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À mon avis

La sous-représentation des femmes dans les professions STGM tient au fond à des facteurs économiques

Le principe de l’avantage comparatif explique pourquoi moins de femmes que d’hommes optent pour les mathématiques et les sciences.

par LORNE CARMICHAEL | 01 SEP 15

Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans les disciplines scientifiques? Est-ce parce qu’il existe une discrimination à leur encontre dans ce que l’on appelle les STGM (sciences, technologie, génie et mathématiques)?

Tout le monde convient que le sexisme existe, qu’il est une bien mauvaise chose et qu’il doit être éradiqué. Quoi qu’il en soit, dans un monde où toutes les professions sont accessibles aux hommes comme aux femmes, celles-ci ne devraient-elles pas représenter 50 pour cent de l’effectif de chacune d’elles? Pourtant, tel n’est pas le cas. Devrions-nous alors évaluer les progrès de la lutte contre le sexisme dans le domaine des sciences à l’aulne de la proportion de femmes parmi les scientifiques? Dans les deux cas, ma réponse est non.

Si le sexisme était l’unique cause de la sous-représentation des femmes au sein des professions STGM, il faudrait en déduire que l’actuel milieu des STGM est très sexiste – encore plus que ne l’étaient la médecine et le droit dans les années 1960 et 1970, en dépit d’une rapide progression de la représentation des femmes dans ces professions à cette époque.

Or, le milieu des STGM n’a pas l’apanage du sexisme. Le domaine du droit, par exemple, reste réputé sexiste, même si la proportion hommes-femmes y est relativement équilibrée. Le sexisme est par ailleurs la dernière chose dont on puisse soupçonner les sociologues universitaires, même s’il existe une majorité d’hommes dans la plupart des sous-disciplines mathématiques de la sociologie (voir ici). Le sexisme est une réalité, mais l’absence de parité dans les disciplines scientifiques tient à autre chose.

Une autre explication prisée veut que les aptitudes en mathématiques aient une variance plus élevée chez les hommes que chez les femmes, ce qui expliquerait la prépondérance des hommes au sommet de la pyramide professionnelle. Le problème, c’est que bien que nous soyons pour la plupart loin du sommet de la pyramide, nous parvenons tout de même à trouver un travail. Les hommes constituent la majorité des ingénieurs électriciens, mais également des électriciens. Certaines différences de variance peuvent jouer au sommet (et au pied) de la pyramide, mais il y a encore autre chose.

Selon moi, le facteur clé, négligé, a trait aux choix de carrière. Bien des gens semblent estimer que, dans un monde dénué de sexisme, deux personnes également douées en mathématiques sont tout aussi susceptibles l’une que l’autre d’opter pour les STGM, c’est faux.

Le principe économique de base qui sous-tend les choix de carrière, à savoir le principe de l’avantage comparatif, a été découvert par David Ricardo au début du xixe siècle. C’est un principe simple, mais très important. En plus d’expliquer les tendances en matière de choix de carrière, il permet de dégager une orientation normative pour déterminer ce que devraient être ces choix, et d’imaginer des stratégies pour atteindre les objectifs visés.

Permettez-moi d’illustrer ce principe par un exemple, inspiré du cours de première année en économie que je donne. Prenons deux disciplines enseignées au secondaire : le français et les mathématiques. Si les bonnes notes d’un élève dans ces deux disciplines témoignent de son intelligence et de son application, ses bonnes notes en mathématiques indiquent qu’il a le potentiel pour devenir un bon chercheur, alors ses bonnes notes en français montrent qu’il possède le sens de la communication et l’empathie nécessaires pour devenir un bon médecin.

Or, au secondaire, les garçons se classent derrière les filles dans toutes les disciplines, sauf en mathématiques. Supposons, par exemple, que Suzanne obtienne 90 pour cent en mathématiques et 95 pour cent en français, tandis que Stéphane n’obtient que 90 pour cent en maths et 85 pour cent en français. Lequel des deux est le plus susceptible d’opter plus tard pour les sciences?

Le choix d’une discipline ne doit pas uniquement dépendre de nos chances de réussite dans celle-ci par rapport aux autres. Ce qui compte, c’est qu’il soit dicté par nos chances de réussite dans une discipline par rapport à nos chances de réussite dans une autre. Il s’agit d’un choix. Pour répondre à la question consistant à savoir pourquoi les femmes sont si peu présentes en STGM, peut-être faut-il simplement poser la question : « Que pourraient faire d’autre les hommes qui ont opté pour les STGM? »

L’avantage comparatif compte. Une simple analyse de régression montrera que les élèves qui ont de bonnes notes en mathématiques sont relativement plus susceptibles d’opter pour les STGM. Le rapport entre leurs notes en mathématiques et leur moyenne globale apportera en outre beaucoup à cette analyse. On arrive aux mêmes conclusions en faisant une analyse fondée sur les tests d’aptitude plutôt que sur les notes.

Devrait-on encourager davantage de femmes à opter pour les STGM? Suzanne de notre exemple est aussi bonne en mathématiques que Stéphane. Elle deviendra donc une aussi bonne scientifique que lui. Mais, qu’arriverait-il si le fait de permettre à Suzanne de se diriger vers les mathématiques ou les sciences forçait Stéphane à opter pour une autre voie? En règle générale, les choix de carrière qui permettent d’exploiter au mieux les ressources limitées de l’être humain sont ceux qui respectent le principe de l’avantage comparatif. Stéphane devrait donc devenir chercheur, et Suzanne médecin.

La productivité n’est pas tout, et on peut toujours souhaiter une meilleure parité entre les sexes dans toutes les disciplines. La compréhension du principe de l’avantage comparatif se révélera encore  utile sur ce plan. Les politiques d’éducation actuelles incitent les filles à se tourner vers les mathématiques et les sciences. Qu’arriverait-il si on déployait autant d’énergie à aider les garçons à faire mieux dans toutes les autres disciplines? Cela contribuerait à accroître la proportion de femmes en STGM, en donnant aux garçons la possibilité de faire d’autres choix. Et cela pourrait également permettre de commencer à lutter contre un autre problème de parité : la sous-représentation des hommes dans nos universités.

Voilà indéniablement une politique qui pourrait faire l’unanimité.

Lorne Carmichael est professeur d’économie à l’Université Queen’s.

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