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Conseils carrière

Les pièges des
« occasions » et la dépréciation du travail universitaire

Un survol de certains problèmes qui touchent les enseignants contractuels et les étudiants aux cycles supérieurs.

par ANDREA EIDINGER | 11 NOV 19

Vous a-t-on déjà dit quelque chose de ce style?

  • « Ce serait une belle expérience à ajouter à votre CV. »
  • « La critique de livres est une bonne façon de faire paraître des publications. »
  • « Je sais que le contrat n’est que pour un an, mais qui sait? Peut-être qu’il se transformera en poste permanent! »

Voyez-vous où je veux en venir? Étant donné les réalités du marché du travail dans le milieu universitaire actuel, la plupart des diplômés qui occupent des emplois précaires seraient prêts à faire n’importe quoi pour avoir du travail. Les étudiants aux cycles supérieurs sont censés se concentrer sur leurs thèses ou leurs mémoires, mais ils sont souvent encouragés à faire du travail universitaire gratuitement ou pour un salaire dérisoire, sous prétexte qu’il s’agit d’une « occasion » à ne pas manquer.

Par exemple, on nous dit qu’écrire des critiques de livres est une excellente occasion d’en apprendre plus sur la publication universitaire et de se faire connaître. On nous incite à dépenser de grosses sommes d’argent pour assister à des conférences et y présenter des rapports, puisqu’il s’agit d’une bonne occasion d’apprendre, de réseauter et d’obtenir des commentaires de nos pairs. Après leur soutenance de thèse, les chercheurs reçoivent encore plus fréquemment ce genre de demandes, et la pression se fait plus forte. On nous encourage à accepter des contrats d’enseignement d’un an, souvent dans une ville éloignée de notre lieu de résidence. On nous dit que ces occasions sont bonnes pour apprendre les rouages du monde universitaire et on nous fait miroiter la possibilité de postes à long terme. C’est même parfois le cas pour les chercheurs qui acceptent un poste d’enseignement pour un seul cours.

S’il est vrai que toutes ces expériences d’apprentissage sont précieuses, sont-elles pour autant des occasions? Après tout, à qui profite vraiment ce travail?

C’est après en avoir discuté avec une collègue il y a quelques mois que j’ai commencé à réfléchir au concept d’« occasion ». Cette collègue m’a mentionné qu’elle détestait l’utilisation du mot « occasion » dans un contexte universitaire. Cette déclaration m’a d’abord étonnée. Les occasions ne sont-elles pas une bonne chose? Quand je lui ai posé cette question, ma collègue m’a expliqué que, bien souvent, on incite les universitaires à travailler gratuitement ou presque sous prétexte que l’occasion qui s’offre à eux leur apportera de l’expérience. Notre travail, qu’il s’agisse d’enseignement, de recherche ou de prestation de services, requiert des compétences très poussées. Ces compétences ont évidemment une grande valeur, sinon elles ne seraient pas autant recherchées. Mais quand nous offrons notre expérience contre presque rien et acceptons des occasions ou promesses d’emploi comme un substitut de salaire décent, nous déprécions ces compétences. Il est important de rappeler que l’expérience ne permet pas de payer les factures et que nous ne pouvons pas compter sur l’avenir pour vivre dans le présent. De plus, les seuls qui profitent de tels arrangements sont souvent les employeurs et la collectivité.

Prenons l’exemple de la critique de livres. Les critiques de livres sont essentielles pour de nombreux universitaires. Elles peuvent servir de guide aux examens de synthèse des étudiants aux cycles supérieurs et aider les chercheurs à se tenir au fait des dernières publications dans leur domaine. Les bibliothèques universitaires dépensent des fortunes pour les répertoires numériques comme JSTOR et EBSCO, qui permettent aux étudiants et aux professeurs d’avoir accès à ces critiques. Mais l’auteur de la critique en retire-t-il vraiment des avantages? Je n’en suis pas certaine. Les étudiants aux cycles supérieurs se font dire que les critiques de livres sont considérées comme des publications, mais nous savons bien qu’elles ne comptent pas vraiment sur le marché du travail universitaire.

Il en va de même avec les contrats à durée limitée. Au début de leur carrière, les universitaires sont souvent encouragés à accepter de tels contrats. Il s’agit en général de postes à pourvoir pendant un congé sabbatique ou parental, autrement dit de postes à temps plein à pourvoir pendant une courte période. Mais ces contrats ne sont pas le gage d’un emploi futur. Rien ne garantit que le département vous gardera à la fin du contrat. De plus, bien que ces postes offrent des salaires et des avantages plus compétitifs pour les débutants que les charges de cours, ils peuvent avoir de lourdes conséquences financières (frais de déménagement rarement remboursés pour les postes à durée limitée), émotionnelles ou physiques (stress lié à une situation précaire).

La situation est d’autant plus alarmante quand on réalise que ces expériences de travail, en plus d’être néfastes, ne sont pas nécessaires. On semble ne pas vouloir reconnaître que, bien que 90 pourcent des étudiants aux cycles supérieurs espèrent devenir professeurs, la majorité (jusqu’aux trois quarts) des doctorants finiront par travailler en dehors du milieu universitaire. Cette situation ne fait qu’accroître le nombre d’universitaires occupant des emplois précaires ou en situation de sous-emploi. Nous nous retrouvons ainsi avec un énorme bassin de personnes hautement qualifiées, mais vulnérables à l’exploitation. Cependant, la dépréciation du travail universitaire n’est pas un problème qui touche uniquement les étudiants aux cycles supérieurs et les diplômés en situation précaire. Les professeurs qui occupent un poste permanent ou menant à la permanence et les départements subissent eux aussi une pression croissante pour en faire plus avec moins.

Je crois qu’il est temps de nous affirmer et de reconnaître notre valeur.

Je remercie tout particulièrement Sarah Nickel, Krista McCracken, Shannon Stettner et Funké Aladejebi pour leurs commentaires sur mes ébauches.

Andrea Eidinger a été chargée de cours dans plusieurs universités de la Colombie-Britannique. Elle est la créatrice et rédactrice du blogue Unwritten Histories, consacré à l’Histoire du Canada.

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