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Prof ou pas?

Le cauchemar des lettres de recommandation

Jouant le rôle de sésame pour le marché de l’emploi, l’acquisition de lettres de recommandation n’est pourtant pas de tout repos.

par EMILIE-JADE POLIQUIN | 18 FEV 21

Pour les étudiants aux cycles supérieurs prêts à se lancer sur le marché du travail, l’incontournable quête de lettres de recommandation n’est pas sans péril. Dans un contexte où on parle de plus en plus de troubles de santé mentale et particulièrement d’anxiété chez les étudiants, l’objectif est de trouver une manière d’engager le dialogue. Penchons-nous d’abord sur l’empathie, l’espace d’une chronique, grâce à une mise en situation qui vous permettra de vous glisser dans la peau de ceux et celles qui vivent ces situations.


Petit dimanche matin tranquille. Café à la main, tu fais une ronde de tous les sites et autres infolettres qui recensent les postes de professeur disponibles dans ton domaine pour t’assurer que tu n’as rien laissé passer d’intéressant.

Tes yeux survolent les affichages en cours quand une offre capte ton attention :  exactement dans ta spécialité, dans un département que tu sais en pleine effervescence. Ça semble parfait.

Avant de lire attentivement la description, tu fais rapidement défiler la page pour voir la date limite. Ça t’a déjà joué des tours. Ton coeur arrête presque de battre. La période de mise en candidature se termine dans trois jours! Arghhh! Tu retiens à peine quelques gros mots, t’en voulant d’avoir été moins vigilant dans les dernières semaines.

Anxieusement, tu te dépêches à trouver le paragraphe qui détaille la composition du dossier à soumettre. Le voilà : lettre de présentation, curriculum vitae, trois publications, texte sur ta philosophie d’enseignement… les classiques… Tu retiens ta respiration…

Et le nom et les coordonnées de trois répondants!

Alléluia! Pas de lettres de recommandation à fournir! Te voilà en train de faire une danse de la joie dans le milieu de ton salon. Ton chat surpris s’enfuit en courant dans une autre pièce.

Cet après-midi, tu vas donc prendre le temps de personnaliser ta lettre de présentation et bien choisir les éléments de ton dossier en fonction du profil recherché. Tu pourras postuler à l’intérieur des délais, sans mettre de pression sur tes personnes références.

Tu te demandes sérieusement pourquoi certains comités d’embauche continuent à demander des lettres de recommandation si tôt dans le processus, même si plusieurs ont dénoncé l’inutilité de cette pratique.

Il n’y a pas si longtemps, tu es d’ailleurs tombé sur un article en anglais d’un jeune professeur qui décrivait sa recherche d’emploi. Il disait avoir envoyé 112 dossiers de candidature et que, dans 57 pour cent des cas, on lui avait demandé des lettres de recommandation dès le départ. Tu te disais que l’article datait déjà de quelques années, que c’était un cas extrême. Mais récemment, tu as eu la chance de discuter longuement de recherche d’emploi avec un professeur que tu as rencontré dans un congrès. Il t’a dit qu’il avait envoyé plus de 100 lettres pour un de ses anciens étudiants de doctorat.

Cent!

Tu t’es demandé si tu te rendrais là.

La relation qui existe entre un étudiant et son directeur de recherche est déjà truffée de pièges, de flous et de non-dits. Tu jalouses d’ailleurs une de tes amis qui t’a expliqué qu’en entrant au doctorat, elle devait établir un plan de collaboration avec sa directrice pour bien circonscrire les rôles, les responsabilités et les attentes de chacun. Un tel outil aurait pu dissiper certaines tensions que tu as connues au début de tes études. Mais il se concentre principalement sur la durée du diplôme. Le soutien après-thèse reste encore un sujet peu abordé, voire un peu tabou.

Depuis que tu cherches plus activement, ton directeur et toi avez mis quelques éléments au clair et établi une certaine procédure : tu le tiens au courant de tous les développements majeurs dans ton parcours (publications, nominations à des comités, bourses, etc.), tu lui fais un résumé du profil du poste auquel tu souhaites postuler et surtout, tu lui donnes au minimum une semaine d’avis pour qu’il puisse mettre à jour sa lettre avant de l’envoyer.

Pour le poste que tu as vu ce matin, la dernière condition n’aurait pas été respectée. Tu aurais peut-être tenté ta chance cette fois-ci… en espérant ne pas avoir à le faire trop souvent et briser les termes de ton « contrat » avec lui.

Et là, on parle de la relation avec ton ancien directeur de recherche, une personne que tu as côtoyée de près pendant plusieurs années. Ce « contrat » est d’autant plus précaire avec les deux autres personnes qui agissent comme tes références, de qui tu es moins proche, mais qui ont malgré tout généreusement accepté de t’aider dans tes démarches.

Tu te demandes si t’inscrire à un service de type Interfolio te serait utile. D’un côté, tu vois bien l’intérêt d’avoir des lettres de recommandation réutilisables et déjà prêtes à envoyer, mais de l’autre, on te signale souvent l’importance d’avoir des lettres personnalisées à la fois pour l’université et le poste en question.

Et encore là, tout est une question de confiance. Même si tu as vaguement entendu des histoires d’étudiants qui devaient écrire leurs propres lettres, dans ton cas, tu n’as jamais lu le produit fini. Tu te doutes que ton directeur de thèse a plusieurs versions de sa lettre quelque part dans un dossier, qu’il choisit celle qui est la plus appropriée et met rapidement les informations à jour. Mais à quel point pourrait-on parler de personnalisation qui justifierait de ne pas utiliser un service de dépôt? Sachant la quantité de travail que le corps professoral accumule, la question est légitime.

Et Dieu merci, tu n’es pas une femme. Tu n’as pas vraiment à te soucier des biais inconscients et à te demander en plus si tu es décrit davantage pour tes qualités personnelles que pour l’excellence de tes réalisations. Honnêtement, tu ne vois pas comment tes collègues féminines pourraient aborder le sujet sans que leur directeur ait l’impression qu’on lui porte un regard accusateur. La question est extrêmement sensible.

C’est dans des moments comme celui-ci que tu te rends compte que chercher un emploi est une tâche en soi qui ne nécessite pas seulement un solide dossier, mais aussi une stratégie bien réfléchie et des alliés bien conscients de l’importance de leur rôle. À ce sujet, aussi intimidant que cela puisse paraître, rien ne vaut une bonne conversation polie, mais franche pour clarifier les attentes et tous les non-dits qui peuvent subsister autant de ton côté que de celui de tes personnes références.

Mais pour l’instant, tu peux encore avoir le cœur léger. Pas besoin de lettres… du moins, pour cette fois-ci.


Avez-vous l’impression que de demander des lettres de recommandation dès le dépôt du dossier place encore une fois les étudiant.e.s dans une position de dépendance et de vulnérabilité vis-à-vis leur direction de recherche? Si votre établissement en demande encore, comment le justifie-t-il?

Et vous? Comment avez-vous géré vos lettres de recommandation pour votre propre recherche d’emploi? Si vous êtes professeur.e, discutez-vous rapidement de cet enjeu avec vos étudiant.e.s lorsqu’ils sont sur le point d’obtenir leurs diplômes? Quels sont d’après vous les meilleures stratégies et, surtout, les pièges à éviter?

Toutes des questions auxquelles bon nombre d’étudiants aux cycles supérieurs aimeraient bien obtenir une réponse.

À PROPOS EMILIE-JADE POLIQUIN
Emilie-Jade Poliquin
Emilie-Jade Poliquin est conseillère en relations gouvernementales et affaires publiques à la Direction générale de l'Institut national de la recherche scientifique.
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