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Quand la réussite passe par l’échec

Se casser la figure, une excellente façon d’apprendre.

par MOIRA MACDONALD | 04 DÉC 13

Dans le monde de l’éducation, le mot « échec » est presque un blasphème. À connotation hautement négative, considéré par certains comme un tueur de motivation, c’est le mot qu’il ne faut pas prononcer. Il existe toutefois des personnes qui non seulement veulent parler de l’échec, mais croient qu’il s’agit d’un outil d’apprentissage positif à exploiter. Les défenseurs de la valeur de l’échec estiment que les expériences qui ne mènent pas à un succès immédiat permettent de parfaire les compétences en résolution de problèmes, de faciliter l’intégration des anciennes et des nouvelles connaissances, et de développer la persévérance.

L’automne dernier, Vivek Venkatesh, chercheur en sciences cognitives et professeur de technologies de l’éducation à l’Université Concordia, a mis une nouvelle méthode à l’essai avec quatre étudiants aux cycles supérieurs inscrits à son cours de méthodes statistiques quantitatives avancées. Au lieu de présenter la matière et de soumettre aux étudiants des problèmes à résoudre, M. Venkatesh leur a demandé de donner le cours à sa place en cherchant précisément à ce qu’ils se cassent la figure.

Chaque étudiant devait donner trois cours en partenariat avec un autre étudiant. Les « enseignants » devaient assimiler tout ce qu’il pouvait au sujet d’une analyse statistique donnée à partir d’un manuel dense et compliqué, puis l’expliquer à leurs camarades de classe en leur montrant comment appliquer l’analyse à un ensemble de données fourni par le professeur. Quelques heures avant le début d’un cours, la paire d’enseignants rencontraient M. Venkatesh pour lui présenter leur exposé. Souvent, ils se faisaient dire par leur professeur que leur analyse ne fonctionnait pas, et devaient donc tenter de trouver une solution à peine une heure avant le début du cours.

« Il fallait vraiment agir sur le vif, explique Tieja Thomas, une doctorante qui a suivi le cours. Nous devions être bien préparés . . . c’était une forme d’apprentissage très en profondeur. »

M. Venkatesh a réalisé cette expérience informelle pour mettre à l’essai une méthode d’enseignement appelée l’échec productif, qui consiste à placer délibérément les étudiants dans des situations de résolution de problèmes qui les dépassent. Selon les défenseurs de cette méthode, la quête d’une solution en collaboration avec d’autres étudiants rend le cerveau réceptif à un apprentissage plus profond, plus actif et plus durable. La séance de remue-méninges permet également aux instructeurs d’évaluer ce que les étudiants savent et peuvent faire.

« Nous ne cherchons pas la bonne solution, mais plutôt une diversité de solutions », explique Manu Kapur, professeur agrégé spécialiste du contenu, de l’enseignement et de l’apprentissage et chef du laboratoire de sciences de l’apprentissage à l’Institut national d’Éducation de Singapour.

M. Kapur, à qui l’on doit le terme « échec productif », tente de comprendre les mécanismes qui sous-tendent cette forme d’apprentissage. En collaboration avec ce spécialiste et des collègues de l’Université Concordia, M. Venkatesh travaille à mettre sur pied un projet de recherche officielle sur l’application de l’échec productif à l’apprentissage et à l’écriture d’une langue.

Un échec qui se produit dans un environnement contrôlé est complètement différent de ce qui se produit lorsqu’un étudiant échoue un examen important, un cours ou un semestre. Ce type d’échec est souvent humiliant et, comme le montrent certaines études, le sentiment d’incompétence qui en découle peut détruire la motivation de l’étudiant.

Selon Alan Wright, vice-provost à l’enseignement et à l’apprentissage à l’Université de Windsor, l’échec peut être utile si on accepte qu’il se produise et que les étudiants ont la possibilité de se reprendre. « Nous ne pouvons toujours blâmer les étudiants pour leur échec », estime M. Wright. Avec d’autres professeurs québécois, il a participé à l’élaboration d’un outil en ligne appelé SAMI-Perseverance, qui contient des centaines de séances d’apprentissage interactives destinées aux étudiants de première année pour les aider à acquérir des compétences qui les aideront à ne pas perdre de vue leurs objectifs d’apprentissage.

Il peut être difficile de faire accepter l’échec comme outil d’apprentissage en raison de sa stigmatisation. Qu’on l’évite à tout prix ou qu’on l’accueille à bras ouverts, l’échec ne peut manifester sa valeur que s’il mène à l’amélioration. Selon les défenseurs de l’échec productif, l’acceptation de l’échec et l’exploitation de son potentiel pourraient être la clé de l’innovation qui permet de réussir au sein d’une économie mondialisée. Il faudrait pour cela laisser une place à l’échec, et lui donner le temps et l’espace nécessaires pour qu’il fasse son œuvre.

Rédigé par
Moira MacDonald
Moira MacDonald est journaliste à Toronto.
COMMENTAIRES
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  1. Éric Van Blaeren / 6 décembre 2013 à 17:38

    Cette méthode doit donner de bons résultats. En fait, dans son enseignement, Socrate faisait la même chose. Il amenait l’étudiant à se contredire pour lui montrer ses erreurs. En plus, il se moquait de l’étudiant ce que je ne recommanderait pas aujourd’hui.

  2. François Guillemette / 6 décembre 2013 à 23:15

    Le contenu de ce texte fournit l’argumentation nécessaire pour valider les résultats de décennies de recherche en psychologie de l’apprentissage qui peuvent se résumer dans l’idée que l’échec n’est pas productif en lui-même, mais que c’est la solution à l’échec qui constitue un apprentissage. On sait depuis Piaget qu’on n’apprend pas de ses erreurs, mais de la victoire sur ses erreurs. Piaget souligne: il faut réussir pour apprendre. On sait depuis Vygotsky que le défi (et le défi difficile) n’est favorable à l’apprentissage que si et seulement si il aboutit dans la réussite. S’il mêne à l’échec, il fait régresser dans l’apprentissage. Le texte est clair: plus le défi est difficile, plus la réussite est un apprentissage majorant. Mais le texte est une source de malentendu (dangeureux, à mon avis) lorsqu’il laisse entendre que c’est l’échec qui est productif et lorsqu’il laisse entendre que le potentiel d’apprentissage se trouve dans l’échec et non dans le défi. Le « contrôle » nécessaire dans l’encadrement de l’apprentissage, est un contrôle du défi proposé afin que ce défi aboutisse dans une réussite. C’est l’essentiel du rôle de tout enseignant: proposer des défis contrôlés dans l’assurance que ces défis n’aboutiront pas dans des échecs mais dans des réussites.

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