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Conseils carrière

CV des réussites et des échecs : Responsabilisation universitaire ou poudre aux yeux?

par SANDRA ACKER | 30 AOÛT 16

Le concept de « CV des échecs » a fait beaucoup parler depuis la publication d’un texte par Johannes Haushofer, professeur à l’Université de Princeton, dans lequel il dresse une liste de ses échecs, incluant les articles rejetés et les demandes de subvention de recherche refusées. De nombreux universitaires ont été interpellés par ce texte qui évoque une réalité malheureusement bien familière.

CV est le sigle de curriculum vitæ, qui signifie « trajectoire de vie ». Pourtant, il en dit très peu sur ce qui se passe réellement dans la vie d’une personne. Par exemple, à l’époque où j’étais membre d’un comité de permanence, nous devions évaluer une candidate dont le CV, quoique impressionnant à bien des égards, indiquait une période d’inactivité inexpliquée de trois ans. Après que les évaluateurs externes et le comité de permanence eurent abondamment spéculé sur ce « vide », un représentant du département a enfin avoué timidement que la candidate avait pris un congé de maternité après la naissance de ses deux enfants.

Depuis lors, je conseille toujours à mes collègues aspirant à la permanence d’indiquer de tels événements sur leur CV, même si la plupart ne le font pas. Certains croient qu’une absence prolongée pourrait être perçue comme un délai supplémentaire pour se préparer à l’examen en vue de l’obtention de la permanence. Dans le cadre de mes recherches, j’ai aussi interviewé un homme en congé parental en attente de la décision du comité de permanence. Il s’est montré compréhensif face aux défis que doivent relever les femmes qui veulent concilier permanence et famille. Lorsque je lui ai demandé s’il allait indiquer son congé parental sur son CV, il a répondu : « Je n’en ai pas l’intention. Mon CV est solide. En ce moment, ça ne m’inquiète pas. » Quels événements nous abstenons-nous d’indiquer sur notre CV et pourquoi? En omettant certains renseignements, les candidats s’exposent au risque que les comités de permanence et de promotion interprètent mal les périodes d’inactivité.

Un grand nombre des personnes interrogées étaient préoccupées par la nécessité de justifier les heures de travail

Une récente étude menée par Michelle Webber (professeure agrégée à l’Université Brock) et moi-même a révélé que l’évaluation annuelle du rendement était l’un des principaux sujets d’inquiétude chez les chercheurs, surtout chez les femmes, les professeurs des minorités visibles et les professeurs agrégés. Un grand nombre des personnes interrogées étaient préoccupées par la nécessité de justifier les heures de travail associées à l’enseignement, à la recherche et aux services. Selon elles, ce processus essentiellement quantitatif ne met pas en lumière la qualité de leur travail.

Par exemple, une des participantes à l’étude a affirmé qu’elle passe beaucoup de temps avec ses étudiants alors que d’autres professeurs choisissent de rédiger des articles. D’après elle, la structure des évaluations ne permet pas de rendre compte du temps consacré aux services communautaires, au mentorat et à d’autres activités semblables. En outre, le processus d’évaluation lui-même est perçu par plusieurs comme étant inutile, vu l’absence de commentaires constructifs (à l’exception d’une lettre type ou d’une simple note).

Le CV parfaitement honnête n’existe pas

Dans un autre exemple, une professeure adjointe explique que durant une évaluation de probation, des collègues chevronnés lui ont conseillé de présenter des demandes pour obtenir d’importantes subventions. Elle a expliqué que ses demandes de subvention avaient été refusées, et qu’elle ne savait pas comment l’indiquer sur son CV. Plutôt que de l’aider à faire valoir ses efforts, le président du Comité a déclaré qu’elle devrait effectivement s’abstenir de l’indiquer. Le temps qu’elle avait investi dans ces démarches s’était envolé en fumée.

Le CV parfaitement honnête n’existe pas, puisque de nombreuses activités sont de plus en plus souvent passées sous silence. Devrions-nous inclure la liste de toutes les lettres de recommandation que nous rédigeons? Des heures passées à débloquer une photocopieuse ou à déchiffrer un formulaire de soumission en ligne? Des multiples révisions nécessaires avant qu’un article soit enfin publié? Le temps que nous consacrons à ces activités signifie-t-il que nous sommes méticuleux ou bien tout simplement inefficaces?

La notion même du CV des échecs n’existerait pas si la culture du rendement et de la vérification n’était pas omniprésente dans le milieu universitaire

Heureusement, au Canada, il n’existe pas de ministère de l’Éducation nationale pouvant imposer des évaluations de la recherche à grande échelle. Dans des pays comme le Royaume-Uni, où le gouvernement peut imposer des peines individuelles et institutionnelles pour les rendements inférieurs aux normes de référence, les universitaires sont soumis à un stress encore plus grand.

Au Canada, la responsabilité universitaire individuelle repose sur les évaluations périodiques (probation, permanence, promotion, évaluations annuelles) de même que sur les résultats (souvent négatifs), des demandes de subvention, des efforts de publication et d’autres activités dans le cadre de concours. Nous devons délaisser la vision manichéenne de l’échec et du succès et accepter que chaque carrière comporte des zones grises. Peut-être devrions-nous rédiger le CV des échecs des établissements plutôt que celui des chercheurs qui sont sans relâche à pied d’œuvre? À l’heure actuelle, la honte associée au rejet continue de tous nous hanter, malgré l’apparence parfaite du CV « acceptable ».

Sandra Acker est professeure émérite au département de la justice sociale en éducation à l’Université de Toronto.

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