Passer au contenu principal

Les évaluations de cours : le bon, le pire et le mauvais

Entrevue avec Pamela Gravestock, spécialiste en développement pédagogique à l’Université de Toronto.

par LÉO CHARBONNEAU | 21 AOÛT 13

Du point de vue des professeurs, les évaluations de cours par les étudiants sont souvent perçues comme un fléau. Les critiques sont nombreuses : les évaluations ne seraient pas prises au sérieux par les étudiants, ne seraient pas effectuées systématiquement, seraient parfois tendancieuses et ne contiendraient aucune rétroaction utile. Toutes ces critiques sont fondées, lorsque les évaluations sont mal conçues, affirme Pamela Gravestock, directrice adjointe du Centre for Teaching Support and Innovation de l’Université de Toronto. Cela ne devrait pas être ainsi. Une évaluation bien pensée peut s’avérer une mesure utile et efficace de la qualité de l’enseignement.

Mme Gravestock, dont la thèse portait sur l’évaluation de l’enseignement en vue de l’obtention de la permanence dans les universités canadiennes, compte parmi les grands spécialistes de l’évaluation des cours au Canada. En 2008, sa collègue Emily Gregor-Greenleaf et elle-même ont coécrit un rapport intitulé Évaluations des cours : recherche, modèles et tendances (PDF) pour le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur. Premier examen de la recherche sur l’évaluation des cours par les étudiants du point de vue canadien, le rapport est devenu un guide essentiel pour les universités qui souhaitent revoir leurs politiques d’évaluation des cours. Mme Gravestock, qui gère actuellement le projet de refonte complète du système d’évaluation des cours à l’Université de Toronto, a récemment accordé une entrevue à Affaires universitaires au sujet des perceptions erronées au sujet des évaluations de cours, des pièges de l’exercice et de la façon d’améliorer le processus.

Affaires universitaires : Les étudiants prennent-ils les évaluations de cours au sérieux?

Mme Gravestock : Ce que les études révèlent, et ce que confirment nos observations, c’est que les étudiants sont terriblement mal informés à propos des évaluations de cours. Ils ne savent pas à quoi elles servent et où aboutissent leurs commentaires. Les étudiants nous ont très souvent dit qu’ils pensaient que les professeurs jetaient simplement les évaluations ou les oubliaient dans un tiroir sans les regarder. Les établissements doivent mieux informer les étudiants des raisons pour lesquelles ils remplissent des évaluations et leur expliquer comment les données recueillies sont utilisées : pour les promotions et la permanence et pour améliorer les cours, entre autres. Lorsqu’ils ont compris cela, ils prennent les évaluations beaucoup plus au sérieux.

AU : À la base, les étudiants sont-ils en mesure d’évaluer avec exactitude les aptitudes à l’enseignement?

Mme Gravestock : Oui et non. Les étudiants peuvent très certainement évaluer certains éléments, mais ils ne sont pas nécessairement bien placés pour fournir une rétroaction concernant chacun des aspects de l’enseignement. Par exemple, dans la plupart des formulaires, on demande aux étudiants d’évaluer la connaissance par le professeur de la discipline enseignée. Un étudiant en première année au baccalauréat ne peut pas juger si le professeur connaît bien la matière ou non. Cette question convient davantage à une évaluation par les pairs. Cependant, les étudiants peuvent tout à fait évaluer leur expérience d’apprentissage dans le contexte du cours.

AU : On retrouve beaucoup d’idées reçues à propos des évaluations de cours, comme le fait que les cours faciles seraient évalués plus positivement. Est-ce vrai?

Mme Gravestock : On a beaucoup étudié la perception qui veut que les étudiants évaluent plus favorablement les cours faciles. Certaines études ont toutefois réfuté cette affirmation. Un cours, même difficile, sera évalué favorablement si les étudiants savent d’emblée qu’il est difficile. Si les attentes du professeur sont claires dès le début du cours et que les étudiants comprennent ce qu’on attend d’eux, leur évaluation du professeur ne sera pas nécessairement négative.

AU : J’ai l’impression que beaucoup de professeurs n’apprécient pas beaucoup les évaluations de cours.

Mme Gravestock : Je ne peux pas dire le contraire. Mais, selon mon expérience, en discutant des problèmes et en mettant cartes sur table (en expliquant aux professeurs qu’il faut bien informer nos étudiants et leur poser les bonnes questions), on arrive à dissiper beaucoup de leurs craintes. Renseigner les professeurs sur les résultats de recherche est également très utile. On étudie les évaluations de cours depuis 40 ans. Les résultats prouvent que les étudiants peuvent fournir une rétroaction efficace et que, lorsqu’elles sont bien conçues et validées, les évaluations se révèlent une mesure utile de l’efficacité de l’enseignement.

AU : Savons-nous seulement à quoi ressemble un enseignement efficace?

Mme Gravestock : On recense beaucoup d’écrits sur ce qui rend un professeur efficace, mais beaucoup d’établissements n’ont pas de définition ou de compréhension claire de l’efficacité de l’enseignement. On la réduit parfois à des caractéristiques précises, comme les aptitudes en communication ou le sens de l’organisation. Mais en fin de compte, l’efficacité de l’enseignement devrait être évaluée en fonction de l’apprentissage. Or les évaluations de cours sont limitées à cet égard. On y évalue la perception des étudiants sur leur apprentissage ou leur expérience d’apprentissage dans un cours, mais pas leur apprentissage réel. C’est pourquoi les évaluations de cours ne devraient constituer qu’un aspect de l’évaluation de l’efficacité.

AU : Les étudiants devraient-ils pouvoir consulter les évaluations de cours?

Mme Gravestock : À mon avis, elles devraient être accessibles aux étudiants; ça boucle la boucle. Les étudiants peuvent alors voir que les commentaires qu’ils ont fournis sont utilisés.

AU : J’ai entendu certains professeurs déplorer que les évaluations de cours ne leur précisaient pas ce qu’ils devaient améliorer. Pourquoi diraient-ils cela?

Mme Gravestock : Selon moi, cela relève en partie de l’instrument lui-même. Souvent, on ne pose pas les bonnes questions. Les questions générales sur l’efficacité du professeur ne révèlent pas ce qui se passe dans le cours. De plus, on donne souvent simplement les résultats aux professeurs, sans les guider dans leur interprétation. Les spécialistes en développement pédagogique sont vraiment bien placés pour aider les professeurs à interpréter les résultats et à déterminer la suite des choses. Évidemment, je prêche pour ma profession!

AU : Quels sont les principaux éléments d’une évaluation de cours bien conçue?

Mme Gravestock : Je suis très satisfaite de l’instrument que nous avons mis au point ici [à l’Université de Toronto], parce qu’il est centré sur l’étudiant. Par exemple, nous demandons aux étudiants s’ils ont trouvé le cours stimulant intellectuellement. Nous leur demandons également si les travaux et les modes d’évaluation utilisés dans le cours ont contribué à leur apprentissage ou leur ont permis de faire valoir ce qu’ils ont appris dans le cours. Ils sont le mieux placés pour répondre à ce genre de question, et personne ne pourrait le faire à leur place. Nous avons fait les choses différemment lorsque nous avons élaboré notre nouveau cadre et nos nouvelles questions, entre autres en déterminant d’abord les priorités de l’enseignement dans notre établissement, c’est-à-dire ce que devrait être l’expérience d’un étudiant qui suit un cours à l’Université de Toronto. Nous nous sommes appuyés sur ces priorités pour élaborer nos questions et ça nous a bien servi.

AU : Quelles ont été les étapes de la refonte de l’évaluation des cours à l’Université de Toronto?

Mme Gravestock : Nous avons commencé à examiner nos processus d’évaluation il y a environ quatre ans, après qu’Emily et moi avons publié le rapport (voir en haut) pour le COQES. Nous avons soumis le dossier au bureau du provost, lui signalant un intérêt de la part des professeurs et lui demandant si nous pouvions nous pencher là-dessus. Après environ un an de consultations et d’examen des processus, nous avons rédigé un rapport (PDF), qui est affiché sur notre site Web. Nous avons formulé une série de recommandations, insistant sur le besoin de passer à un système d’évaluation central. Avant cela, chaque faculté avait son propre formulaire et ses propres pratiques. Nous avons passé l’année suivante à élaborer le cadre. Nous savions que pour centraliser le processus, il fallait tenir compte des différentes cultures présentes à l’Université de Toronto, celles de chaque division et de chaque discipline.

AU : S’agit-il d’un formulaire normalisé?

Mme Gravestock : Nous avons huit questions de base qui figurent sur tous les formulaires d’évaluation de l’Université. Ensuite, les facultés et les départements peuvent ajouter leurs propres questions en fonction de leur contexte, de leurs besoins et de leurs intérêts.

AU : Est-ce que la mise en œuvre du formulaire est terminée?

Mme Gravestock : Depuis deux ans, nous avons entrepris une mise en œuvre progressive. Nous travaillons avec cinq facultés en ce moment et quatre autres s’ajouteront au cours de l’année à venir.

AU : Quelle a été la réaction jusqu’à maintenant?

Mme Gravestock : Le changement fait toujours un peu peur. Nous travaillons avec chaque division pendant au moins un an avant d’y mettre en œuvre le nouveau processus. Nous avons beaucoup consulté les gens, ce qui nous a aidés. Beaucoup de professeurs étaient très enthousiastes parce qu’ils n’aimaient pas l’ancien formulaire. D’autres étaient plus hésitants. Les étudiants, cependant, se sont montrés extrêmement réceptifs. Nous avons adopté un système en ligne et ils adorent la facilité d’utilisation du formulaire et le fait qu’ils peuvent le remplir quand ils le souhaitent.

AU : L’évaluation est-elle obligatoire pour les étudiants?

Mme Gravestock : Une évaluation doit être réalisée pour tous les cours, mais les étudiants ne sont pas obligés de la remplir.

AU : Le format en ligne nuit-il à la participation?

Mme Gravestock : On craignait que le taux de participation ne chute, mais ça ne s’est pas produit. Le taux de participation n’a pas bougé par rapport au formulaire papier.

AU : Et quel est le taux de participation?

Mme Gravestock : Dans l’ensemble des cinq divisions avec lesquelles nous travaillons, le taux de réponse moyen est supérieur à 50 pour cent. Dans certaines divisions, la moyenne est même de 75 pour cent. Impossible de demander mieux.

AU : Avez-vous une dernière réflexion dont vous voulez nous faire part?

Mme Gravestock : Depuis que nous avons commencé à travailler sur le dossier, il y a cinq ans, j’ai constaté une vague d’intérêt de la part d’autres établissements au Canada. Beaucoup de temps et de ressources y sont consacrés. Ce que je trouve le plus intéressant, en écoutant ces discussions, c’est que les établissements relient les évaluations de cours à d’autres types d’évaluation et de soutien à l’apprentissage. Je travaille depuis 11 ans au centre et j’ai constaté d’énormes changements dans la façon dont les gens comprennent l’enseignement et l’importance de l’enseignement. C’est ce qui nous a permis de lancer le débat sur l’évaluation efficace de l’enseignement. Mais nous avons encore du pain sur la planche.

Rédigé par
Léo Charbonneau
Léo Charbonneau is the editor of University Affairs.
COMMENTAIRES
Laisser un commentaire
University Affairs moderates all comments according to the following guidelines. If approved, comments generally appear within one business day. We may republish particularly insightful remarks in our print edition or elsewhere.

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Click to fill out a quick survey