Passer au contenu principal
L'aventure universitaire

Le danger de la glorification de l’échec dans le milieu universitaire

Normaliser l’échec sans examiner le système dans lequel il survient pourrait causer plus de tort que de bien.

par JESSICA RIDDELL | 08 AOÛT 18

Depuis quelques années, le monde des affaires est de plus en plus ouvert à l’échec. Les entrepreneurs, autrefois complexés par leurs faux pas, exhibent désormais leurs insuccès comme des médailles. L’« échec positif » est devenu un thème récurrent dans d’innombrables articles de blogue, conférences TED, colloques d’affaires et livres de développement personnel, et cette glorification de l’échec gagne maintenant le monde de l’enseignement supérieur.

L’Université Stanford organise chaque année l’événement Stanford, I Screwed Up!, qui célèbre « les échecs monumentaux dans nos vies ». L’Université Harvard a pour sa part mis sur pied le Success-Failure Project, un forum « de discussion, de réflexion, de compréhension et d’engagement créatif sur les questions de réussite et d’échec ». De son côté, le Princeton Perspective Project vise à rendre les étudiants « plus résilients en leur faisant comprendre que l’échec fait partie intégrante de la route vers le succès ».

L’échec est un aspect essentiel de l’apprentissage. Néanmoins, en normalisant l’échec sans examiner le système dans lequel il survient, nous pourrions causer plus de tort que de bien.

Mon rapport à l’échec a connu des revirements spectaculaires en deux décennies. J’admets depuis peu que mon premier passage à l’université a été un échec retentissant. Mon premier relevé de notes était truffé de D, de F et d’abandons. Après deux années à errer, à faire la fête et à angoisser comme seule une jeune de 19 ans sait le faire, j’ai quitté les bancs d’école. À mon retour à l’université, j’ai attaqué mes cours avec une concentration intense et je n’ai obtenu que des A.

Vingt ans plus tard, lors de séances d’aide aux études, les étudiants s’exclament souvent : « S’il vous plaît, ne me jugez pas à mon relevé de notes! » C’est arrivé si souvent que j’ai décidé d’encadrer mes deux relevés de premier cycle et de les accrocher côte à côte dans mon bureau. J’espérais qu’en les comparant, les étudiants constatent que la même personne, dans deux contextes très différents, mérite toujours le même soutien.

Dans son programme d’un an Failing Well (échouer de la bonne manière), le Smith College souligne ce fait en décernant un certificat d’échec qui se lit comme suit :

« Par les présentes, vous êtes autorisée à échouer, à faire fausse route et à vous tromper dans vos relations, aventures, amitiés, dissertations, examens, activités parascolaires ou tout autre choix universitaire, en tout temps et pour quelque raison que ce soit… sans cesser d’être une personne absolument formidable. »

Je me disais que nous ne pouvions pas demander aux étudiants d’accepter l’échec si nous n’étions pas prêts à le faire nous-mêmes. Toutefois – et c’est là que ça se corse –, ma tentative de rationaliser l’échec risque de rater la cible si elle est mal cadrée. Sans que je m’en rende compte, le message que ma petite installation artistique envoyait aux étudiants était que leurs échecs n’avaient pas d’importance, pourvu qu’ils finissent par réussir – et que réussir se résumait à obtenir d’excellentes notes. Au premier coup d’œil, mes deux relevés masquent le coût personnel de l’échec, minimisent les risques professionnels, cachent les conséquences tangibles et dressent un portrait triomphal qui nuit à tout le monde.

Qui plus est, nous n’avons pas tous le même droit à l’échec. L’étude des évaluations d’enseignement (un champ de recherche complexe en soi) révèle que l’âge, le sexe, la race et l’orientation sexuelle pourraient jouer un rôle important dans l’évaluation des chargés de cours. En tant que jeune femme universitaire, je n’aurais jamais osé me discréditer. Et pour de nombreux membres du corps professoral, surtout ceux faisant partie de groupes marginalisés et sous-représentés, le discours de l’« échec positif » est carrément dangereux.

Enfin, suggérer aux gens d’apprivoiser l’échec sans réformer les systèmes institutionnels qui dévalorisent les parcours atypiques est profondément irresponsable. Dire aux étudiants d’adopter une attitude décomplexée face à l’échec sans leur proposer d’autres façons d’évaluer leurs apprentissages est malhonnête. Les inviter à célébrer leurs « échecs monumentaux » sans redessiner les parcours menant aux cycles supérieurs ou au marché du travail, c’est jouer avec leur avenir. Et demander aux professeurs d’étaler leurs échecs sans revoir le processus d’embauche, d’évaluation et d’avancement professionnel, c’est pénaliser les innovateurs et les électrons libres.

J’utilise maintenant les deux relevés de notes comme point de départ d’une foule de conversations avec des étudiants et des membres du corps professoral sur la manière de définir le succès au-delà des notes, d’intégrer des réflexions qui valorisent le caractère désordonné de la transformation, de créer des systèmes de soutien pour les étudiants et le corps professoral et d’aborder la notion d’échec sans la glorifier. Car échouer mieux, c’est aussi réussir mieux.

À PROPOS JESSICA RIDDELL
Jessica Riddell
Jessica Riddell est professeure au département d’anglais de l’Université Bishop’s, ainsi que titulaire de la chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat et récipiendaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement. Elle est également directrice générale de la Maple League of Universities.
COMMENTAIRES
Laisser un commentaire
University Affairs moderates all comments according to the following guidelines. If approved, comments generally appear within one business day. We may republish particularly insightful remarks in our print edition or elsewhere.

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Click to fill out a quick survey