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À mon avis

Il faut prendre soin des sciences humaines au Canada

Il faut définir notre place dans le monde.

par AARON W. HUGHES | 01 DÉC 16

Nous avons tous entendu parler de la « mort des sciences humaines », c’est-à-dire de la baisse des taux d’inscription et de la suppression de postes à temps plein dans ce domaine. Par contre, nous avons tendance à fermer les yeux sur le fait que des postes menant à la permanence il y en a au Canada, mais qu’ils sont bien souvent confiés à des universitaires formés à l’étranger. Les preuves à l’appui demeurent toutefois empiriques tant que personne ne mènera la plus que nécessaire étude à grande échelle sur la question.

Par exemple, à l’Université de Calgary où j’ai travaillé de 2001 à 2009, aucun des cinq nouveaux employés qui ont obtenu un poste en sciences religieuses ne provenait d’un établissement canadien et seuls deux d’entre eux étaient canadiens. En tant que membre du comité de recrutement chargé de pourvoir la plupart de ces postes, je sais pertinemment que la mention « on encourage tous les candidats qualifiés à postuler; la priorité sera toutefois accordée aux Canadiens ainsi qu’aux résidents permanents » n’a aucune substance. J’ose avancer que les membres de la plupart des comités de recrutement au pays ne sont pas dupes. Dans mon exemple personnel, des Canadiens plus qualifiés, et par ailleurs issus de programmes canadiens, avaient présenté leur candidature.

Même son de cloche de la part de collègues du domaine des sciences des religions et de disciplines semblables au sein d’autres établissements canadiens. Nous avons tout simplement failli à notre responsabilité envers nos étudiants à la maîtrise et au doctorat, envers nous-mêmes et envers les sciences humaines de ce pays.

Pour ajouter au problème, dans les facultés d’études supérieures des établissements canadiens, le débat de l’heure porte sur la question de la « professionnalisation ». Voyez le paradoxe : nous embauchons des universitaires formés à l’étranger qui s’investissent souvent très peu dans le milieu universitaire canadien, mais nous tenons à former au Canada des universitaires qui occuperont des emplois hors du milieu universitaire. Autrement dit, nous vous formons à l’aide de nos programmes, mais s’il nous faut pourvoir un poste, nous nous tournons plutôt vers les diplômés d’universités américaines prestigieuses.

Si le terme « professionnalisation » est à la mode, il suppose tout de même un appauvrissement des normes. Supposons que nous voulions offrir une formation en muséologie dans le cadre de programmes de doctorat en études anciennes. Dans un contexte de professionnalisation, les cours de philologie (grec et latin) semblent superflus. Pourquoi alourdir inutilement le fardeau des étudiants et des professeurs? Pourtant, nous nous attendons certainement à ce que le nouveau professeur ait reçu cette formation pendant ses études à l’Université Yale. Alors pourquoi nos étudiants n’en auraient-ils pas aussi besoin? Propulsés sur le marché du travail, les étudiants formés au Canada tentent ensuite d’obtenir un poste dans les universités américaines de troisième ou de quatrième niveau. Ils doivent alors rivaliser avec des Américains mieux formés qu’eux, qui ont bien souvent eu un encadrement en matière de professionnalisation. Précisons ici que le terme « professionnalisation » (qui désigne la préparation à des entrevues d’emploi aux États-Unis) ne signifie pas la même chose au Canada (à savoir la préparation à un emploi dans un milieu non universitaire).

C’est une tragédie nationale. Aucun pays développé — surtout s’il a une portée internationale aussi grande que le Canada — ne s’en remet aux autres pays pour former son élite intellectuelle. En l’espace d’une génération, il se pourrait que nous n’ayons rien de plus qu’un corps professoral professionnel peu enclin à s’investir dans les enjeux qui touchent le Canada et les Canadiens.

Nous débattons des mauvaises questions. Au lieu d’analyser les façons de préparer les étudiants aux cycles supérieurs du Canada à occuper des emplois dans des milieux non universitaires, nous devrions chercher à cerner l’apport typiquement canadien aux sciences humaines.

Et par apport typiquement canadien, je ne parle pas d’examiner des questions telles que « le hockey est-il une religion? » ou « en quoi les paroles des Tragically Hip ont-elles une singularité canadienne? ». Le Canada joue de nouveau un rôle de premier plan dans de nombreuses discussions internationales sur le multiculturalisme, la tolérance et la citoyenneté. La Charte canadienne des lois et libertés — et non la Constitution des États-Unis — sert de modèle aux États-nations émergents. Le Canada a la chance de poser un regard international sur le monde. Il ne demeure pas centré sur lui-même et ne transforme pas ses préoccupations personnelles en vérités universelles. Le Canada se soucie fondamentalement des autres.

Je ne dis pas qu’il nous faut simplement convertir les sciences humaines en une série de particularismes, ni imiter les États-Unis où trois postes en sciences humaines sur cinq sont axés sur un aspect de la culture américaine.

En revanche, j’estime qu’un certain regard universel et international définit la place du Canada dans le monde. Il doit donc exister une façon toute canadienne de résoudre les questions humaines pressantes qu’abordent les sciences humaines.

La vision des sciences humaines au Canada doit être distincte. Elle doit aller au-delà d’expressions telles que « professionnalisation » ou « cheminements professionnels différents ». Une telle réorientation permettrait peut-être aux universitaires formés au Canada d’obtenir des emplois au pays comme à l’étranger.

Il est grand temps de discuter de la question dans une perspective élargie. La capacité de notre pays à façonner son propre parcours intellectuel en dépend.

Aaron W. Hughes est titulaire de la chaire Philip S. Bernstein au département des sciences des religions et d’études anciennes de l’Université de Rochester. Il rédige actuellement une monographie sur l’étude des sciences des religions dans les universités canadiennes.

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