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À mon avis

Congé parental et carrière universitaire : vont-ils bien ensemble?

Tandis qu’on me félicite de prendre un congé parental, ma partenaire se heurte aux défis habituels que pose un tel congé pour les femmes. Nous sommes pourtant tous deux chercheurs.

par DAVID KENT | 04 FEV 16

L’automne dernier, j’ai mis sur pied mon laboratoire de recherche au Stem Cell Institute de l’Université de Cambridge, et l’été prochain je ferai quelque chose de totalement différent : je compte prendre un congé parental pour m’occuper de mon nouveau-né. J’avoue que c’est mon frère qui m’en a donné l’idée, lorsqu’il a pris un semestre de congé parental à la naissance de son second enfant, et m’a dit que c’était une des meilleures décisions de sa vie.

Devenir chef de groupe n’a pas été facile : il m’a fallu 11 années d’intenses travaux de recherche, le plus souvent passées dans l’incertitude totale concernant mon avenir professionnel. Et voilà que je vais m’absenter de mon laboratoire pendant 14 semaines. On va voir ce que cela va donner.

Si les réactions de ma famille et de mes amis à l’annonce de mon congé parental ont été plutôt positives, celles de mes collègues ont été très diverses : un nombre considérable d’entre eux a trouvé que j’étais complètement fou de prendre un aussi long congé moins d’un an après le lancement de mon laboratoire de recherche. Ça ne m’a pas trop surpris, ayant fait mes premières armes au sein du système nord-américain où les congés parentaux sont bien moins généreux qu’en Europe. En revanche, d’autres réactions m’ont étonné…

Un soir de novembre, lors d’une réception donnée dans le cadre d’une conférence nationale sur le cancer, j’ai discuté de la place des femmes en sciences avec une chercheuse d’une autre université du Royaume-Uni. Je lui ai confié que ma partenaire et moi entendions profiter de la nouvelle politique du pays en matière de congés parentaux partagés : elle allait s’absenter huit mois et demi, et moi trois mois et demi. Mon interlocutrice s’est dite surprise et même étonnée qu’un tout nouveau chef de groupe comme moi décide de prendre un congé parental. « Tant mieux pour vous », a-t-elle ajouté.

C’est toutefois le lendemain après le dîner que j’ai été le plus surpris quand une parfaite inconnue m’a abordé sur la piste de danse : « Vous êtes David Kent? » J’ai cru qu’elle avait assisté à mon exposé plus tôt dans la journée, mais ça n’avait rien à voir. « Vous êtes bien le David Kent qui va prendre un congé parental bien qu’il soit chef de groupe? Je voulais seulement vous dire merci. » Nous avons discuté un moment. J’ai compris qu’il était plutôt rare qu’un chef de groupe prenne un congé parental, surtout de trois mois et demi. La professeure de la veille avait visiblement fait part de mon intention à ses collègues, et le bouche-à-oreille avait fait le reste.

Voilà maintenant qu’on me félicitait de vouloir prendre un congé de trois mois et demi… J’étais plutôt content de ma décision, jusqu’à ce que je compare mon cas à celui de ma partenaire, chercheuse en début de carrière. Après avoir porté notre enfant pendant huit mois tout en menant des travaux de recherche de calibre mondial, elle s’apprête à prendre un congé parental presque trois fois plus long que le mien. Logiquement, ses collègues universitaires devraient être nombreux à la féliciter de cette décision, courageuse, de passer du temps avec notre enfant. Mais pas du tout!

Si l’annonce de mon congé parental a amélioré mon image aux yeux de certains chercheurs, le congé parental de ma partenaire, plus long, va la forcer à relever le même défi que beaucoup d’autres jeunes femmes universitaires : tenter de démontrer que la maternité n’a pas nui à leur carrière (beaucoup d’entre elles dans leur CV ou dans leurs demandes d’emploi, par crainte que ça leur nuise). Le milieu de la recherche doit appuyer ces femmes plutôt que de les écarter.

Pour attirer les femmes vers les sciences, les universités doivent revoir leur attitude à l’égard de la maternité, considérer qu’il est tout aussi « risqué » d’embaucher un homme qu’une femme. Mais le changement n’est pas facile et ne se fait pas du jour au lendemain. Pour commencer, davantage de pays (et d’établissements) doivent se doter de politiques de type « à prendre ou à laisser » comme au Québec, qui permettent au père de bénéficier des jours de congé parental que la mère ne peut pas prendre. Les universités et les personnes doivent se battre pour cet enjeu. De telles politiques ont conduit à des résultats formidables dans divers pays qui, comme la Suède, figurent désormais parmi ceux qui comptent les plus fortes proportions de femmes à des postes de haut rang. En matière de sciences plus particulièrement, les organismes subventionnaires doivent prendre exemple sur le en ce qui concerne la période d’admissibilité des demandes de subventions. Ils doivent également s’inspirer des bourses postdoctorales de , qui permettent aux jeunes parents de toucher de modiques allocations leur facilitant la vie.

Ou peut-être devrait-on exclure les jeunes parents du domaine des sciences? Les choses semblent hélas aller en ce sens actuellement, ce qui m’inquiète pour l’avenir.

 

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