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Les Libéraux agissent rapidement et rétablissent le questionnaire long du recensement

Les chercheurs réclament tout de même des changements pour améliorer l’indépendance et les méthodes de collecte de données de StatCan.

par ROSANNA TAMBURRI | 25 NOV 15
Le 5 novembre 2015 sur la Colline du Parlement, Navdeep Bains et Jean-Yves Duclos (à sa droite) annoncent le projet de rétablissement du formulaire détaillé du recensement obligatoire. Photo : The Canadian Press/Adrian Wyld.
Le 5 novembre 2015 sur la Colline du Parlement, Navdeep Bains et Jean-Yves Duclos (à sa droite) annoncent le projet de rétablissement du formulaire détaillé du recensement obligatoire. Phot : The Canadian Press/Adrian Wyld.

Dès le lendemain de son entrée en fonction, le gouvernement libéral a rempli une de ses promesses électorales et rétabli le questionnaire long obligatoire juste à temps pour le recensement de 2016, un geste accueilli avec joie par les chercheurs universitaires et les personnes dont le travail dépend des données du recensement. L’annonce vient infirmer la décision controversée du gouvernement conservateur d’abolir le questionnaire long obligatoire au profit de l’Enquête nationale sur les ménages (ENM) à participation volontaire.

« Tout au long de la campagne électorale, nous avons réitéré notre engagement à prendre des décisions fondées sur des données probantes en ce qui a trait aux programmes et aux politiques, et à fournir aux Canadiens des services de meilleure qualité et en temps opportun, a déclaré Navdeep Bains, le nouveau ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique lors de l’annonce. Aujourd’hui, les Canadiens retrouvent leur droit d’accéder à de l’information précise et fiable. » M. Bains a fait cette annonce à Ottawa le 5 novembre aux côtés de Jean-Yves Duclos, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social et professeur d’économie à l’Université Laval.

« Le dernier portrait complet et objectif des Canadiens remonte à 10 ans, constate Stephen Toope, président de la Fédération des sciences humaines et ancien recteur de l’Université de la Colombie-Britannique. Nous disposons de nouveau des outils pour savoir qui nous som-mes, dans toute notre diversité. C’est une démar-che essentielle pour bâtir un avenir prospère et inclusif. »

Le Canada procède au recensement tous les cinq ans pour recueillir de l’information sur un éventail de sujets, dont l’éducation, la main-d’œuvre et le revenu. Étant donné la taille importante de l’échantillon, il est possible d’analyser les données de petites aires géographiques ou des sous-groupes démographiques. Les données du recensement sont largement utilisées par les chercheurs, les organisations du milieu des affaires et d’autres ordres de gouvernement pour effectuer de la recherche ou prendre des décisions stratégiques. L’enquête volontaire menée en 2011 reposait sur le même questionnaire que les recensements précédents, mais ceux qui refusaient d’y répondre ne s’exposaient à aucune pénalité. Auparavant, ceux qui ne remplissaient pas le questionnaire obligatoire risquaient une amende pouvant atteindre 500 $ et jusqu’à
trois mois d’emprisonnement, bien que ces péna-lités étaient rarement appliquées.

Le changement a néanmoins entraîné une chute du taux de réponse, qui est passé de 94 pour cent au recensement de 2006 à 69 pour cent à l’ENM de 2011. L’enquête volontaire entraîne également un coût supplémentaire de 22 millions de dollars, car Statistique Canada doit envoyer un plus grand nombre de questionnaires (4,5 millions en 2011 contre trois millions en 2006) pour compenser la baisse anticipée du taux de participation.

« Ainsi, nous avions des données plus coûteuses et de moins bonne qualité », résume Alain Bélanger, président de la Canadian Population Society et chercheur à l’Institut national de la recherche scientifique, membre du Réseau de l’Université du Québec. Il n’était pas non plus possible de comparer les données à celles des recensements précédents. De plus, le taux de réponse était si bas dans environ 25 pour cent des municipalités et petites aires géographiques que l’organisme n’a même pas publié les résultats en raison de préoccupations liées à la qualité, explique M. Bélanger, qui a travaillé à Statistique Canada pendant 17 ans, dont deux à la direction responsable du recensement.

Malgré ces lacunes, la qualité générale des données de l’ENM de 2011 aux niveaux provincial et fédéral était bonne. Au niveau des quartiers, « la situation était clairement problématique, affirme Don Kerr, démographe au
Collège universitaire King’s de l’Université Western. C’est le néant pour de nombreuses municipalités, surtout en région rurale », explique celui qui effectue de la recherche pour le London Poverty Research Centre du Collège King’s et dont les travaux dépendent largement des données sur les quartiers.

Lui aussi un ancien de Statistique Canada, M. Kerr a exhorté le gouvernement fédéral d’aller plus loin et de redonner à l’organisme fédéral et au statisticien en chef l’autonomie dont ils disposaient auparavant. Beaucoup de chercheurs ont perçu le passage à l’ENM volon-taire comme un geste à motivation politique.
« Cette ingérence doit cesser », croit-il.

Dans une lettre ouverte publiée dans le Globe and Mail, Munir Sheikh, ancien statisticien en chef du Canada et cadre chercheur à l’École de politique publique de l’Université de Calgary, demande au gouvernement fédéral de changer la Loi sur la statistique pour faire de Statistique Canada un organisme véritablement indépendant. En vertu de cette loi, le ministre responsable a l’autorité de trancher les questions techniques, et le cabinet peut déterminer les éléments à inclure dans le questionnaire du recensement. « C’est une situation inacceptable, écrit celui qui a démissionné de son poste à Statistique Canada pour protester contre l’annulation du questionnaire long obligatoire. Je crois que le contenu d’un recensement doit dépendre uniquement des besoins en données du pays, et non des enjeux politiques du jour. »

Malgré les critiques qui ont fusé de toutes parts au sujet de l’ENM à participation volontaire, le changement a poussé Statistique Canada à faire preuve « d’une grande créativité » quant à la façon de mener un recensement, explique Miles Corak, professeur d’économie à l’École supérieure d’affaires publiques et internatio-nales de l’Université d’Ottawa, une tendance qu’il espère voir perdurer. L’organisme a entre autres commencé à explorer d’autres méthodes de dénombrement des populations au moyen des trésors d’information contenus dans les bases de « données administratives » du gouvernement, comme le rôle des contribuables et les listes électorales. « Ces méthodes sont très novatrices et rentables », fait-il remarquer.

D’autres pays prennent également ce virage. Plus tôt cette année, le gouvernement britannique a adopté officiellement son programme de transformation du recensement, un plan qui vise à étudier l’utilisation de méthodes de recensement moins coûteuses, y compris le recours aux données administratives, d’ici 2021.

Corak a également mis le gouvernement en garde contre l’adoption d’une politique du bâton contre ceux qui ne remplissent pas le questionnaire. Certains groupes considèrent le recensement comme une intrusion dans leur vie privée et n’aiment pas le fait qu’il soit obligatoire, explique M. Corak. Des menaces de poursuites ne les gagneront pas à la cause, ajoute-t-il. Il aimerait voir le gouvernement faire la promotion de la participation au recensement en tant que devoir relevant d’un comportement civique responsable.

Fort du retour du questionnaire long, Statistique Canada se heurte tout de même à d’impor-tantes difficultés de financement. L’or-ganisme reçoit un financement de base du gouvernement fédéral pour recueillir certaines données, comme celles du recensement, de même que des chiffres sur l’inflation, le PIB et la main-d’œuvre qui sont essentiels à l’établissement des politiques macro-économiques. Il recueille égale-ment des données pour d’autres ministères fédéraux et ordres de gouvernement selon un modèle de recouvrement des coûts.

Au cours des dernières années, Statistique Canada et d’autres ministères ont vu leur finance- ment de base diminuer. Parallèlement, d’autres ministères et ordres de gouvernement, eux-mêmes aux prises avec des restrictions budgétaires et des priorités changeantes, ont réduit le montant consacré à la collecte de données. Par conséquent, Statistique Canada a accusé un « double coup » qui a entraîné la fin de plusieurs enquêtes. L’organisme demeure malgré tout « fondamentalement bien géré », indique M. Corak, qui a travaillé au sein de la direction responsable de la recherche pendant un certain nombre d’années.

Quelques jours après avoir annoncé le retour du questionnaire long, le gouvernement fédéral a fait savoir qu’il levait les restrictions empêchant les scientifiques fédéraux de parler publiquement de leurs travaux de recherche.

Ces changements de politiques sont « des plus encourageants », estime Scott Findlay, profes–seur agrégé de biologie à l’Université d’Ottawa et co-fon-dateur d’Evidence for Democracy, un groupe de défense d’intérêts qui a protesté contre le musellement des scientifiques fédéraux et l’élimination du questionnaire long par le gouvernement conservateur.

Selon M. Findlay, l’engagement pris par les Libéraux pendant la campagne électorale de créer un poste de directeur scientifique sera plus difficile à mettre en œuvre rapidement en raison des ressources financières nécessaires. Il est difficile de savoir si le gouvernement entend rétablir le poste de conseiller national des sciences – occupé de 2004 à 2008 par Arthur Carty, ancien président du Conseil national de recherches du Canada, jusqu’à ce qu’il soit éliminé par le gouvernement conservateur – ou lui donner une autre forme.

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