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L'aventure universitaire

Les étudiants ont beaucoup à nous apprendre en matière de promotion d’intérêts

« La rencontre de différentes voix qui ne chantent pas à l’unisson peut créer de nouvelles et puissantes combinaisons de mélodies. »

par JESSICA RIDDELL | 07 FEV 17

Tous les jours, les étudiants peuvent nous apprendre des choses. Que ce soit en classe, dans le cadre de réunions ou au détour de simples conversations, ils nous inspirent à revoir nos perspectives au sujet de l’enseignement, de nos disciplines et du monde en général.

Bien que les échanges stimulants et enrichissants soient monnaie courante, il y a aussi des moments où les étudiants deviennent des enseignants et transforment irréversiblement notre façon de penser. Voilà ce qui s’est produit récemment lors de la réunion de planification d’une activité destinée à explorer le thème de la promotion d’intérêts dans le domaine de l’enseignement supérieur. Grâce à cette initiative, nous cherchons à mieux comprendre ce que signifie être un défenseur d’intérêts relativement à un enjeu, à un groupe, à une personne ou à un ensemble de principes. Quelles sont les qualités d’un défenseur d’intérêts? Quels sont les défis associés à la promotion d’intérêts? Et comment les universités peuvent-elles renforcer leurs capacités à cet égard?

Une collaboratrice étudiante a amorcé la réunion en prenant quelques instants pour saluer le peuple abénaquis et la confédération Wabanaki, les gardiens et protecteurs traditionnels du territoire où nous étions réunis. Son intervention était si naturelle et empreinte d’une telle grâce que nous en avons été stupéfaits. En reconnaissant leur territoire, elle a rendu l’invisible visible et invité le territoire, les Premières Nations ainsi que la Commission de vérité et de réconciliation à faire partie de la discussion.

Un autre étudiant a capté l’intensité de ce moment en expliquant qu’il peut certes être intimidant d’endosser le rôle de défenseur d’intérêts (particulièrement pour des adultes en devenir), mais que la promotion d’intérêts sous forme de petits gestes quotidiens est beaucoup plus accessible. Reconnaître le territoire est un acte de promotion d’intérêts que nous pouvons tous accomplir, que ce soit en salle de classe ou dans les plans de cours, au début d’une réunion ou dans le cadre d’une conférence publique. Il s’agit d’un exemple de petits gestes que nous pouvons poser au quotidien et qui font de nous des alliés, des défenseurs d’intérêts ou des champions, selon le moment et le contexte.

L’acte de nommer quelque chose – de l’inclure dans le discours – m’apparaît comme l’un des principes sous-jacents de la promotion d’intérêts. En latin, promotion d’intérêts se dit advocare, verbe dont découle un autre mot français, avocat, qui désigne une personne qui en défend une autre. Le verbe advocare lui-même se compose du préfixe ad- (ajouter) et de vocare (appeler ou invoquer, formé à partir de vox, qui veut dire voix). Le sens de ce mot est de donner voix à quelque chose ou d’invoquer quelque chose, vraisemblablement pour amorcer un dialogue. Le préfixe ad- rend explicite l’importance d’une multitude de voix – et, par extension, de perspectives – en matière de promotion d’intérêts. En ce sens, la promotion d’intérêts oblige à reconnaître une diversité de pensées et d’opinions comme un point de départ plutôt qu’un résultat idéal.

Lorsqu’on ajoute sa voix à un chœur d’autres voix, on ne doit pas forcément être en harmonie avec elles; en fait, la rencontre de différentes voix qui ne chantent pas à l’unisson peut créer de nouvelles et puissantes combinaisons de mélodies. Il existe en musique un mouvement appelé atonalité (à noter que je m’y connais très peu en musique, mais j’aime beaucoup les métaphores). D’après ce que je comprends, ce mouvement consiste à jouer des accords familiers de façon à former des combinaisons nouvelles ou inhabituelles, ou de jouer des combinaisons tonales familières dans des environnements peu familiers. L’innovation survient précisément parce que les accords (ou les voix) ne sont pas tous en parfaite harmonie.

Comment éviter que des voix discordantes ne tombent dans la cacophonie? Comment aider nos étudiants à faire résonner leurs voix avec clarté dans le cadre de conversations productives? L’un des moyens de façonner la promotion d’intérêts consiste à être explicite quant à notre rôle d’intellectuels.

Lors de sa participation à la série de conférences Reith, en 1993, Edward Saïd a défini le rôle de l’intellectuel comme celui d’une personne qui se sert de sa voix pour défendre les intérêts des gens privés de leurs droits ou sous-représentés : « L’intellectuel est un être doté de la faculté de représenter, d’incarner et d’exprimer un message, une vision, une attitude, une philosophie ou une opinion à l’intention d’un public précis. Ce rôle est doublé d’une responsabilité : on ne peut le jouer sans se sentir investi du devoir de poser publiquement des questions gênantes, de défier l’orthodoxie et les dogmes (plutôt que de les susciter), et d’éviter de se laisser facilement influencer par les gouvernements ou les entreprises, et dont la raison d’être est de représenter tous les individus et les enjeux couramment oubliés ou balayés sous le tapis. »  [Traduction libre] M. Saïd nous rappelle que l’intellectuel souscrit aux principes universels de liberté et de justice et que nous devons combattre courageusement toute violation de ces principes.

Il nous incombe, dans les établissements d’enseignement supérieur, de favoriser la création de lieux où des voix émergentes et établies peuvent avoir des conversations productives et parfois épineuses. Il nous faut favoriser les forums où les gens peuvent, librement et en toute sécurité, dire la vérité aux détenteurs du pouvoir, remettre en question les idéologies dominantes et dénoncer les injustices et les inégalités. Lorsque les étudiants arrivent à faire entendre leurs voix et nous incitent ainsi à clarifier les nôtres, nous devenons tous de meilleurs défenseurs d’intérêts.

À PROPOS JESSICA RIDDELL
Jessica Riddell
Jessica Riddell est professeure au département d’anglais de l’Université Bishop’s, ainsi que titulaire de la chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat et récipiendaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement. Elle est également directrice générale de la Maple League of Universities.
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