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Lenteur en enseignement

Les auteures d’un nouvel ouvrage remettent en question ce qu’elles appellent le « rythme effréné » de la vie universitaire contemporaine.

par MOIRA FARR | 29 MAR 16

Dans leur nouveau livre, The Slow Professor: Challenging the Culture of Speed in the Academy (University of Toronto Press), Maggie Berg et Barbara Seeber appliquent les principes du mouvement slow au milieu universitaire. Mmes Berg et Seeber sont professeures de littérature anglaise à l’Université Queen’s et à l’Université Brock respectivement.

Fières de se décrire comme des professeures adeptes de la lenteur, les auteures partagent leurs points de vue sur la façon de composer avec l’enseignement, la recherche et la collégialité alors que la plupart des professeurs se sentent « assiégés, contrôlés, bousculés, stressés et démoralisés » parce qu’ils sont tiraillés entre les attentes des étudiants, de l’administration, de leurs collègues — et leurs propres attentes. « Les préoccupations et la fragmentation des tâches caractérisent la vie universitaire contemporaine », écrivent-elles. Selon elles, les professeurs doivent ralentir, passer plus de temps à « ne rien faire » et tirer plus de plaisir de leurs tâches de recherche et d’enseignement. Il est temps qu’ils « se réapproprient la vie intellectuelle de l’université ».

Mme Berg raconte comment, au fil des ans, elle et Mme Seeber se sont mutuellement soutenues afin d’être en mesure de composer avec les défis inhérents à leur profession. « Je me sentais coupable de ne pas avoir répondu rapidement à un courriel, j’avais honte d’admettre que la transition vers un nouveau système de gestion de l’apprentissage me stressait, ou je regrettais la façon dont j’avais géré une situation en classe, précise-t-elle. Nous sommes tellement bousculées. »

Les deux professeures ont lu sur le mouvement slow, notamment l’ouvrage Éloge de la lenteur de Carl Honoré. « Nous échangions sur des moyens de modifier notre perception du temps et d’intégrer la notion de plaisir dans nos vies universitaires, dit Mme Berg. Je lui ai alors proposé d’écrire nos réflexions, et Barbara a acquiescé. »

Mme Berg souligne que plusieurs facteurs contribuent à ce que les professeurs se sentent si stressés et dépréciés : « Au cours des vingt dernières années, la taille des classes, le nombre d’emplois précaires et le travail administratif ont augmenté à l’université. De plus, notre temps et nos résultats sont maintenant plus que jamais quantifiés. La contrainte de publier, les nouvelles technologies, le transfert des tâches vers les professeurs et la confusion que cela crée; tous ces facteurs ont fait que nous passons moins de temps à nous parler et plus de temps en mode multitâche. L’esprit de groupe et la collégialité en ont pâti. »

Mme Berg souligne que les recherches et les témoignages sur lesquels elles se sont penchées révèlent que beaucoup de professeurs se sentent isolés, voire seuls, et ont perdu leur motivation. « Cet ouvrage vise à semer des idées à contre-courant pour raviver la passion de l’enseignement, dit Mme Seeber. Nous voulons lancer le débat. »

Les deux auteures ont voulu éviter de parler de crise. « Il n’est pas vraiment nécessaire d’instaurer un sentiment d’urgence, soutient Mme Seeber. Oui, nous devons réagir à la pression, mais le vocabulaire associé aux
situations de crise ne fait qu’en rajouter. Il nous semblait inutile de transmettre l’idée que nous en étions arrivés à un cul-de-sac. Si nous croyions qu’il n’y avait plus rien à faire, nous n’aurions pas écrit le livre. »

Les auteures donnent des conseils en essayant de ne pas se montrer trop prescriptives. « Je trouve des façons de profiter du temps passé en classe parce qu’évidemment, lorsqu’on se sent bien en classe, ça se passe mieux, explique Mme Berg. J’ai aussi la chance de travailler avec de formidables collègues. Nous mangeons souvent ensemble. Il est bon d’avoir un sentiment d’appartenance, de discuter avec ses collègues en personne, et non seulement sur Skype ou par courriel. Dans mes travaux de recherche, j’ai appris à m’imposer des limites et à me dire “Tu en as assez fait pour aujourd’hui”. »

Mme Seeber ajoute : « Nous pouvons améliorer les choses chacun à notre façon. Chaque professeur doit décider comment canaliser son énergie. Il existe plusieurs manières de réagir à une situation, comme se déconnecter plus souvent, prendre le temps de “ne rien faire”, ne pas précipiter ses travaux de recherche ou ne pas céder à la pression de soumettre un travail avant qu’il soit vraiment terminé. Mes conversations avec Maggie me rappellent toujours qu’il faut prêcher par l’exemple. Apprivoiser la lenteur en tant que professeur, ce n’est pas en faire moins, mais choisir avec soin ce que nous faisons. J’en suis venue à l’idée de ne pas me concentrer sur la quantité, mais sur la qualité. Mon CV pourrait s’en ressentir, mais ce choix est, à mes yeux, très sensé. »

Rédigé par
Moira Farr
Moira Farr is a contract instructor at Carleton University as well as a freelance writer and editor.
COMMENTAIRES
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  1. Anne Fonteneau / 31 mars 2016 à 18:50

    Tellement intéressant et motivant!

  2. Eric George / 28 avril 2016 à 14:25

    Je partage ce point de vue. Toutefois, il serait illusoire, voire grave de se replier sur sa propre pratique. Il faut aussi combattre les structures, matérielles et idéologiques, qui nous conduisent à nous auto-exploiter nous-mêmes. Le problème, c’est la capitalisme globalisé, financiarisé et néolibéral qui pénètre progressivement et pays par pays le monde universitaire. Alors, oui, c’est très bien d’adopter un regard critique par rapport à notre métier, et c’est d’autant plus rare qu’il faut féliciter celles et celles qui font ça, mais d’un autre côté, c’est trop limité. Il faut faire des liens entre toutes les formes d’exploitation, d’aliénation, de domination qui existent dans le monde.

  3. Johanne Hamel / 11 octobre 2016 à 14:55

    Un article très important. Je travaille moi-même à conserver un rythme plus lent depuis de nombreuses années et j’assume que je choisis nécessairement d’en faire moins. C’est difficile de ne pas se sentir coupable face aux collègues qui continuent de travailler avec un rythme effréné mais j’ai arrêté d’en parler car cela ne change rien. Si je tombe gravement malade comme cela m’est arrivé, personne ne peut le vivre à ma place. Donc c’est notre responsabilité de prendre soin de nous-mêmes. Ce n’est pas facile de résister aux pressions de toutes parts, dont les nôtres, et je n’y parviens encore pas toujours. Aucune organisation ne mérite que nous mourions pour elle! Cet article est une bouffée d’air frais pour moi, une goutte d’eau dans le désert! Merci beaucoup!

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