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Six universitaires autochtones partagent leurs réflexions entourant le 150e

La plupart d’entre eux n’ont rien à célébrer.
par MOIRA MACDONALD
07 JUIN 17

Six universitaires autochtones partagent leurs réflexions entourant le 150e

La plupart d’entre eux n’ont rien à célébrer.

par MOIRA MACDONALD | 07 JUIN 17

La confédération a été décrite comme un moment décisif, pour le pire, dans la vie des Premières Nations, des Inuits et des Métis du Canada. Le fait que les droits accordés aux Autochtones lors de la proclamation royale britannique de 1763 et que les traités subséquents n’aient pas été respectés est bien documenté. Le bien-être des Autochtones ainsi que la vitalité de leurs cultures et de leurs langues se sont fortement détériorés, en particulier après l’adoption de la Loi sur les Indiens de 1876. Dans son rapport de 2015, la Commission de vérité et réconciliation (CVR) du Canada, qui a examiné les conséquences des pensionnats et des abus subis par les enfants autochtones, affirme que « la réconciliation nationale est le cadre le plus approprié pour orienter la commémoration » du 150e anniversaire de la Confédération. À son avis, il s’agit d’« une occasion pour les Canadiens de faire le point sur leur passé, et de célébrer les réalisations du pays sans se dérober à la responsabilité de ses échecs ». Voici les réflexions de six chercheurs autochtones dans des universités canadiennes qui nous font découvrir leur vision d’un « Canada réconcilié ».


Naiomi Metallic, professeure adjointe et titulaire de la Chaire du Chancelier en droit et politiques aborigènes à l’Université Dalhousie. Micmaque originaire de la Première Nation Mi’gmaq Listuguj, au Québec.

Pour nous, le 150e anniversaire ne revêt pas un caractère aussi festif que pour les autres Canadiens. Ce que nous espérons, surtout à la lumière du rapport de la CVR, c’est que les autres Canadiens se demandent comment traduire ce discours en action concrète. Il y a tant à réparer. Le statu quo n’est plus possible.

Dans un Canada réconcilié, notre relation fondée sur des traités serait rétablie, la souveraineté et le droit à l’autodétermination des Autochtones seraient reconnus et la relation de nation à nation serait renouvelée. Pour y parvenir, il faudra entre autres prendre des mesures législatives en partenariat avec les Autochtones. Trop longtemps, le gouvernement a privilégié l’adoption de politiques, mais celles-ci peuvent être modifiées d’un gouvernement à l’autre. En revanche, les lois sont beaucoup plus contraignantes. Par exemple, une loi pourrait reconnaître le droit à l’autonomie gouvernementale des Autochtones pour les enjeux fondamentaux liés à la saine gestion et au bien-être de leurs collectivités, comme la protection de l’enfance, le développement social, le logement, la langue et la culture ainsi que diverses questions internes. Elle servirait de point de départ aux négociations subséquentes sur les autres enjeux où les intérêts et les compétences des Autochtones et des autres gouvernements se chevauchent, comme le territoire, l’eau et les ressources.

Les Autochtones et leurs collectivités seraient ainsi traités comme des partenaires respectés et non comme des intervenants, souvent consultés après la prise de décisions. Il faudrait alors progressivement abandonner la Loi sur les Indiens, selon les désirs, les besoins et les capacités des différentes nations autochtones. Une telle démarche nécessiterait le renforcement des capacités au sein des collectivités autochtones ainsi que des ressources qui les aideraient à atteindre l’autonomie gouvernementale. Les universités pourraient mettre de l’espace, de la recherche et des services à profit pour les aider à déterminer leur vision de l’avenir et les moyens de la concrétiser, de même qu’à renforcer leurs capacités.

L’autodétermination ne signifie pas que les Autochtones souhaitent se séparer de l’État canadien. En fait, ce serait tout le contraire dans un Canada réconcilié. Nos intérêts et nos compétences se chevauchent pour de nombreux enjeux qui nous concernent tous. Pour former un partenariat sincère et une véritable relation de nation à nation, nous devons partager les instances du pays, entre autres au Parlement, au Sénat, dans les commissions juridiques et dans les tribunaux. La réconciliation en dépend aussi.


Shirley Williams (Migizi ow-kwe), aînée et professeure émérite en langue Nishnaabemowin au département d’études autochtones de l’Université Trent. Odawa-ojibwée de la réserve indienne non cédée de Wikwemikong sur l’île Manitoulin, en Ontario.

Le 150e anniversaire de la Confédération n’a rien de réjouissant pour les Anishinaabe, car il marque 150 ans d’oppression. Mon peuple a toutes les raisons de souligner sa résistance, sa résilience, sa renaissance et sa guérison. La vérité sur ce qui nous est arrivé est la clé de la réconciliation. Il faudra aussi reconstruire, ensemble, ce qui a été brisé.

De 10 à 16 ans, j’ai fréquenté le pensionnat St. Joseph de Spanish, en Ontario. Un représentant du gouvernement et un prêtre sont venus me chercher lorsque j’avais sept ans, mais mon père a réussi à me garder à la maison en leur disant qu’il m’enseignerait ce qu’il fallait, y compris le catéchisme. Il n’a toutefois pas précisé dans quelle langue il le ferait. C’est ainsi que l’importance de ma langue, le Nishinaabemowin, m’a été inculquée, et ce n’est qu’au pensionnat que j’ai appris l’anglais.

Pour favoriser la réconciliation, la meilleure décision que le Canada pourrait prendre serait de nous aider à faire renaître les langues et les cultures qui ont été détruites. Il est encore difficile d’obtenir le financement nécessaire à la création et à la publication de ressources pédagogiques en langues autochtones attrayantes et intéressantes pour les étudiants, comme on le fait pour les autres langues. Nous devons aussi éliminer les obstacles à l’apprentissage des langues autochtones à l’école, comme le minimum de 15 élèves requis pour qu’un programme soit offert ou les cours proposés seulement à l’heure du dîner. Des programmes devraient être mis en place pour les adultes qui ont oublié leur langue à la suite de la rafle des années 1960, ou pour offrir aux locuteurs qui maîtrisent bien leur langue la formation et les accréditations nécessaires pour transmettre leur savoir sans passer des années à l’université. Il faut aussi créer des programmes d’immersion.

Dans un Canada réconcilié, les membres des Premières Nations et les Canadiens entretiendraient une nouvelle relation exempte de racisme où la paix, l’harmonie et la bienveillance régneraient. Nous pouvons y arriver, mais nous devrons déployer les efforts nécessaires. C’est le seul moyen de nous accepter les uns les autres, et il nous faudra faire preuve de détermination.


Janet Smylie, professeure agrégée à l’école de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto et titulaire de la chaire de recherche appliquée en santé publique des IRSC sur la santé des Autochtones. Métisse avec des liens familiaux au Manitoba, en Alberta et en Saskatchewan.

Dans un Canada réconcilié, tous les petits Autochtones naîtraient dans une famille, une collectivité et une société où leurs besoins sont comblés et leurs talents, cultivés. Les adultes, les enfants et les jeunes entretiendraient des liens forts qui favoriseraient la transmission des connaissances et des pratiques autochtones.

Ainsi, il n’y aurait plus d’inégalités dans la répartition des ressources sociales et de santé entre les Autochtones et le reste de la population. Au Canada, le taux de mortalité infantile est de deux à quatre fois plus élevé chez les Autochtones que chez les non-Autochtones. C’est un indicateur important, et tragique, de leur santé et de leur bien-être. Nos travaux ayant démontré que plus de 80 pour cent des Autochtones des villes canadiennes vivent sous le seuil de la pauvreté, une grande redistribution des richesses aurait lieu.

Les revendications territoriales seraient réglées. Et comme, de nos jours, la majorité des Autochtones vivent en ville, ils s’y réapproprieraient aussi de magnifiques espaces. Ces lieux ne seraient pas interdits à la population non autochtone, mais ils seraient autodéterminés et administrés par des Autochtones. C’est le cas du Toronto Birth Centre par exemple. Tous les habitants de Toronto peuvent y aller, mais sa mise sur pied a été orchestrée par un groupe de sages-femmes dans le respect des Autochtones, qui sont aussi majoritaires au sein du conseil d’administration.

Les universités s’associeraient avec des collectivités et des organisations autochtones pour créer des centres d’apprentissage et de formation (en santé ou en arts, par exemple) dirigés par des Autochtones et où au moins la moitié du programme serait conforme aux façons d’apprendre et de faire des Autochtones. Les langues autochtones seraient en plein essor chez les enfants. Les adultes auraient accès à des programmes linguistiques adaptés à leur style d’apprentissage et à leur horaire chargé.

Les Canadiens non autochtones devront aussi reconnaître que nous sommes tous parents sur ce territoire, un peu comme des demi-frères et des demi-soeurs. Il faudra changer la mentalité individuelle et collective des Canadiens pour constater que nous faisons partie d’une famille vraiment exceptionnelle où chacun a beaucoup à offrir. Chaque bébé autochtone est porteur d’un tel changement.


Bob Kayseas, professeur de commerce et vice-recteur adjoint à l’enseignement à l’Université des Premières Nations du Canada. Nakawe (Saulteaux) de la Première Nation du lac Fishing en Saskatchewan.

Je comprends que certains perçoivent comme un affront les célébrations entourant le 150e anniversaire de la Confédération. Mais d’un autre côté, nous partageons l’histoire de ce pays. Tout n’a pas toujours été rose et nos relations sont encore très complexes. Mais pensez au Canada d’aujourd’hui, aux possibilités qu’il nous offre. Il fait bon y vivre. Nous devons le souligner, tout en reconnaissant que beaucoup reste à faire.

Dans un Canada réconcilié, les entreprises qui participent à l’extraction des ressources demanderaient l’avis des collectivités autochtones voisines dès le début des projets. Elles échangeraient avec elles activement et iraient même jusqu’à les considérer comme leurs égales. Ces sociétés tisseraient avec les entreprises autochtones des liens similaires à ceux qu’ils entretiennent avec les autres entreprises. Le gouvernement du Canada soutiendrait et ferait la promotion des ententes commerciales autochtones publiquement, comme il le fait pour les autres entreprises. Nous avons l’impression de devoir lutter envers et contre tous pour réussir, alors que nos réussites devraient aussi être celles du Canada.

Pour que ces entreprises grandissent et que ces investissements portent leurs fruits, le gouvernement fédéral doit régler les revendications territoriales et ainsi transformer les incertitudes en possibilités. En Saskatchewan, l’entente de 1992 sur les droits fonciers issus de traités a entraîné le versement de près d’un demi-milliard de dollars aux Premières Nations pour l’achat de terres et de droits miniers (pour rembourser une dette foncière de la Couronne). Tant les Premières Nations que la province ont ainsi profité d’une croissance économique.

Dans un Canada réconcilié, les Autochtones seraient plus présents sur le marché du travail et en entrepreneuriat. Pour ce faire, il faudrait leur offrir un soutien éducatif et comprendre, sans juger, d’où ils viennent. Les entreprises autochtones sont souvent lancées par des entrepreneurs de première génération, et ceux-ci ont besoin de soutien. La réconciliation n’aura pas lieu tant que les entrepreneurs et les gens d’affaires autochtones ne seront pas considérés comme la norme, et non l’exception.


Karla Jessen Williamson, professeure adjointe au département de fondations éducatives à l’Université de la Saskatchewan. Inuite de Maniitsoq au Groenland.

Il est très éprouvant de voir son existence niée et, pour les Autochtones, c’est ce que les 150 dernières années représentent. Cet anniversaire doit marquer le début d’un changement. Nous devons revoir notre pensée et notre attitude de colonisateurs et redéfinir ce qui fait de nous des Canadiens. Nous devons abandonner les fausses croyances voulant que le Canada ait été fondé par les Français et les Anglais. Il faut reconnaître que tout a commencé avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits, que notre société actuelle doit sa réussite à la diversité et que nous savons partager les ressources équitablement.

Dans un Canada réconcilié, il irait de soi de se soucier des intérêts des Autochtones. Ceux-ci retrouveraient leur santé mentale, physique et spirituelle. Dans quel genre de pays vivons-nous si 70 pour cent des habitants du Nunavut ne mangent pas à leur faim? Pour les Inuits, la réconciliation passerait par l’autodétermination.

Les systèmes de connaissances autochtones seraient respectés et reconnus. Leur unicité n’est actuellement pas reconnue par les organismes subventionnaires, et les Autochtones ne bénéficient d’aucun financement pour les mettre sur pied et les intégrer systématiquement au milieu universitaire. Il est impossible d’obtenir des fonds pour un projet qui n’est pas rédigé dans l’une des langues officielles. Dans un Canada réconcilié, un projet de recherche pourrait être entièrement mené dans une langue autochtone, selon un système de connaissances autochtone, et les fonds seraient réinvestis dans les établissements où travaillent les chercheurs.

Les universités apprécieraient aussi les efforts que les chercheurs autochtones déploient pour faire profiter le milieu universitaire d’un savoir autochtone authentique et respecté par leurs collectivités d’origine. Les chercheurs autochtones doivent souvent jongler avec les visions du monde occidentale et autochtone dans le cadre de leurs recherches. Une sensibilisation à cet aspect est nécessaire. Dans le milieu universitaire, les processus découlent souvent d’une méthode colonialiste et peuvent facilement anéantir les contributions et les connaissances uniques des universitaires autochtones.

La réconciliation est porteuse de grands espoirs et j’espère qu’ils se traduiront par des gestes concrets.


Qwul’sih’yah’maht (Robina Thomas), professeure agrégée au département de service social et directrice, Études autochtones et mobilisation communautaire à l’Université de Victoria. Salishe du littoral de la Première Nation Lyackson en Colombie-Britannique.

Je ne pense pas que les Autochtones soient prêts à parler d’un Canada réconcilié. Par définition, la réconciliation consiste à rendre compatibles des points de vue ou des croyances différents. Dans notre cas, quels sont ces points de vue ou ces croyances? Qui doit se réconcilier avec qui? Je crois que nous sommes loin d’être prêts à amorcer une telle démarche. J’ai peur que les efforts de réconciliation nous fassent oublier les crimes du passé et leurs liens avec le présent.

Les pensionnats ont laissé des séquelles qui mènent aujourd’hui encore à des atrocités : des femmes, des filles et des personnes bispirituelles disparaissent ou sont assassinées, et un taux alarmant d’enfants autochtones sont retirés à leurs parents et confiés à des étrangers. Plus de la moitié des enfants pris en charge au Canada sont autochtones, même si nous ne représentons que quatre ou cinq pour cent de la population. Les familles de certaines femmes assassinées ou disparues disent se sentir exclues de l’enquête fédérale. Quels sont donc ces points de vue que nous cherchons à concilier? Le gouvernement fédéral a été poursuivi devant la Cour fédérale et le Tribunal canadien des droits de la personne en raison de la discrimination subie par les enfants autochtones pris en charge par les services de protection de l’enfance. Nous avons gagné cette cause, mais rien n’a vraiment changé. La réconciliation ne se concrétisera pas tant que cette violence persistera, tant que le système de protection de l’enfance continuera à nous enlever nos enfants et que des mères, des soeurs, des filles et des grand-mères disparaîtront dans nos rues et nos collectivités.

L’éducation est la clé. Nous devons faire connaître la vérité aux jeunes en leur parlant de l’héritage des politiques et des pratiques coloniales et de leurs conséquences pour les Autochtones. S’ils faisaient cet apprentissage dès leur plus jeune âge, les enfants auraient peut-être une perception différente des Autochtones du Canada et n’auraient pas à remettre en question leur identité canadienne plus tard dans leur vie, ce qui est une démarche douloureuse.

J’ai des sentiments très contradictoires à l’égard du 150e anniversaire de la Confédération. Je n’ai jamais fêté le 1er juillet, car j’ai du mal à célébrer en sachant que nous ne rendons pas hommage à tout le monde, en particulier aux femmes et aux enfants autochtones. Cela dit, je pense que certaines festivités se dérouleront dans le respect et rendront hommage aux Autochtones et à leurs façons d’apprendre et d’être, et ce sont celles-là que je rechercherai.

Rédigé par
Moira MacDonald
Moira MacDonald est journaliste à Toronto.
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