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Bonnes idées : Entrevue
Yoko Yoshida examine l’immigration au-delà des statistiques

par TIM LOUGHEED | 09 NOV 16

Commanditée par la Fédération des sciences humaines, cette série d’entrevues met en lumière les bonnes idées de chercheurs de la discipline pour un monde meilleur. Ce mois-ci, nous nous entretenons avec Yoko Yoshida, professeure agrégée au département de sociologie et d’anthropologie sociale de l’Université Dalhousie.

dec16-sponsored-yoko-300Japonaise établie au Canada depuis près de 20 ans, Yoko Yoshida est arrivée en tant qu’immigrante admise et sait très bien ce que ressentent les millions de nouveaux arrivants. Son expérience personnelle lui a permis d’étudier les statistiques sur les activités des immigrants sous un angle inédit. Pour elle, ces chiffres dressent un précieux tableau du comportement humain.

Comment êtes-vous devenue professeure au Canada?

Dans le cadre de mes études au premier cycle à Tokyo, j’ai fait un séjour d’un mois à Montréal pour y apprendre l’anglais en compagnie d’un groupe d’étudiants. C’était en 1994, juste avant le référendum sur l’indépendance du Québec. J’arrivais du Japon, un pays très homogène sur le plan ethnique, et, à 20 ans, j’ai été immédiatement charmée par la société québécoise. Je n’avais jamais vu une ville d’une telle diversité sociale et culturelle et j’étais stupéfaite d’entendre les gens parler de la séparation d’une partie du pays.

Cette expérience a marqué un tournant dans ma vie. Je me suis inscrite au programme de sociologie internationale avec concentration en études canadiennes, et mon projet de fin d’études portait sur le multiculturalisme canadien. Je suis retournée à Montréal en 1997 pour poursuivre mes études supérieures à l’Université McGill. Je suis par la suite devenue professeure à l’Université Dalhousie. Mon rôle me permet de former la nouvelle génération de sociologues qui veilleront à établir les fondements d’une bonne politique sociale.

Comment votre conception du multiculturalisme a-t-elle évolué depuis que vous avez commencé à vous y intéresser?

La première fois que je suis venue au Canada, j’ai trouvé le pays progressiste et dynamique. Il me semblait illustrer la façon dont on pouvait améliorer les conditions dans le monde pour y instaurer la paix. Je croyais que les autres pays devaient s’inspirer du multiculturalisme canadien, qui pouvait, selon moi, résoudre la plupart des conflits émanant de la diversité. La théorie étant bien différente de la pratique, j’ai pu constater que les perceptions et les comportements à l’égard du multiculturalisme avaient fortement évolué depuis ma première visite, tout comme la société canadienne, d’ailleurs.

À l’heure actuelle, les gens doutent que le multiculturalisme représente la solution idéale. Comme moi, ils en voient les failles, mais ils se questionnent sérieusement sur la façon de parvenir au multiculturalisme et se demandent jusqu’où il faut aller. Au fil des ans, j’ai également constaté l’importance des enjeux qui touchent les Autochtones, ce qui ajoute à la complexité du multiculturalisme.

Comment cette prise de conscience a-t-elle changé votre méthode de travail?

C’est mon déménagement de Montréal à Halifax qui m’a ouvert les yeux! À l’Université McGill, j’analysais la population du Canada dans son ensemble. En arrivant en Nouvelle-Écosse, j’ai remarqué qu’il y avait de très grandes variations régionales, entre les provinces et entre les collectivités d’une même province. Par exemple, les habitants du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, et même du Cap Breton, ont chacun leur identité propre. Ils partagent certains enjeux de société, mais leur histoire et leurs fondements institutionnels sont différents. D’ailleurs, les fonctionnaires des différents ordres gouvernementaux disent avoir besoin de données propres à leurs territoires.

Malheureusement, on a mené très peu de recherche axée sur les collectivités, et les ressources et données nécessaires à ce type de recherche sont rares dans les provinces de l’Atlantique, surtout dans les régions rurales, où le dépeuplement est particulièrement évident. Les gouvernements veulent une solution pour attirer les gens vers ces régions, mais il est difficile d’évaluer l’importance du problème sans pouvoir dresser un portrait clair de ces collectivités.

Quelles sources de données utilisez-vous dans le cadre de votre travail?

La Base de données longitudinales sur les immigrants (BDIM) de Statistique Canada constitue l’une des sources d’information les plus connues et les plus exhaustives. Elle répertorie les catégories d’admission des immigrants et leurs activités après leur arrivée au Canada. L’accès à la BDIM est très restreint puisqu’on y retrouve des données personnelles et confidentielles sur les immigrants. J’ai pu la consulter grâce à ma participation à Voies vers la prospérité, un partenariat de collaboration national entre universités, gouvernements et ONG qui étudie l’immigration et l’intégration des immigrants.

Grâce à la BDIM, j’ai finalement pu recueillir assez de données sur les immigrants de la région de l’Atlantique pour comprendre la façon dont ils vivent. Toutefois, comme l’information provenait en grande partie des déclarations de revenus, et non d’entrevues, j’ai dû soigneusement déterminer qui pourrait être inclus dans mon analyse du Canada atlantique en tenant compte du fait que les gens déménagent et déclarent leurs revenus à partir d’une autre région.

Consulterez-vous d’autres sources?

J’ai l’intention de consulter les statistiques sur les résidents canadiens temporaires, comme les étudiants et les travailleurs étrangers. Comme ces personnes possèdent une expérience du marché du travail canadien, un élément essentiel à l’intégration, elles pourraient bénéficier d’un avantage si elles décident de présenter une demande de résidence. En établissant un lien entre les données sur les résidents temporaires et celles de la BDIM, nous pourrions déterminer quelles sont les personnes qui sont arrivées au Canada avec ce type d’expérience et ensuite dresser le bilan de leur réussite.

L’idée de réunir ces deux bases de données m’est venue grâce à au vaste réseau de personnes avec lesquelles je travaille sur ces projets, notamment des intervenants gouvernementaux et communautaires qui m’ont fait part de leurs préoccupations et des enjeux prioritaires des provinces de l’Atlantique, dont le déclin de la population. En effet, la région attire de nombreux immigrants, mais n’arrive pas à les retenir. Ces intervenants trouveraient très intéressant si nous pouvions démontrer qu’une expérience canadienne préalable contribue à retenir des immigrants dans cette région.

Comment l’importance que vous accordez aux statistiques influence-t-elle ce genre d’analyses?

J’essaie de choisir des sujets qui sèment la controverse ou qui alimentent les débats. Par exemple, j’ai utilisé des données administratives recueillies par les gouvernements fédéral et provincial pour étudier le profil socioéconomique des immigrants de la Nouvelle-Écosse se trouvant dans différentes catégories d’admission des immigrants. L’opinion généralement répandue est que la province a de la difficulté à intégrer et à retenir sa population. De plus, on s’attend souvent à ce que les contributions économiques des immigrants de la catégorie du regroupement familial ne soient pas aussi importantes que celles des immigrants de la catégorie d’immigration économique.

Pourtant, cela ne veut pas dire que les immigrants de la catégorie du regroupement familial vont juste se croiser les bras. J’ai été moi-même parrainée par mon mari et je vous assure que ma carrière occupe une place importante dans ma vie. J’ai donc essayé de prouver que les immigrants admis en vertu des mesures de regroupement familial sont plus productifs qu’on le croit. J’ai démontré que ce type d’immigrants réussit mieux en Nouvelle-Écosse qu’ailleurs au Canada. En fait, jusqu’en 2009, les immigrants qui arrivaient en Nouvelle-Écosse à titre d’époux avaient plus de chances de trouver un emploi que les immigrants de la catégorie économique.

Comment expliquez-vous ces résultats?

Pour le savoir, nous devons approfondir nos recherches, mais nous avons émis l’hypothèse que ces immigrants viennent de la Grande-Bretagne et des États-Unis, et que leur origine culturelle favorise leur intégration sur le marché du travail. Il se pourrait aussi que ce marché se comporte différemment du reste du Canada, car il compte de solides réseaux de relations personnelles. Le fait de connaître quelqu’un qui travaille déjà dans la province pourrait accroître les chances de trouver un emploi.

Quelles sont vos observations sur le processus d’immigration canadien?

Le Canada n’est pas comme les États-Unis, où les employeurs parrainent directement les immigrants, bien que les données récentes nous laissent croire que la situation est en train de changer; le Canada n’aborde pas l’immigration uniquement en fonction du marché. Cette souplesse permet aux immigrants de profiter d’un climat d’entraide dès leur arrivée au pays. Malgré cela, les nouveaux immigrants sont tout de même susceptibles d’éprouver des difficultés financières. Dans une telle situation, la plupart se viennent mutuellement en aide, sans manifester de rivalité. L’immigration comme outil de développement social plutôt que comme source de problèmes sociaux est un concept typiquement canadien.

Auparavant, même des immigrants européens étaient considérés comme des étrangers. La première génération s’est heurtée à des obstacles, mais la deuxième génération s’est fondue dans la mosaïque canadienne. En d’autres termes, l’intégration est un processus à long terme. Il est donc normal que nous constations surtout des problèmes si nous nous intéressons seulement aux données récentes sur les nouveaux immigrants. Il est vrai que nous devons poursuivre nos recherches pour évaluer le bien-être des immigrants à court terme et prévoir les services nécessaires à leur intégration, mais les responsables de notre société doivent avoir une vision à long terme de la façon dont les immigrants peuvent contribuer à l’avenir du pays.

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Plus d’infos: www.ideas-idees.ca/bonnes-idees

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