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Le combat pour la revitalisation des langues autochtones au Canada

« Toutes ces langues sont menacées, affirme une universitaire. Toutes sans exception. »

par MARK CARDWELL | 08 NOV 10

Un lundi soir de mars dernier, peu avant 19 h, les participants à une expérience culturelle unique au Canada s’installent dans une salle de classe de la minuscule réserve huronne de Wendake, au nord de la ville de Québec. À l’entrée, on entend des koué et des ndio, des mots de bienvenue dans leur langue ancestrale, le wendat. Une fois installés, les 16 étudiants (autant d’hommes que de femmes, âgés de 15 à 76 ans) passent les deux heures suivantes à tenter de converser dans une langue qui n’est plus parlée depuis plus d’un siècle.

Ils participent à Yawenda, un projet d’un million de dollars financé par le gouvernement fédéral et qui vise à raviver la langue huronne-wendat dans la réserve Wendake. Lancé en août 2007, ce projet quinquennal est entré dans une phase cruciale au printemps dernier avec le début de deux cours hebdomadaires auxquels participent une quarantaine d’étudiants. Un troisième cours a commencé en avril. Le projet comprend également un volet de formation des enseignants et de création de matériel didactique pour faciliter l’enseignement de la langue huronne-wendat à la maternelle et au primaire.

« Faire renaître une langue morte est une tâche monumentale, explique le chercheur principal du projet Louis-Jacques Dorais, anthropologue à l’Université Laval, située à proximité de la réserve. « Mais les Hurons ont la volonté d’assurer la réussite du projet et travaillent fort pour y arriver. »

Des sentiments similaires animent plusieurs projets de revitalisation linguistique dans des collectivités autochtones de partout au Canada, et une poignée d’universitaires issus de différents domaines y jouent souvent un rôle de premier plan. L’enjeu, selon les experts, est la survie des 52 langues autochtones qui contribuent à faire du Canada un des pays les plus diversifiés au monde sur le plan linguistique.

« Toutes ces langues sont menacées », affirme Lorna Williams, membre de la Première Nation Lil’wat, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la connaissance et l’apprentissage chez les Autochtones, et professeure adjointe au département d’éducation de l’Université de Victoria. « Toutes, sans exception. »

Selon Mme Williams, plusieurs études d’importance font ressortir la situation plus que précaire des langues autochtones au Canada. La plus récente est une étude menée dans les collectivités autochtones de la Colombie-Britannique. Réalisée par le First Peoples’ Heritage, Language and Culture Council, une agence provinciale qui finance des projets linguistiques et culturels (et qui agit comme conseiller auprès du projet québécois Yawenda), l’enquête n’a pu trouver aucun locuteur vivant pour trois des 32 langues autochtones autrefois parlées sur le territoire de la Colombie-Britannique. De plus, seuls cinq pour cent des 100 000 Autochtones de la province parlent couramment une langue ancestrale, et la plupart ont plus de 65 ans.

Ces résultats sont similaires à ceux d’une vaste étude menée il y a 10 ans par Affaires indiennes et du Nord Canada. Le rapport de l’étude, publié en 2002, indique que plus d’une douzaine de langues autochtones au Canada sont mortes ou menacées d’extinction. Devant ces constatations, le gouvernement libéral de l’époque s’était engagé à consacrer 172 millions de dollars sur 11 ans pour la sauvegarde des langues autochtones.

Une partie des fonds a servi à créer un groupe de travail chargé d’étudier la question. Le groupe de travail a notamment constaté que même les langues considérées comme « viables » – surtout le cri, l’ojibwé et l’inuktitut, qui comptent plus de 20 000 locuteurs chacune – « fleurissent dans certaines régions et se trouvent dans un état critique dans d’autres ». Sans distinction, il a été conclu que toutes les langues « perdent du terrain et sont menacées d’extinction ».

Le gouvernement fédéral a supprimé en 2007 les fonds consacrés à la préservation des langues autochtones. À l’heure actuelle, Patrimoine Canada gère l’Initiative des langues autochtones et y consacre environ cinq millions de dollars annuellement pour appuyer les projets linguistiques communautaires.

« Il est urgent d’agir », affirme Mme Williams, qui pointe du doigt la colonisation, l’urbanisation et, plus que tout, le système épouvantable de pensionnat qui a déraciné de force des milliers d’enfants autochtones – dont elle – et qui leur a volé leur capacité à communiquer dans leur langue maternelle. « Nous ne disposons plus de beaucoup de temps pour préserver la connaissance de ces langues et en entendre la beauté. »

Évidemment, la grande question est de savoir comment procéder. À l’instar du groupe de travail, qui a formulé plus d’une vingtaine de recommandations sur les façons de revitaliser les langues autochtones, le rapport de la Colombie-Britannique met l’accent sur les projets qui favorisent l’utilisation des langues au sein de la famille et de la collectivité. Le rapport recommande notamment de multiplier les « nids » d’immersion à la maternelle dans la province, actuellement au nombre de huit, pour les porter à 42 d’ici trois ans. Ces programmes d’immersion jumellent de jeunes familles autochtones de langue anglaise avec des aînés de la collectivité qui parlent la langue autochtone afin d’élever les enfants dans des milieux bilingues (appel-és nids) qui se perpétueront pendant les années scolaires et la vie adulte.

« Il est essentiel de faire le pont entre les générations, croit Mme Williams, qui a fondé en 1972 un programme permanent d’enseignement des langues dans sa collectivité, Mont Currie, qui est située près de la station de ski Whistler Blackcomb. On ne peut compter uniquement sur les programmes scolaires. »

Christine Schreyer est aussi de cet avis. Professeure adjointe d’an-thro-pologie à l’Université de la Colombie-Britannique, elle participe depuis plusieurs années à des projets de recherche conjoints portant sur les revendications territoriales et les préoccupations linguistiques de deux collectivités autochtones, la Première Nation crie de Loon River, située dans le centre-nord de l’Alberta, et la Première Nation des Tlingits de la rivière Taku, qui est située dans le nord de la Colombie-Britannique, près de la frontière du Yukon.

Les deux collectivités « ont tendance à considérer la langue comme une ressource naturelle, au même titre que les terres », explique Mme Schreyer, qui a créé une collection de huit livres d’histoires en langue crie et un jeu de société en langue tlingite. Elle participe également aux activités d’une troupe de danse tlingite, qu’elle a accompagnée aux Jeux olympiques d’hiver de Vancouver en février dernier. Les membres de la troupe « enseignent la langue en interprétant les chansons de leurs ancêtres », explique Mme Schreyer. Ils montrent également comment suivre les protocoles culturels et l’importance des régalias traditionnels. « Pour qu’ils utilisent leur langue ancestrale, les membres de la collectivité doivent avoir un intérêt pour celle-ci et être conscients de sa valeur. »

Les multiples réalités et défis uniques à chaque collectivité autochtone au Canada, qu’il s’agisse du statut de la bande (qui détermine les ressources disponibles), de l’emplacement géographique, de l’infrastructure scolaire ou du degré de cohésion sociale, viennent accentuer les difficultés liées à la protection et à la préservation des langues autochtones. « La situation est très complexe », constate Alana Johns, professeure de linguistique à l’Université de Toronto.

Mme Johns, qui s’intéresse aux mots complexes, dit qu’elle a touché le gros lot lorsqu’elle a découvert l’inuktitut, une langue dont certains mots sont aussi longs qu’une phrase. Elle a supervisé plusieurs projets de recherche portant sur la grammaire inuktitut et a formé un grand nombre d’Inuits à l’enseignement de la langue.

Selon Mme Johns, même si l’inuktitut est l’une des langues autochtones qui se portent le mieux au Canada (selon le recensement de 2006, les deux tiers des Inuits (32 200) ont déclaré l’inuktitut comme langue maternelle), de nombreux facteurs menacent à long terme l’utilisation quotidienne de la langue dans beaucoup de collectivités. Le développement incessant des ressources dans le Nord et la migration de non-Inuits qui en découle dans la région de même que l’augmentation du nombre d’Inuits qui travaillent pour des entreprises extérieures en sont des exemples. « La situation est déjà problématique à certains endroits le long de la vallée de la rivière Mackenzie. Comme si de petites lumières s’éteignaient dans le Nord. »

Même si elle se dit encouragée par l’avènement de l’Internet, qui diminue le nombre de coûteux déplacements dans le Nord, et le fait que de nombreux Inuits rédigent leurs messages texte en inuktitut, Mme Johns croit que les gouvernements et les universités doivent en faire davantage. Elle cite en exemple l’Université de Toronto, qui offre des programmes d’études de trois ans menant à l’obtention d’un grade en russe et en allemand, mais dont le programme d’études autochtones ne compte que quelques cours dans trois langues autochtones d’importance.

« Nous pourrions en faire plus, dit-elle, mais il faut absolument continuer de s’appuyer sur nos acquis et encourager les nombreux Autochtones motivés qui travaillent fort pour protéger et préserver leurs langues. »

C’est précisément ce type de personnes qui ont approché M. Dorais, de l’Université Laval, pour lui demander de soutenir un projet embryonnaire de revitalisation linguistique qui allait devenir le projet Yawenda, un mot wendat qui signifie donner une voix.

« Je me suis d’abord montré très sceptique », se rappelle M. Dorais, qui a néanmoins rédigé une lettre d’intention de 50 pages qui a été approuvée par le Conseil de recherches en sciences humaines.

La terre ancestrale de la nation huronne-wendat est située dans la région de la baie Georgienne, dans le sud de l’Ontario. Affaiblis par la guerre et la maladie, les Hurons Wendat ont été anéantis par leurs cousins iroquois en 1649. Beaucoup sont partis vers l’Ouest, pour finalement s’établir dans des réserves aux États-Unis. Quelques centaines se sont convertis au christianisme et ont suivi leurs alliés français jusqu’à la ville de Québec, où la nation vit encore aujourd’hui.

Selon M. Dorais, les Hurons étaient des gens très sociables qui se sont rapidement intégrés à la collectivité. « Ils étaient quotidiennement en contact avec les Français, et de nombreux mariages mixtes ont été célébrés. Leur langue a donc fini par disparaître. » Les derniers locuteurs connus de la langue huronne-wendat seraient morts dans les années 1870.

Depuis le début du projet Yawenda, M. Dorais est toutefois impressionné par la volonté des résidents de la réserve de ressusciter leur langue ancestrale. Il croit donc à la réussite à long terme du projet, qui devra devenir autosuffisant ou trouver d’autres sources de financement lorsque les fonds fédéraux seront épuisés. « Les Wendats sont des survivants; j’ai confiance en eux », conclut-il.

Rédigé par
Mark Cardwell
Journaliste chevronné et auteur, Mark Cardwell est établi dans la région de Québec.
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  1. Julie Cleary / 21 décembre 2010 à 15:45

    Bonjour, Je trouve cet article très intéressant. Étant moi-même autochtone (innu), je constate effectivement que la langue se perd. Je suis originaire de Mashteuiatsh au Québec et très peu de gens y parlent l’innu, mis à part quelques aînés. L’enseignement de la langue ne se fait plus dans les écoles, faute d’enseignants formés. Dans ma propre famille, la langue s’est perdue au décès de mes grands-parents, et je suis certaine qu’il en va ainsi dans nombre de familles autochtones.

    Ces projets de revitalisation de la langue autochtone devraient, selon moi, s’étendre à l’ensemble des communautés autochtones du Canada. Il ne reste qu’à souhaiter que les gouvernements s’investiront à nouveaux dans ce type de projet.

    Merci

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