Passer au contenu principal
Conseils carrière

Double emploi

Les avantages et les inconvénients d'entreprendre des projets hors du cadre universitaire

par TIM JOHNSON | 12 MAR 07

Depuis longtemps, la vie professionnelle de Karan Singh oscille entre le monde universitaire et celui du secteur privé. Après avoir travaillé comme concepteur de logiciels d’animation pour une entreprise de Toronto, M. Singh a accepté un poste au laboratoire du Dynamic Graphics Project du département d’informatique de la University of Toronto, dont il est actuellement codirecteur. Mais il lui arrive encore fréquemment de descendre de sa tour d’ivoire; de grands studios comme Disney et Dreamworks font appel à lui, et il prend plaisir à consacrer ses temps libres à d’autres projets. « Ça m’aide à prendre le pouls de l’industrie », explique-t-il.

Il a même fait un détour du côté de Tinseltown pour travailler sur le film Ryan qui s’est valu un oscar en 2005 dans la catégorie « meilleur court métrage d’animation ». Officiellement attribué à l’Université de Toronto, le projet a été réalisé par un ami de longue date et ancien collègue de Karan Singh. M. Singh a contribué sans rémunération à ce film qui a été applaudi pour son innovation au chapitre de l’animation 3D. « Nous étions surtout guidés par un intérêt scientifique. C’était très gratifiant », affirme-t-il.

Une expérience complémentaire à l’activité savante

Remporter un oscar n’est pas chose courante, mais cela n’empêche pas de nombreux universitaires d’accepter des mandats parallèles dans leur domaine. Tout comme M. Singh, ils sont souvent poussés par le désir de garder le contact avec l’industrie et de se frotter aux défis qui se présentent hors de l’enceinte universitaire. Bernie Kueper, professeur de génie civil à la Queen’s University, offre des services d’expert-conseil dans son champ de spécialité : l’hydrogéologie des contaminants (l’étude des contaminants sous la surface du sol et de leur élimination). « Pour moi, il est absolument essentiel que les professeurs de génie offrent des services de consultants hors du cadre universitaire. C’est notre seul moyen d’exercer notre profession », affirme-t-il.

Mark Thompson, professeur émérite de l’école de gestion Sauder de la University of British Columbia, abonde dans le même sens. Expert en relations industrielles, il est au service de l’école depuis plus de trente ans et a collaboré à des projets du gouvernement et du secteur privé, y compris à titre d’arbitre dans le cadre de négociations de contrats de travail. « Ce travail m’a fait prendre conscience de la différence entre ce que je lis dans les livres et les revues et ce qui se passe réellement dans le monde du travail, explique-t-il. Et, pour être tout à fait honnête, l’occasion était attrayante sur le plan pécuniaire. »

Une arme à double tranchant pour les établissements?

Les universités sont ambivalentes quand elles voient leurs professeurs frayer dans d’autres eaux, malgré des avantages indéniables. Lorsque des professeurs sont sollicités par le gouvernement et des entreprises privées, l’établissement peut se targuer de disposer d’experts de l’industrie, ce qui est susceptible d’attirer des étudiants et de rehausser sa renommée. Et cela est d’autant plus profitable si le travail des professeurs attirent l’attention des médias, ajoute Gil Troy, professeur d’histoire à l’Université McGill, qui, outre ses travaux universitaires et ses publications, est passé plusieurs fois à la télévision nationale et a publié des articles dans d’importants périodiques, dont le New York Times et le Washington Post. L’Université suit de près ses apparitions dans les médias, et l’attention qu’il suscite ne manque pas de faire sourire certains membres de l’administration. « Dans la mesure où le prestige est une question de vie ou de mort pour les universités, quand l’un des experts de McGill est appelé à se prononcer sur une question à la télévision ou dans les journaux, il s’agit d’une vitrine très importante pour l’Université McGill », explique-t-il.

À cela s’ajoute le perfectionnement acquis par l’expérience pratique et dans un contexte actuel. « Résoudre des problèmes réels dans des milieux réels permet de devenir un meilleur professeur et un meilleur chercheur », commente M. Kueper. M. Thompson est également de cet avis : « J’ai toujours senti que cela enrichissait mon enseignement. Le récit d’un cas réel d’arbitrage fait toujours beaucoup plus impression sur les étudiants qu’un article destiné aux universitaires. »

Cependant, tout n’est pas rose. Le double emploi ouvre la porte aux abus, par exemple à l’utilisation d’installations universitaires et d’étudiants à des fins privées. L’administration se préoccupe également du risque de voir la frontière entre l’industrie et le monde universitaire s’estomper. Mais la principale inquiétude est semble-t-il le temps consacré aux activités parallèles. En général, les universités se gardent de les empêcher, mais il n’est pas rare qu’elles publient des lignes directrices sur le temps qui devrait y être consacré, et demandent souvent aux universitaires de rendre compte de leur charge de travail hors de l’Université (et parfois des entreprises qui les embauchent).

Surveiller l’heure (et ses arrières)

Nul doute qu’il existe aussi des inconvénients pour les universitaires. Si dans certains domaines, comme en gestion et en génie, il est courant et bien vu d’offrir des services-conseils, dans d’autres domaines, un professeur qui s’y aventure risque d’être perçu comme très peu sérieux. « Un jour, lors d’une réunion d’embauche au département d’histoire, le directeur a demandé d’une voix neutre à un candidat : “Êtes-vous le genre de personne à essayer de passer à la radio et à la télévision pour parler de politique?”, relate M. Troy en riant. Je me suis tout de suite demandé : “Est-ce que cela s’adresse à moi?” »

Si un professeur se hasarde hors du cercle protégé par l’Université, il court également un risque lié à la responsabilité. M. Troy raconte que, après avoir fait paraître son premier article en réaction à un éditorial dans le quotidien The Gazette de Montréal, il a reçu la visite d’un avocat mandaté pour le placer devant une alternative : offrir des excuses et un montant de 50 000 $ ou être poursuivi en diffamation. Il n’a été appuyé ni par le quotidien, ni par l’Université. « Je me suis tourné vers l’Université McGill pour obtenir de l’aide, sans succès », se rappelle-t-il. L’Université avait fait valoir que M.Troy avait agi à titre indépendant dans cette affaire. Il a tenu bon et il n’y eut aucune suite, mais il recommande depuis de bien connaître la législation en matière de diffamation.

En médecine et en génie par exemple, les universitaires qui acceptent des offres de travail parallèles doivent envisager de prendre une assurance-responsabilité. M. Kueper a examiné des polices d’assurance en cas d’erreur, d’omission et de diffamation. Les primes lui ont paru très élevées, et aucune des polices qu’il a examinées ne le protégeait en cas de déversement de contaminants dans l’environnement : elles étaient donc inutiles pour un spécialiste en hydrogéologie des contaminants. Ainsi, il précise donc d’entrée de jeu à ses clients qu’il ne dispose d’aucune assurance et qu’il prend le risque à titre personnel.

Il faut aussi tenir compte de la charge de travail supplémentaire et de la tâche de comptabiliser le revenu supplémentaire et d’en rendre compte au fisc chaque printemps. Il s’agit toutefois d’un problème plutôt simple à régler, surtout si l’activité parallèle est de portée restreinte. « Il y a parfois des calculs à faire, mais comme je n’ai aucun employé, le volet comptabilité n’est pas très complexe », précise M. Kueper. Demander l’aide d’un comptable une fois par année peut donc s’avérer judicieux. M. Thompson y trouve par contre un avantage : ces activités peuvent conférer le statut de petite entreprise, ce qui permet des déductions d’impôt sur l’achat de livres et de fournitures et sur la partie du loyer ou de l’hypothèque qui correspond à l’espace de bureau aménagé à la maison. « Les avantages fiscaux sont considérables », avance-t-il.

Le principal problème? Le manque de temps. « Plus que toute autre chose, c’est le temps qui fait défaut, soutient M. Singh. Je suis terriblement occupé. Je supervise huit étudiants, et trouver une plage horaire libre n’est pas chose facile. » Étant donné que le travail parallèle entraîne inévitablement un manque de temps, il est généralement conseillé aux jeunes professeurs de s’en tenir à leurs responsabilités universitaires pendant leur première année d’enseignement et de n’envisager les offres extérieures qu’après avoir acquis de l’expérience, une bonne réputation et un poste permanent, car le double emploi peut nuire à un jeune professeur. « Si vos services-conseils n’enrichissent pas directement votre dossier de publications et de recherches, les revenus supplémentaires qui proviennent des travaux parallèles ne vous vaudront aucun bon point », maintient M. Singh.

Selon M. Kueper, les services-conseils ou les travaux effectués hors du cadre universitaire font de la gestion du temps un enjeu primordial. L’enseignement et les travaux de recherche universitaire doivent toujours demeurer la priorité et il faut être prêt à sacrifier du temps personnel. « Il s’agit de choisir entre se priver sur le plan personnel pour accepter une offre extérieure ou renoncer à cette offre pour passer plus de temps avec sa famille. À chacun de choisir. » M. Thompson convient qu’il peut être difficile de trouver un équilibre, mais qu’il y est parvenu à sa façon. Il recommande de ne jamais utiliser les revenus supplémentaires pour les dépenses essentielles comme le paiement de l’hypothèque ou des factures. « Si vous le faites, vous deviendrez dépendant de cette autre source de revenus et vous commencerez à faire des compromis. Ne vous laissez pas prendre à ce piège et n’oubliez jamais d’où provient votre chèque de paye toutes les deux semaines. »

COMMENTAIRES
Laisser un commentaire
University Affairs moderates all comments according to the following guidelines. If approved, comments generally appear within one business day. We may republish particularly insightful remarks in our print edition or elsewhere.

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Click to fill out a quick survey