâce aux arbres présentent un inconvénient : les abeilles y sont moins nombreuses que dans les champs à découvert, probablement parce qu’elles aiment construire leurs nids dans le sol et que les terres agricoles présentent de plus grandes étendues.

Au Canada, Sheila Colla, qui étudie les bourdons dans le sud de l’Ontario, a constaté qu’une espèce qui, il y a 35 ans, représentait 14 pour cent des abeilles de la région s’est complètement éteinte. Ensuite, elle a découvert que cette espèce a disparu partout dans l’est de l’Amérique du Nord, sans que personne ne s’en rende compte.

Une autre piste a permis à M. Packer et à Amro Zayed, ancien étudiant au doctorat, d’étudier un aspect jusque-là inconnu de la sexualité des abeilles qui pourrait précipiter leur extinction. Ils ont découvert un mécanisme de détermination sexuelle qui provoque la transformation de certaines abeilles femelles en mâles stériles. à cause de ce mécanisme, les abeilles risquent de disparaître dix fois plus vite que d’autres espèces dont la population est de taille semblable.

Lorsqu’on interroge M. Packer sur ses prochains travaux, cet amoureux des abeilles répond qu’il étudiera la sociobiologie, la conservation et la biodiversité des abeilles. Les sujets à butiner ne manquent pas!

Rédigé par
Stephen Strauss
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  1. François Carré / 1 janvier 2010 à 03:59

    Bonjour,

    J’ai pratiqué l’apiculture pendant plus de 40 ans, d’une façon plus ou moins intensive avec plus de 100 colonies, et, n’ai vraiment compris un certain nombre de comportements qu’à travers l’observation en ruchettes appropriées, un peu vicieuses.

    L’étude des comportements des insectes m’a toujours passionné, et, plus spécifiquement, pour l’apis mellifica, à l’état du groupe, où semble régner l’auto-gestion (la « reine » n’étant qu’une mère ne gérant rien) et dans l’état individuel, hors habitation, où l’insecte est livré à lui-même, entièrement responsable de sa destinée.

    Pour ce qui concerne les abeilles solitaires, qui « pratiquent » un état individuel absolu ou presque (hors moments de fécondation), il serait intéressant de pouvoir se pénêtrer des aspects psychologiques de cette situation, peut-être, ou sans doute, un des facteurs de vulnérabilité de ces insectes et de la disparition aisée de certaines espèces.

    En ce qui me concerne, définir la plupart des comportements de ces êtres vivants comme innés me semble un comportement humain restrictif et condescendant qui n’est pas pour ré-hausser son prestige et ferme la porte aux possibilités de compréhension, ce qui est dommage.

    On peut remarquer que chaque colonie d’abeilles à miel possède des manières de se comporter très différentes, et, c’est assez étonnant, de sorte, qu’il est permis d’échafauder des hypothèses et d’établir des recoupements.

    En fait, on ne prête que peu d’intelligence aux insectes dans la mesure où l’on se trouve malheureusement par trop incapables de les comprendre, et, incapables de reconnaître nos limites.

    Félicitations pour votre orientation qui, peut-être, nous permettra de résoudre en partie nos propres dilemmes de solitude.

    Bien cordialement.

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