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À mon avis

Il faut modifier les règles d’attribution des bourses Vanier

Généreux mais mal conçu, le programme des bourses Vanier dénature la logique inhérente au financement des études supérieures

par YVES GINGRAS | 04 AOÛT 09

La création des bourses Vanier destinées aux étudiants au doctorat a été accueillie comme une bonne nouvelle par la plupart des universitaires et des recteurs. Après tout, qui pourrait s’opposer à l’injection de nouveaux crédits dans les universités? Nous savons tous que les universités canadiennes doivent composer avec d’importantes contraintes financières et nous devrions tous remercier le gouvernement d’avoir consenti ce généreux investissement qui profitera à la prochaine génération de chercheurs.

J’ai pourtant un point de vue différent. Avant d’accepter que le moindre dollar soit injecté dans le système de recherche, les universitaires, toujours fiers de leur indépendance intellectuelle, devraient d’abord se demander : cet investissement est-il nécessaire? Répond-il à des besoins réels? A-t-il des effets pervers ou inattendus? En examinant l’exemple récent des bourses Vanier, on constate qu’elles représentent une entorse à la logique implicite du financement des études supérieures et qu’il est essentiel d’y porter un regard critique. Je m’explique.

Depuis la création du premier système de bourses d’études de cycles supérieurs par le Conseil national de recherches du Canada en 1916, il a toujours été implicite que plus les étudiants progressent dans leur niveau de formation, plus ils peuvent bénéficier d’une bourse élevée. Ainsi, à la fin des années 1990, les trois organismes subventionnaires accordaient 17 500 $ à un étudiant à la maîtrise, un peu plus à un doctorant, soit 21 000 $, et environ 35 000 $ à un boursier postdoctoral. Voilà qui était sensé. Après tout, personne ne s’attend à ce que le salaire d’un professeur titulaire soit inférieur à celui d’un professeur adjoint.

C’était avant que des ministres et leurs « experts » s’aventurent à créer de nouveaux programmes sans vraiment consulter les organismes subventionnaires. La première intervention inopportune remonte aux Bourses d’études supérieures du Canada, une initiative du gouvernement libéral de Jean Chrétien. Au lieu d’augmenter simplement le nombre ou la valeur des bourses existantes, ce programme offre des bourses de 35 000 $ à une « nouvelle catégorie » d’étudiants au doctorat. Cela a eu pour effet de créer deux catégories de doctorants : ceux qui valent seulement 21 000 $ et les nouveaux, qui valent 35 000 $. Confrontés à cette nouvelle donne, les organismes subventionnaires n’ont eu d’autre choix que de s’adapter pour éviter l’absurdité d’offrir une bourse de recherche postdoctorale de valeur inférieure aux bourses doctorales. Maintenant, un chercheur postdoctoral reçoit 38 000 $ au CRSH et 40 000 $ au CRNSG et au IRSC… les sciences ayant, naturellement, plus de valeur que les lettres et les sciences humaines…

Les conservateurs de Stephen Harper ont ensuite décidé d’apporter leur propre contribution en créant encore de nouveaux programmes de bourses d’études, sans chercher, eux non plus, à comprendre la logique du système. Nous sommes donc actuellement dans la situation complètement absurde où des doctorants titulaires de la bourse Vanier reçoivent 50 000 $ par année, regardant avec un sourire en coin des chercheurs de niveau postdoctoral qui doivent se contenter de 38 000 $. De plus, des titulaires de la bourse Vanier pourraient très bien se retrouver dans des cours donnés par des professeurs adjoints gagnant moins qu’eux (les bourses étant exonérées d’impôts dans certaines provinces, leur valeur réelle peut en effet dépasser le salaire de certains professeurs adjoints).

Un autre danger, plus subtil celui-là, découlant de ce programme de bourses, est que les récipiendaires pourraient avoir l’illusion d’être meilleurs ou plus intelligents que leurs pairs, tout simplement parce qu’ils reçoivent plus d’argent. Qui plus est, dans quelques années, ils risquent d’accueillir avec surprise, voire avec dégoût, le salaire de 40 000 $ associé à leur poste de chercheur postdoctoral ou même 50,000 $ (imposables) comme professeur adjoint, ou le salaire encore moindre offert par une société privée.

Dans ces circonstances, j’espère que ceux qui ont d’abord salué l’avènement des bourses Vanier reconnaissent maintenant les effets pervers de ce programme et la nécessité d’y apporter au plus tôt des modifications importantes.

Comme il est devenu plutôt rare de voir des ministres couper des rubans pour inaugurer des routes nouvellement asphaltées, on comprend aisément leur désir d’être vus en train de contribuer aux nouvelles autoroutes du savoir. Il est donc fort peu probable que le programme soit mis au rancart et que l’argent soit réparti entre les bourses existantes (ce qui serait le choix le plus rationnel). Il n’y a dès lors qu’une seule solution logique : les bourses Vanier devraient être strictement réservées aux étudiants étrangers qui souhaitent faire leurs études supérieures dans une université canadienne. Dans ce cas, l’écart entre les 35 000 $ des Bourses d’études supérieures du Canada et les 50 000 $ des bourses Vanier pourrait aisément être justifié par les coûts d’un emménagement au Canada et les frais de scolarité élevés exigés par les universités.

Admettre ses erreurs n’est certes pas chose facile. Mais il est sans aucun doute préférable de corriger le tir maintenant, en disant qu’il s’agit « d’ajustements mineurs » apportés à un « merveilleux programme », que de maintenir intact un programme qui dénature la logique interne du système de bourses d’études supérieures.

Yves Gingras est professeur d’histoire et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences à l’Université du Québec à Montréal. Son dernier livre s’intitule Parlons Sciences. Les transformations de l’esprit scientifique (Boréal, 2008).

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