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Des universitaires sont la proie de conférences de qualité douteuse

Cette tendance mondiale décrédibilise des carrières et gaspille les fonds que les universités allouent aux conférences.

par ALEX GILLIS | 05 MAR 18

Des éditeurs de revues savantes trompeuses ou de mauvaise qualité organisent des conférences universitaires aussi lucratives que douteuses. Et pourtant, certains professeurs ne semblent pas comprendre qu’ils devraient s’abstenir d’y participer.

L’année dernière, Eduardo Franco, professeur à l’Université McGill, a été consterné de découvrir que 220 professeurs de son établissement figuraient sur la prétendue liste des « rédacteurs, collaborateurs et conférenciers » ayant contribué aux revues et conférences de l’un de ces éditeurs, OMICS International. M. Franco, titulaire d’une chaire James McGill au sein des départements d’oncologie, d’épidémiologie et de biostatistique de l’Université McGill, explique qu’OMICS a organisé quelque 3 000 conférences de qualité douteuse et publié environ 700 revues dont plusieurs sont dites « prédatrices », selon le terme inventé par Jeffrey Beall, bibliothécaire à l’Université du Colorado à Denver. M. Beall est l’auteur d’une populaire liste virtuelle de fausses revues qu’il dit avoir retirée l’année dernière en raison du harcèlement d’éditeurs prédateurs.

Selon M. Franco, la plupart des 220 professeurs de McGill figurant sur le site d’OMICS n’avaient aucun lien avec l’entreprise et ne savaient pas que leurs noms y apparaissaient, mais cette information n’a pas contribué à le rassurer.

« Nous étions en train de perdre le contrôle, souligne-t-il. Certains de nos professeurs en début de carrière et de nos professeurs chevronnés et respectés assistaient à des conférences qu’ils croyaient sérieuses, mais découvraient sur place à quel point elles étaient médiocres et ridicules. »

Beaucoup d’universitaires ont probablement reçu des pourriels bourrés de vagues promesses et de fautes d’orthographe et de grammaire les invitant à ces fausses conférences. Les organisateurs affirment soumettre leurs conférenciers et leurs articles à un processus d’évaluation par les pairs, mais, une fois sur place, les participants découvrent qu’il n’en est rien ou, pire encore, que des sujets bizarres ou sans intérêt sont abordés et qu’il y a peu de membres du personnel sur place, voire aucun.

L’automne dernier, Tom Spears, journaliste au Ottawa Citizen, a soumis une fausse proposition d’exposé sur « la biomécanique du vol des cochons » aux organisateurs d’une conférence prévue en 2017. Ces derniers l’ont acceptée, en affirmant qu’elle avait passé le processus d’évaluation par les pairs. Ils demandaient en outre à M. Spears de payer des frais de 999 $ pour participer à la conférence.

Cette tendance mondiale serait amusante si ce n’est qu’elle décrédibilise des carrières, contamine les recherches et gaspille les fonds que les universités allouent aux conférences. C’est ce que M. Franco a expliqué au printemps 2017 lors d’une réunion du corps professoral de la faculté de médecine de l’Université McGill, où il a projeté à l’écran la liste des noms des 220 professeurs de l’établissement mentionnés sur le site d’OMICS. Environ 50 universitaires, y compris le doyen de la faculté et une trentaine de directeurs, de doyens associés et de vicedoyens de la faculté, étaient présents. La plupart de ces personnes ne figuraient pas sur la liste, mais ont reconnu les noms de leurs collègues.

« Les gens étaient très fâchés, affirme M. Franco. La médecine est un sujet prisé par les organisateurs de ces conférences trompeuses. Mon but était de montrer que des entreprises se servaient de nous pour se faire valoir. »

« Certaines entreprises réussissent même à faire reconnaître leurs conférences en tant que formations professionnelles continues dans certains pays, ce qui leur procure une certaine crédibilité, ajoute-t-il. Je ne comprends pas comment elles s’y prennent. Pour obtenir cet agrément, un programme doit normalement être bien conçu et son contenu, décrit en détail. »

En tant que directeur de département, un des rôles de M. Franco est de superviser les promotions. Il doit notamment lire tous les curriculum vitæ soumis à son département et les rapports annuels des professeurs. C’est ce qui l’a amené, en 2014 et en 2017, à envoyer des notes de service aux membres du corps professoral afin de les inviter à la prudence. « Mon rôle de directeur fait en sorte que je vois ces événements dans les rapports annuels et les curriculum vitæ des universitaires. Lorsque nous avons remarqué que des fonds provenant de l’université ou des subventions étaient utilisés pour assister à ces conférences, nous avons dû mettre un terme à cette situation. »

Au printemps 2017, il a conseillé ce qui suit à ses collègues : « Si vous en faites partie, vous devriez démissionner des comités de rédaction ou des groupes responsables des conférences de ces entreprises. Votre nom et celui de l’Université McGill ne doivent pas être associés à une escroquerie. »

Malheureusement, les noms et les notices biographiques d’universitaires de l’Université McGill figurent toujours sur le site Web d’OMICS. En fait, leur nombre était même passé à 257 au début de février 2018, même si de nombreux professeurs affirment avoir demandé d’être retirés de la liste.

Le problème ne touche pas seulement l’Université McGill. OMICS affirme que 314 universitaires de l’Université de Toronto, 253 de l’Université York, 182 de l’Université de l’Alberta, 59 de l’Université Dalhousie et 38 de l’Université Concordia font partie de ses rédacteurs, collaborateurs et conférenciers, et il ne s’agit que de quelques exemples.

Le propriétaire d’OMICS, Srinubabu Gedela, et ses employés se trouvent à Hyderabad, en Inde. En novembre dernier, la Federal Trade Commission des États-Unis a obtenu une injonction interdisant à OMICS de faire des assertions inexactes sur ses conférences et les universitaires. Malheureusement, « cette injonction n’a absolument rien donné, déplore M. Franco. Rien n’est fait pour arrêter OMICS et ses conférences prédatrices. »

M. Franco explique qu’OMICS n’est qu’une des nombreuses entreprises qui organisent ce genre de conférences sous divers noms. Il en a recensé plus de 40. « J’oserais presque affirmer que les conférences trompeuses sont 10 fois plus nombreuses que celles qui sont organisées par de vrais professionnels », avance-t-il.

Un curriculum vitæ à étoffer

Pourquoi les universitaires se font-ils avoir? Comme l’explique Lucy Lee, doyenne de la faculté des sciences de l’Université de la Fraser Valley et présidente actuelle du Conseil canadien des doyens de sciences, « soit ils sont jeunes, inexpérimentés et naïfs ou veulent gravir les échelons rapidement, soit ils sont plus âgés et savent que ces conférences sont douteuses, mais s’en servent pour étoffer leur curriculum vitæ et sembler actifs sur le plan professionnel ».

Certains professeurs profitent de ces conférences « pour retourner dans leur pays d’origine si la conférence y a lieu, ou prendre des vacances dans un endroit exotique, ajoute Mme Lee. Ce qui est légitime s’ils assistent, contribuent et participent à une véritable conférence, mais pas s’il ne s’agit que d’un prétexte pour voyager. Nombreuses sont les universités qui allouent des fonds annuels de déplacement aux professeurs pour leur permettre de participer à des rencontres professionnelles, et les doyens doivent veiller à leur bonne utilisation. Certains professeurs croient assister à des conférences légitimes, même si elles sont médiocres, et nous sommes responsables de leur en faire prendre conscience et de les dissuader d’y participer. En tant que doyens, nous devons garder la confiance du public », poursuit-elle.

L’an dernier, Cabells International, une entreprise américaine offrant des services d’édition, a poursuivi le travail de M. Beall en lançant une liste noire, accessible sur abonnement seulement, de 5 000 revues trompeuses. Elle souhaitait aussi recenser les conférences « prédatrices », mais a conclu que la tâche était trop ardue. « Le nom des conférences change d’une année à l’autre, explique Kathleen Berryman, gestionnaire de projets principale chez Cabells. Mais beaucoup des critères servant à évaluer la légitimité d’une revue s’appliquent aux conférences, comme la réalisation d’une évaluation par les pairs, entre autres. »

Depuis peu, les éditeurs prédateurs se cachent aussi derrière des éditeurs canadiens légitimes pour mousser leurs conférences. En 2016, OMICS a acheté le Pulsus Group et l’éditeur Andrew John Publishing, qui ont à leur actif des dizaines de publications universitaires légitimes. Pulsus fait maintenant la promotion de dizaines de fausses conférences, dont plusieurs auront lieu au Canada en 2018.

Une de ces conférences, le World Congress on Neurology and Neurodisorders, se tiendra apparemment les 30 et 31 juillet à Toronto, mais aucune adresse ni information n’est fournie sur son site Web. Au moins trois autres conférences de Pulsus sont prévues à Toronto aux mêmes dates.

Guidée par M. Franco, la faculté de médecine de l’Université McGill a récemment ajouté le paragraphe suivant à toutes ses lettres de nomination et de renouvellement de mandat : « Les résultats de recherche et les autres contributions à l’activité savante doivent être publiés exclusivement dans des revues scientifiques bien établies et crédibles qui ont recours à un processus rigoureux d’évaluation par les pairs. De la même façon, votre participation à des conférences où vos résultats de recherche sont présentés et votre collaboration au sein de comités éditoriaux doivent se soumettre aux mêmes normes élevées d’intégrité universitaire. »

M. Franco n’a pas l’intention de s’arrêter là. « La prochaine étape sera d’étendre cette mesure à l’ensemble de l’Université, affirme-t-il. Nous devons mettre un terme aux activités de ces entreprises. »

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