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L'aventure universitaire

Réflexion sur la raison d’être de l’enseignement

par JESSICA RIDDELL | 06 DÉC 16

Cet automne, j’ai recommencé à enseigner après une interruption de trois ans pendant laquelle je n’ai pas mis les pieds dans une salle de classe, même si, pendant mes deux congés de maternité et mon année sabbatique, j’ai participé à d’autres formes d’activité savante. C’est pratiquement la durée du parcours d’une cohorte au premier cycle, et à certains égards, les références culturelles avaient grandement changé pendant mon absence (au début de mon congé, Snapchat n’était pas un phénomène culturel, Donald Trump était animateur à la télévision et le couple Brangelina était encore solide).

De la même façon, j’ai moi aussi subi des transformations sur les plans personnel et professionnel. Même si la plus importante est la maternité, mes travaux de recherche ont évolué, et j’ai eu la chance d’explorer de nouveaux projets de leadership pédagogique. Après trois ans, la perspective de me retrouver devant des étudiants était donc à la fois terrifiante et attrayante.

Avant mon congé, mes exposés étaient méticuleusement préparés, mes présentations PowerPoint, soigneusement conçues et mes documents, parfaitement détaillés. Par conséquent, à mon retour, la préparation de mes cours aurait dû être simple et ne nécessiter que de légers changements pour tenir compte de l’évolution de la discipline. Malheureusement, à mon grand regret, mes exposés ne me convenaient plus. Hors contexte, l’information que j’avais jusque-là présentée avec verve (je pouvais me lancer dans une envolée poétique sur les oxymores dans les sonnets du XVIe siècle et m’extasier devant la complexité rhétorique des anaphores dans Le Roi Lear) me semblait soudainement dépassée, prétentieuse et même futile. Mon point de vue sur le milieu universitaire avait changé, et j’ai dû revoir ma démarche.

L’ancienne pédagogue que j’étais considérait ses étudiants comme de futurs candidats aux cycles supérieurs. Mes objectifs d’enseignements étaient axés sur les résultats : je tenais à amener mes étudiants à avoir une compréhension approfondie de la discipline afin qu’ils puissent produire des dissertations étayées par de rigoureuses recherches. La contrainte d’aborder la matière en long et en large a créé une dynamique particulière : je transmettais le savoir et mes étudiants devenaient en quelque sorte des réceptacles passifs. Je me réjouissais lorsque des étudiants réussissaient bien dans ces conditions, mais je vivais silencieusement une déception le reste du temps. (Attention : il s’agit évidemment d’un portrait simpliste; j’espère que les lecteurs sauront se reconnaître dans ce modèle d’enseignement souvent généralisé au premier cycle.)

Aujourd’hui adepte d’une méthode intégratrice, je collabore avec les étudiants pour renforcer leurs capacités à mener une vie enrichissante, quel que soit leur parcours. Selon ce modèle, les objectifs d’apprentissage sont axés sur le processus. Nous établissons ensemble la vision sous-jacente aux raisons de notre intérêt pour la littérature. Comment, par exemple, l’étude des pièces de Shakespeare nous pousse-t-elle à voir différemment le monde qui nous entoure pour mieux nous connaître et apprécier notre discipline? Pour aborder un texte étrange et inconnu, nous cherchons à le relier à nos propres expériences. L’exploration de nos réactions affectives est un premier pas vers l’acquisition d’un esprit critique plus aiguisé, afin de graduellement s’éloigner de ce que nous savons déjà au profit d’un nouvel ensemble de connaissances. En outre, lorsqu’on se libère de la pression de la matière à couvrir, il devient possible de faire des pauses pour profiter de moments de plaisir spontanés.

Je ne m’attends plus à ce que tous les étudiants apprennent au même rythme ou excellent de la même manière. Il arrive que l’enseignement porte ses fruits longtemps après la fin du cours et l’attribution des notes. À titre d’exemple, un de mes professeurs préférés au premier cycle ajoutait une citation du célèbre philosophe Michel Foucault (L’usage des plaisirs, 1984) au début de tous ses plans de cours : « Il y a des moments dans la vie où la question de savoir si on peut penser autrement qu’on ne pense et percevoir autrement qu’on ne voit est indispensable pour continuer à regarder ou à réfléchir. »

Quand j’étais étudiante au premier cycle, j’ai interprété cette citation comme une permission d’aborder le savoir avec une certaine souplesse intellectuelle et une curiosité illimitée, sans se limiter à la bonne réponse. Plus de 15 ans plus tard, cette citation me touche encore plus profondément, car elle incite à l’empathie en accordant davantage d’importance à l’échange des connaissances qu’à leur transmission pure et simple. Elle invoque notre responsabilité de prendre conscience de nos positions profondément enracinées et de les remettre en question pour grandir en tant qu’érudits et êtres humains.

Je crois toujours que certaines choses doivent être enseignées, et je fais de mon mieux pour aider les étudiants à maîtriser les compétences propres à leur discipline. J’accorde aussi beaucoup d’attention à ma façon d’enseigner et m’efforce de créer les conditions les plus efficaces pour favoriser un apprentissage transformateur. Cependant, je porte maintenant mon attention sur les raisons de l’apprentissage, soit sur ce qui nous motive à entreprendre des projets en tant qu’apprenants. Le fait d’aborder toutes mes activités savantes de cette façon a fait de mon retour en classe une expérience incroyablement enrichissante et intégratrice.

À PROPOS JESSICA RIDDELL
Jessica Riddell
Jessica Riddell est professeure au département d’anglais de l’Université Bishop’s, ainsi que titulaire de la chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat et récipiendaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement. Elle est également directrice générale de la Maple League of Universities.
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