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Réflexions d’un agrégé

Les étudiants aux cycles supérieurs et leur avenir

Carrière : arène, lice pour les courses de chars.

par ALAN MACEACHERN | 06 AOÛT 14

Cet automne, j’entame ma deuxième année à titre de directeur des études supérieures de mon département. Mon expérience antérieure à la tête d’un programme de maîtrise aurait dû me décourager de me porter volontaire pour ce poste. Comprenez-moi bien, c’est amusant d’être de retour dans ce milieu qui, sous son meilleur jour, ressemble à un croisement entre Harry Potter et la télésérie Salle des nouvelles : un mélange d’idéalisme, de passion et d’éloquence (et qui sous son pire jour, en rappelle l’arrogance et l’abrutissement).

Mais le poste de directeur des études supérieures est exigeant. Alors que les programmes d’études au premier cycle sont gérés de manière centrale dans les universités, une bonne partie des programmes d’études aux cycles supérieurs sont dirigés par les départements. Ces derniers endossent donc davantage de responsabilités, par exemple en matière d’horaires, de réservation de salles, de recrutement d’étudiants et de financement. Les fonctions de directeur des études supérieures exigent donc une immersion totale, selon trois échelles temporelles différentes. D’abord, les étudiants aux cycles supérieurs tendent à participer davantage aux activités quotidiennes du département que ceux du premier cycle. Ils sont présents toute l’année; dans mon département, il ne s‘écoule que 10 jours entre le dépôt des notes finales d’une cohorte à la maîtrise et la séance d’accueil de la suivante. Deuxièmement, compte tenu du lien direct entre les programmes de deuxième et troisième cycles et l’avenir des étudiants qui y sont inscrits, les administrateurs de ces programmes doivent souvent offrir un soutien et des lettres de recommandation aux étudiants pendant plusieurs années.

Enfin, notre sentiment de responsabilité envers les étudiants se maintient plus longtemps encore. Les perspectives d’emploi à long terme semblent en effet bien minces pour les futurs universitaires. En 2010-2011, la dernière année pour laquelle des données complètes sont disponibles, 33 postes à temps plein en histoire ont été pourvus dans les universités canadiennes, contre 105 cinq ans plus tôt (année record, précisons-le). Les choses ne se sont pas améliorées depuis. Les jeunes diplômés sont victimes du phénomène, tandis que les professeurs permanents comme moi ne peuvent qu’en être témoins, comme des touristes qui observent de loin un champ de bataille, jouissant d’une perspective plus large et d’une position décidément plus sûre.

Nul ne s’étonnera que les responsables des programmes d’études aux cycles supérieurs aient réagi récemment en se mêlant beaucoup plus de cheminement professionnel. Dans mon département, nous offrons tout au long de l’année scolaire une série d’ateliers et de séminaires sur la présence en ligne, les stratégies de publication, la participation aux conférences, la conversion d’une thèse en livre, la soumission de sa candidature et l’entrevue pour un poste universitaire, ou encore la poursuite d’une carrière non universitaire. Le cheminement professionnel est également abordé dans de nombreux cours. Cette démarche diffère grandement de ma propre expérience d’étudiant, où l’on semblait espérer que le perfectionnement professionnel se produise par une sorte d’osmose. Comme l’a écrit Thoreau, nous devions apprendre par l’expérience, c’est-à-dire l’échec. Aujourd’hui, non seulement les étudiants aux cycles supérieurs sont-ils plus concentrés sur leur carrière, ils apprennent également à voir leurs études comme la première étape de ce cheminement.
Tant mieux, mais pourtant…

Cet été j’ai eu la chance de participer à un atelier d’une semaine destiné aux étudiants en histoire environnementale, en Australie. Les étudiants ont discuté de leur projet de doctorat, de leurs sources et de leur méthodologie, et ont posé des questions sur la recherche de façon très approfondie, mais je ne crois pas les avoir entendus prononcer le mot « carrière ». Bien que ces étudiants aient des perspectives d’emploi très semblables aux nôtres, à l’université ou ailleurs, ils étaient entièrement concentrés sur leur thèse. Je ne saurais dire si cela témoigne des différences entre les cultures universitaires australienne et canadienne. Il est clair toutefois que l’ambiance était beaucoup plus positive, encourageante et joyeuse que chez nous. Je me suis demandé si, en incitant les étudiants à envisager leur recherche sous l’angle de la carrière, je ne détournais pas involontairement leur attention de la recherche elle-même – ou, encore pire, si je n’éteignais pas la flamme qui fait que la recherche et la carrière en valent la peine.

Le Petit Robert recense un emploi vieilli du mot « carrière » : « arène, lice pour les courses de chars ». Une carrière était donc à l’origine un endroit fixe où se passe l’action; c’est seulement au fil du temps qu’elle s’est muée en processus susceptible d’être influencé et développé. Ce cheminement constitue évidemment une libération, mais il génère également de la pression et, éventuellement, peut faire l’objet d’un orgueil démesuré. Nous devons aider nos étudiants à progresser professionnellement, tout en leur rappelant qu’une bonne partie de leur carrière échappera à toute planification, et que l’excellence de leurs travaux demeure la meilleure garantie, en plus d’être une récompense en soi.

Au début de ma carrière (toujours ce mot), je me suis inspiré du groupe Van Halen, rendu célèbre par sa réputation de groupe de heavy métal qui souriait. J’ai décidé de devenir le professeur qui sourit. (Si vous préférez des sources d’inspiration plus intellectuelles, je vous propose celle du peintre Robert Henri : « Il faut peindre comme un homme qui franchit une colline en chantant. ») Au fil du temps, toutefois, je me suis senti de plus en plus responsable de la carrière et de la vie des jeunes chercheurs, et mes sourires se sont faits plus rares. Mais cela ne profite à personne. Cet automne, la série d’ateliers de perfectionnement professionnel du département sera confiée à d’autres. Je vais donc consacrer tous mes efforts à devenir le directeur des études supérieures qui sourit.

Alan MacEachern, professeur agrégé d’histoire à l’Université Western Ontario.

À PROPOS ALAN MACEACHERN
Alan MacEachern
Alan MacEachern is associate professor and graduate chair of history at Western University and director of NiCHE: Network in Canadian History & Environment. His column appears in every second issue.
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