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Conseils carrière

Le combat des professeurs débutants

Est-il illusoire de penser obtenir un jour un poste à temps plein dans le milieu universitaire?

par GIANLUCA AGOSTINELLI | 12 FEV 20

« Tiens bon! », me dit mon interlocuteur entre deux gorgées de café.

Il s’agit du genre de remarques que d’innombrables administrateurs m’ont servies après une entrevue d’embauche pourtant prometteuse.

Je repense à toutes les fois où j’ai entendu ces réflexions. Avec le temps, j’aurais dû m’immuniser contre leur effet dévastateur, mais le sentiment d’incrédulité qu’elles engendrent est toujours accompagné de la même douleur.

Pendant plusieurs années, j’ai occupé des postes temporaires, à court terme, contractuels, à temps partiel, occasionnels, partiels et de chargé de cours dans de nombreux établissements d’enseignement, dans l’espoir de décrocher un jour un poste de professeur ou un poste menant à la permanence dans une école postsecondaire. Il est vrai que chacun de ces emplois offrait son lot d’expériences gratifiantes en classe, mais aucun ne m’assurait la sécurité financière, les avantages sociaux et la paix d’esprit que je cherche.

« Ton tour viendra, sois patient! Continue d’y mettre les heures. Il y aura sûrement un autre poste à pourvoir bientôt. Tout le monde prend sa retraite un jour, pas vrai? Tiens bon, tu verras! »

Après quelques années, ces énoncés fades et répétitifs visant à me réconforter sont devenus, pour l’universitaire en herbe que je suis, une source d’agacement. Les membres du comité d’embauche, les administrateurs et mes collègues m’ont souvent dit que j’étais le meilleur candidat… sur papier. Toutefois, mon manque d’expérience en enseignement à temps plein et en mise au point de programmes postsecondaires me disqualifiait automatiquement.

Ne pas trouver de poste permanent à temps plein parce qu’on n’a pas occupé assez de postes permanents à temps plein… c’est à se demander si le milieu universitaire est un domaine méritocratique ou s’il est, tout comme les carrières qu’il promet, un idéal inaccessible. Quelle amère ironie que de ne pas pouvoir acquérir d’expérience sans expérience! Quel paradoxe! Je me demande comment les autres jeunes professeurs font pour surmonter ces embûches.

Je sais que j’ai fait un choix de carrière précaire et exigeant qui m’amène à évoluer dans un secteur continuellement exposé à des compressions budgétaires et à un manque de postes stables à temps plein. Mais ce qui m’inquiète surtout c’est que, alors que les universités et les collèges du Canada sont de plus en plus nombreux à se privatiser et à adopter l’éducation comme modèle d’entreprise, ses joueurs de première ligne, les enseignants, souffrent de plus en plus des effets continus de la marchandisation de la main-d’œuvre. Selon moi, le groupe le plus à risque est la prochaine génération de professeurs, les millénariaux qui, comme moi, ont tellement soif d’expérience ou d’ancienneté qu’ils sont prêts à accepter, même à contrecœur, n’importe quel contrat d’enseignement, peu importe les conditions.

J’ai remarqué que cette façon de faire créait un vaste bassin de jeunes candidats enthousiastes pouvant remplacer facilement et rapidement les enseignants qui jettent l’éponge au bout de quelques semestres, déjà épuisés émotionnellement et professionnellement par leur soi-disant vocation. J’ai dédié ma vie à l’enseignement parce que je crois honnêtement que j’aide les étudiants à réussir. Dès mon plus jeune âge, je savais que je voulais être professeur pour marcher sur les pas de tous ces enseignants qui m’ont inspiré et qui m’inspirent encore aujourd’hui. Mais cette passion peut rendre aveugle.

Mes lecteurs me diraient sans doute que tous les enseignants sont dans le même bateau, que la plupart occupent des emplois précaires et travaillent aussi fort que moi, sinon plus. Et c’est précisément là où je veux en venir : nous, les jeunes professeurs, essayons de nous dire que cette situation est passagère. Quand nos employeurs nous informent qu’ils n’ont pas de poste pour nous – malgré notre éthique de travail irréprochable, un programme fort et des évaluations exemplaires – nous approuvons et acceptons notre sort tout en pensant à différentes façons de nous distinguer et d’en faire plus pour nos étudiants et nos écoles.

Dans The Slow Professor, Mmes Berg et Seeber invitent les universitaires à aller à l’encontre de la culture de la vitesse, cette doctrine universitaire contemporaine selon laquelle le corps professoral doit toujours être plus productif et plus efficace. Même si j’admire cet appel à la lenteur, je doute de la capacité à la mettre en œuvre. D’ici là, je ne peux qu’espérer pouvoir un jour me sentir débordé par mon travail de professeur permanent. Sans un poste à temps plein, j’ai peur que mon contrat ne soit pas renouvelé et que mes perspectives d’embauche soient réduites à néant, malgré tous mes efforts. Je sais que d’autres secteurs n’offrent pas non plus de postes permanents, mais les emplois peu rémunérés, permutables et précaires du milieu universitaire me donnent parfois envie d’aller porter ma candidature chez Wendy’s. Je ne m’attends pas à recevoir un salaire faramineux ou une médaille pour mes cinq diplômes, mais après 24 années consécutives d’enseignement, dont 11 en milieu universitaire, je devrais récolter les fruits de mes efforts, non?

Comme moins de deux pour cent des emplois requièrent un doctorat au Canada, je mentirais si je disais que je n’ai pas peur du sous-emploi ou, pire encore, de l’absence d’emploi. Vous me trouvez mélodramatique? J’exagère à peine pourtant! Je l’admets, je suis privilégié et je devrais être reconnaissant d’avoir pu profiter de ces occasions et expériences. Mais parfois, j’ai l’impression que quelque chose ne tourne pas rond. En ce début de semestre, je me questionne sérieusement. Le milieu universitaire était-il le bon choix pour moi? Je déteste ce sentiment de regret, mais je sais que mon insatisfaction ne fera que grandir si je garde les bras croisés en me disant que tout ira bien. Peut-on croire à un avenir prometteur dans le domaine de l’enseignement supérieur? Le paysage professionnel précaire se transformera-t-il pour permettre aux professeurs à temps partiel hautement qualifiés et méritants de partager leur passion et leurs compétences diverses et novatrices? Ou les jeunes professeurs pleins d’avenir de notre génération se font-ils avoir?

Gianluca Agostinelli est professeur d’anglais et de communications au Collège Niagara Canada, ainsi que chargé de cours en enseignement et conseiller en stages à l’Université Brock.

COMMENTAIRES
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  1. Éric GEORGE / 13 février 2020 à 19:58

    Je partage largement vos inquiétudes mais je m’interroge sur notre responsabilité personnelle et collective. Je me souviens que lorsque je suis devenu professeur en 2002 à l’Université d’Ottawa (je suis à l’UQAM depuis 2007), plusieurs collègues proches de la retraite m’ont souhaité bonne chance estimant que les conditions de travail étaient de plus en plus difficiles. Depuis, le management néolibéral s’est progressivement imposé dans nos universités. Et il est aussi présent de plus en plus à l’UQAM alors que notre institution a pourtant une tradition contestataire ancrée à gauche.
    Je constate justement que nous, les professeur.e.s, notamment celles et ceux qui ont la permanence — et j’en fais partie. Je suis même maintenant professeur titulaire — devrions plus nous battre afin que la compétition systématique entre les collègues ne devienne pas la règle dominante. D’ailleurs, en effet, les pressions visant ce que l’on appelle l’excellence sont maintenant tellement fortes que bon nombre d’étudiant.e.s sont découragé.e.s de devenir professeur.e.s. Nous en sommes même venu.e.s à exiger des CV à l’embauche qui valent bien des CV de collègues plus anciens dans la profession ! Nous portons donc une part de responsabilité dans la situation actuelle. Mais que faire concrètement ?

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