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Une nouvelle génération de bibliothécaires

Faites la connaissance de chercheurs audacieux qui font voler la poussière pour bâtir la bibliothèque universitaire de demain.

par TIM JOHNSON | 05 NOV 07
Une nouvelle génération de bibliothécaires
La relève : Jeffrey Trzeciak, bibliothécaire universitaire nouveau genre. Photo : Ron Scheffler

Tapis orange décoloré, rayons poussiéreux et cubicules à l’ancienne, la bibliothèque de sciences et de génie H.G. Thode de l’Université McMaster est un véritable hommage aux années 1970. Pourtant, la modernité est à ses portes et Jeffrey Trzeciak, nouveau bibliothécaire en chef de l’établissement, l’imagine déjà.

« Voilà où seront installés les nouveaux écrans à plasma », indique M. Trzeciak, en montrant du doigt des points précis le long du mur de briques rouges courbé qui délimite l’arrière de l’édifice.

Bientôt, une armée de travailleurs viendra rénover et transformer complètement la bibliothèque grâce aux quatre millions de dollars recueillis dans le cadre d’une campagne de financement majeure. Les périodiques imprimés seront transférés au sous-sol et les piles de livres, au deuxième étage. Un café, des coins pour manger, des postes de travail debout, d’énormes canapés et même des tables basses entourées de coussins au sol occuperont l’espace; chaque poste sera doté d’un accès Internet. Une rangée d’écrans tactiles interactifs sera de plus installée le long du mur.

« Les étudiants sont encore très nombreux à venir à la bibliothèque, explique M. Trzeciak. Mais ils y viennent de plus en plus pour travailler entre amis et prendre un café, s’asseoir confortablement pour faire leurs travaux et obtenir de l’aide, au besoin. »

À l’heure de la modernisation des bibliothèques, M. Trzeciak est un avant-gardiste. Même s’il n’est pas dans sa prime jeunesse (avec sa barbe d’un jour, il fait la jeune quarantaine), tout chez lui, de sa démarche allègre à son ton à la fois posé et résolu, en passant par son style pragmatique, semble tourné vers l’action. Après avoir fait souffler un vent de changement pendant huit ans à l’Université Wayne State à Detroit, dans le Michigan, il a été nommé doyen associé pour la bibliothèque, puis est devenu bibliothécaire en chef à l’Université McMaster l’année dernière, succédant à une personne qui avait été en poste pendant plus de 30 ans. « L’organisation en soi était très conventionnelle, mais le personnel était prêt pour le changement, explique M. Trzeciak. Toutefois, je ne saurais dire si les employés soupçonnaient l’ampleur du changement qui se préparait! »

M. Trzeciak n’est pas le seul à prendre la modernité d’assaut. Un nouveau genre de bibliothécaires voit le jour : des hommes et des femmes visionnaires et au diapason des tendances révolutionnaires qui touchent les bibliothèques universitaires s’attaquent au changement. Ils ont la bosse de la technologie, sont connectés sur les besoins d’une nouvelle génération et modifient leurs services pour que les bibliothèques demeurent de précieuses ressources adaptées à la réalité.

Tout, ou presque, est numérique aujourd’hui. « La génération d’étudiants qui entrent à l’université actuellement n’a jamais connu la vie sans Internet », fait remarquer M. Trzeciak. Les appareils électroniques n’ont plus de secrets pour eux; ce sont des pros de l’utilisation des sites Web de réseautage les plus populaires, de YouTube à Facebook.

M. Trzeciak et l’Université McMaster entreprennent donc d’amener la bibliothèque dans le monde des jeunes. M. Trzeciak lui-même passe plus de 20 heures par semaine à jouer au jeu en ligne multijoueur World of Warcraft (son avatar figure d’ailleurs au dos de sa carte professionnelle). Il a récemment embauché un bibliothécaire spécialiste des jeux, sans doute le premier du genre. Shawn McCann, ancien bibliothécaire responsable des projets numériques et du Web et passionné de jeux vidéo, a la mission de trouver des moyens d’offrir les ressources et les services de la bibliothèque dans un contexte de jeu.

« Puisque les étudiants fréquentent des sites comme Facebook, MySpace, World of Warcraft et Second Life, nous voulons y être aussi », soutient M. Trzeciak.

Il cite une étude du Gartner Research Group, du Connecticut, qui prévoit que d’ici 2011, 80 pour cent des utilisateurs assidus du Web auront un avatar, et il fait remarquer que l’Université McMaster offre déjà des services de référence (six heures par jour, cinq jours par semaine) à la collectivité en ligne du populaire site Second Life. Par l’entremise d’un cours intitulé Learning 2.0 (Apprentissage 2.0), M. Trzeciak a initié la plupart des employés de la bibliothèque aux technologies du Web comme les blogues, les wikis, Second Life et le format RSS.

Habituée à Google, la nouvelle génération d’étudiants boudera les catalogues de bibliothèque peu conviviaux auxquels nombre d’entre nous sommes habitués. Cette année, la bibliothèque de McMaster est la première au Canada à avoir remplacé son interface par un système conçu par Endeca, une entreprise américaine qui a créé les sites Web d’énormes détaillants comme Chapters et Home Depot. Le nouveau catalogue comprend un seul champ de recherche de type Google, toute une série d’options de recherche, et les utilisateurs peuvent y trouver la reproduction des couvertures des ouvrages, leurs tables des matières ainsi que des comptes rendus de livres. « Il a été conçu par nos utilisateurs, pour nos utilisateurs », affirme M. Trzeciak.

À l’Université de l’île-du-Prince-Édouard, le bibliothécaire universitaire Mark Leggott utilise une technologie d’exploitation en libre accès pour déployer les ressources de la bibliothèque. Expert en développement de logiciels et d’outils numériques, M. Leggott a quitté l’Université de Winnipeg pour l’Université de l’île-du-Prince-Édouard, après avoir été le fer de lance de projets novateurs pendant plus de six ans à titre de bibliothécaire de l’établissement manitobain. Parmi ces projets, il a mis sur pied le premier service virtuel de référence au Canada, qui est également le plus utilisé.

Un logiciel libre peut être utilisé et adapté à diverses fins. Le bibliothécaire fait souvent référence aux Lego : des blocs modulaires permettant d’utiliser de petites applications libres de façon autonome ou au sein d’un système plus vaste. L’un des blocs qu’il travaille actuellement à mettre en place avec son personnel consiste en un ensemble de ressources documentaires liées à chaque cours offert à l’université. Une fois parachevé, le projet de ressources en ligne permettra aux étudiants d’effectuer des recherches par cours, de trouver les listes de bases de données recommandées et d’y lancer une recherche fédérée.

Un autre de ces « blocs » consiste en un bouton de demande d’aide instantanée compris dans l’environnement d’apprentissage, de recherche et d’utilisation de la bibliothèque de l’Université. Quand un utilisateur clique sur ce bouton, il joint un membre du personnel susceptible de répondre à sa demande sur une page de clavardage. M. Leggott fait observer que l’utilisation des périodiques à l’Université a décuplé au cours de la dernière décennie. « Cela tient principalement au fait qu’une grande partie de la collection est offerte en version numérique », explique-t-il.

De grands changements se produisent également dans les bibliothèques de l’Université de la Colombie-Britannique. Quand Dean Giustini, bibliothécaire spécialiste du domaine biomédical, a joint les rangs des employés de la bibliothèque de l’établissement il y a dix ans, seules trois revues étaient offertes en format électronique dans ce domaine. Il y en a maintenant 40 000. M. Giustini, nommé en 2007 bibliothécaire de l’année au sein des hôpitaux canadiens, est un blogueur cultivé et populaire. Il tient la barre d’un blogue sur Google Scholar (qui vise particulièrement à observer et à commenter l’évolution de la recherche universitaire ainsi qu’à recueillir des renseignements sur cette dernière) et est le blogueur d’Open Medicine, une revue électronique à libre accès dotée d’un comité de lecture qui vise à offrir de l’information de grande qualité sur la santé. En 2005, il a déclenché un long débat entre des experts avec un éditorial intitulé « How Google is changing medicine », publié dans le British Medical Journal.

Selon M. Giustini, le rôle du bibliothécaire d’aujourd’hui n’est pas moins important du fait que l’accès à l’information est plus facile que jamais. « Je crois que notre rôle sera d’aider les gens à s’enseigner mutuellement comment trouver de l’information, mais également comment l’évaluer de façon critique. Nous devons être perçus comme des connaisseurs en matière de connaissances, sous toutes leurs formes. »

Gloria Leckie, présidente de l’Association canadienne des sciences de l’information et vice-doyenne de la faculté des études en information et en médias de l’Université Western Ontario, a mené des recherches sur les bibliothèques comme espaces publics. Selon elle, les gens se sont habitués aux fauteuils et aux cafés offerts dans les librairies comme Chapters et s’attendent maintenant à retrouver ce confort dans les bibliothèques. La plupart des bibliothèques universitaires ont répondu à ce souhait. « Quelle que soit l’ampleur des aménagements, tous les établissements ont tenté de faire de leurs bibliothèques un lieu plus propice aux échanges sociaux adaptés aux étudiants au premier cycle, très désireux de disposer de lieux confortables pour faire leurs travaux et interagir avec leurs amis », explique Mme Leckie.

Michael Ridley, bibliothécaire en chef à l’Université de Guelph, estime que son établissement propose le meilleur carrefour d’apprentissage qui soit. Certes, on n’y trouve pas les fauteuils les plus confortables ni les salles les plus à la mode, mais là n’est pas l’important. « Nous mettons l’accent sur le service, et non sur les lieux », explique celui qui a été nommé bibliothécaire universitaire de l’année 2007 par l’Ontario College and University Library Association. Outre les ordinateurs omniprésents, le carrefour d’apprentissage de l’Université de Guelph propose des services de grande qualité, dont des services d’apprentissage et de rédaction, l’aide d’experts en technologies de l’information et un soutien aux étudiants handicapés. « C’est là que ça se passe, et c’est pourquoi autant de personnes fréquentent notre bibliothèque », conclut-il.

M. Ridley croit que la bibliothèque universitaire de demain sera à l’université ce qu’est la place centrale à une ville : un lieu de rassemblement et d’échange d’idées au cœur d’un campus plus étendu. À l’avenir, on pourra y entendre des concerts et des conférences et y voir des expositions : tout ce qui célèbre la joie d’apprendre.

« Il s’agit de faire de la bibliothèque le véritable cœur de la vie intellectuelle du campus. Il faut envisager la place centrale au sein de l’université comme celle d’une ville. C’est un peu fou et bruyant, et on y fait beaucoup de choses différentes. On y trouve aussi des lieux de contemplation. Il s’agit réellement d’un milieu dynamique et parfois même stimulant. »

Tim Mark, directeur général de l’Association des bibliothèques de recherche du Canada, explique que certains bibliothécaires d’université plus âgés et traditionnels jugent les nouvelles technologies quelque peu intimidantes, et cette nouvelle conception de la bibliothèque, difficile à appliquer. Cela a parfois mené à des tensions intergénérationnelles que Dean Giustini, de l’Université de la Colombie-Britannique, affirme avoir vécues directement.

« Certaines personnes n’y arrivent tout simplement pas, explique M. Giustini sans ménagement. Mais j’ai un mandat, et je continuerai de repousser ces limites tant que je le pourrai… Il est primordial que la contribution des bibliothécaires à cette révolution soit connue. Et si certains abandonnent la profession pour cette raison, de nombreux jeunes bibliothécaires frais émoulus prendront leur place. »

C’est effectivement ce que beaucoup feront. L’étude de 2005 sur l’avenir des ressources humaines des bibliothèques canadiennes, menée par des chercheurs de l’Université de l’Alberta, révèle que plus du quart des bibliothécaires des établissements canadiens ont 55 ans ou plus et que 42 pour cent atteindront l’âge de la retraite d’ici 2014. Les bibliothécaires qui mènent actuellement le combat de la modernisation ne sont pas tous jeunes (la plupart de ceux que nous avons cités ont la quarantaine, et M. Ridley se dit lui-même un « vieux de 53 ans »), mais le programme de bibliothéconomie s’adapte au monde de demain, souligne Mme Leckie; des cours sur les nouvelles technologies et mettant l’accent sur les compétences sont maintenant offerts. La prochaine fournée de bibliothécaires aura ce qu’il faut pour faire avancer le domaine vers la bibliothéconomie de demain.

À l’Université McMaster, Jeff Trzeciak a embauché de nouveaux bibliothécaires après que des représentants de la vieille garde aient choisi la retraite; la moyenne d’âge des employés de sa bibliothèque sera donc de dix à 15 ans plus jeune. Et ces nouveaux venus n’occuperont pas forcément les postes laissés vacants. Outre le bibliothécaire spécialiste des jeux vidéo, les nouvelles recrues comprennent un bibliothécaire expert des stratégies numériques, un autre, du développement de technologies numériques et un troisième, des ressources électroniques.

M. Trzeciak se dit satisfait de l’appui reçu de l’Université, mais signale avoir été freiné par ceux qui jugent son action peu sérieuse.

« Il n’y a pas de réussite possible si on répète constamment les mêmes choses pendant 35, 40, 50 ans, répond-il à ses détracteurs. Pour réussir, il faut oser faire les choses différemment. Il faut être novateur. Il faut prendre des risques. »

Rédigé par
Tim Johnson
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