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Ouvrir le processus d’examen par les pairs

Des revues scientifiques et des universitaires examinent les limites du modèle traditionnel.

par ROSANNA TAMBURRI | 05 MAR 12

Les universitaires doivent publier ou périr, dit l’adage. Et qui dit publication savante, dit examen par les pairs, une pratique vieille de plusieurs siècles soumise depuis l’avènement d’Internet à certaines expériences susceptibles de la révolutionner. Alors que les médias sociaux font de plus en plus partie de la vie quotidienne, des revues scientifiques repoussent peu à peu les frontières du modèle d’examen traditionnel et explorent le potentiel de l’« examen par les pairs ouvert ». Jusqu’à maintenant, les résultats sont mitigés.

Dans le cadre d’un examen par les pairs ouvert, des articles et des manuscrits sont publiés en ligne, et tous sont invités à les commenter. L’identité des auteurs et des réviseurs n’est pas cachée, ce qui contraste avec le système d’examen par les pairs traditionnel, où les manuscrits présentés aux revues sont scrutés à la loupe par des spécialistes du domaine. Choisis par le rédacteur en chef, ces spécialistes gardent généralement l’anonymat. Leur décision sert de mécanisme de contrôle de la qualité des articles publiés, à la manière d’un sceau d’approbation.

En 2010, la réputée revue américaine d’études littéraires Shakespeare Quarterly est devenue une des premières revues de sciences humaines à mettre à l’essai l’examen par les pairs ouvert. Pendant huit semaines, la revue a publié plusieurs articles sur MediaCommons Press, un site Web consacré à l’activité savante.

Katherine Rowe, rédactrice en chef invitée du numéro spécial, a qualifié l’expérience de « réussite phénoménale ». Une quarantaine de participants ont publié plus de 350 commentaires. La plupart étaient des universitaires, mais « l’expertise qu’ils ont collectivement fournie était beaucoup plus vaste que celle à laquelle le processus traditionnel donne accès », explique-t-elle.

Alan Galey, professeur adjoint à la faculté de l’information de l’Université de Toronto, est un des auteurs qui ont participé à l’expérience, non sans appréhension. Au final, il était ravi « de la variété et de la profondeur » des commentaires et du déroulement public et en temps réel du processus. « C’était comme une conversation publique », comme celle qui se tient autour d’une table de conférence.

Les rédacteurs en chef craignaient de leur côté que l’absence d’anonymat inhibe la franchise des réviseurs. Leurs craintes ne se sont pas avérées, mais ils ont éprouvé d’autres difficultés. Le processus a exigé plus de temps de la part des rédacteurs en chef, des auteurs et des réviseurs. De plus, contrairement à ce qu’espéraient les rédacteurs en chef, les jeunes universitaires ont brillé par leur absence. Il fallait s’y attendre, affirme Mme Rowe, puisque rares sont les jeunes universitaires qui oseront critiquer publiquement l’œuvre d’un collègue chevronné.

Bien que les plus récentes expériences d’examen ouvert se soient déroulées en sciences humaines, la revue scientifique Nature a mis le concept à l’épreuve en 2006. Les résultats ont toutefois été décevants. En effet, peu d’auteurs ont accepté de se soumettre à l’expérience, et seule la moitié des participants a reçu des commentaires. Dans la plupart des cas, ces commentaires manquaient de substance et n’ont pas vraiment facilité la prise des décisions relatives à la publication.

Il est possible que certaines disciplines se prêtent plus facilement que d’autres à l’examen ouvert. Gunther Eysenbach, rédacteur en chef du Journal of Medical Internet Research, une revue canadienne à libre accès publiée en ligne, constate que ses lecteurs, habiles en informatique, ont déjà accepté le principe de l’examen ouvert.

Aussi professeur agrégé de politiques en santé à l’Université de Toronto, M. Eysenbach explique que la revue a adopté ce système pour élargir son bassin de références et rendre ses articles accessibles aux lecteurs profanes. Il n’a toutefois pas atteint tous ses objectifs : la plupart des réviseurs sont encore des universitaires, et les autres ne comprennent pas toujours ce qu’on attend d’eux. L’expérience demeure une réussite dans l’ensemble, et la revue entend poursuivre cette pratique puisque les auteurs semblent la préférer à l’examen par les pairs traditionnel.

Les épreuves d’examen ouvert demeurent moins courants au Canada qu’aux États-Unis. Certaines revues hésitent à emboîter le pas, en partie parce qu’elles ignorent l’incidence que cela aurait sur leur financement.

Gisèle Yasmeen, vice-présidente, Recherche, au Conseil de recherches en sciences humaines, précise que les politiques de l’organisme subventionnaire n’interdisent pas l’examen ouvert par les pairs. « Nous demandons aux revues de montrer comment elles effectuent l’examen et garantissent la qualité, explique-t-elle. Nous ne leur disons pas quoi faire ou ne pas faire. »

En fin de compte, l’avenir de l’examen ouvert dépendra de sa capacité à fournir de façon continue le même niveau d’assurance de la qualité que son pendant traditionnel. Ray Siemens, chef du laboratoire de cultures textuelles électroniques à l’Université de Victoria, souligne que l’examen par les pairs évolue depuis toujours et s’est adapté aux besoins des différents champs d’études. Le passage à l’ère électronique semble être la prochaine étape logique. L’examen anonyme traditionnel ne disparaîtra pas complètement, mais la prochaine génération de chercheurs, à l’aise avec les médias sociaux et les technologies ouvertes, seront plus enclins à essayer l’examen ouvert, prévoit-il.

« C’est ce vers quoi nous nous dirigeons. »

Rédigé par
Rosanna Tamburri
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