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À mon avis

Définir et défendre la liberté universitaire

Qu’entend-on par « liberté universitaire »?

par PETER MACKINNON | 12 SEP 11

Si vous demandiez aux membres d’un public d’universitaires s’ils sont convaincus de l’importance de la liberté universitaire et s’ils croient que tous se doivent de la défendre avec vigilance et énergie, ils répondraient sans aucun doute par l’affirmative à l’une et l’autre de ces questions. Il est en revanche probable que leurs réponses seraient nuancées de quelques « mais ».

Par exemple : « Mais qu’en est-il des obligations associées à la liberté universitaire? », « Mais quelles sont les limites de la liberté universitaire, toute liberté ayant des limites? », ou encore : « Mais qu’entend-on vraiment par “liberté universitaire” dans le contexte universitaire actuel? ».

Il en va de la liberté universitaire comme de toutes les valeurs fondamentales : les questions au sujet de celles-ci entraînent forcément des réponses nuancées. En tant qu’avocat, j’ai personnellement eu l’occasion de réfléchir à une autre valeur fondamentale : celle de l’indépendance judiciaire. Si, comme ceux de la liberté universitaire, les préceptes de base de cette notion sont faciles à cerner, il suffit de s’interroger plus en profondeur sur la définition de cette notion pour susciter la controverse. Pour ma part, je me suis employé à soulever l’interrogation suivante : l’application aux juges des lignes directrices en matière de rémunération des membres de la fonction publique ne risquerait-elle pas de mettre en péril l’indépendance judiciaire? Je ne pensais pas que tel était le cas, mais certains juges étaient suffisamment d’avis contraire pour être prêts à se présenter devant les tribunaux en soutenant que, si jamais leur rémunération était assujettie aux lignes directrices précitées en période de contraintes financières, leur capacité à rendre la justice avec impartialité pourrait être mise à mal.

L’exemple précité montre qu’en somme, si la définition de base de toute valeur fondamentale fait généralement consensus, ce dernier s’érode dès que l’on tente d’affiner la définition en question. Convenons d’abord d’une définition de la liberté universitaire, de manière à pouvoir ensuite nous pencher sur les facteurs qui la menacent. J’en dénombre quatre :

  1. 1. Les problèmes liés à la définition même de la liberté universitaire;
  2. la non-reconnaissance du fait que celle-ci vise un but précis et doit être perçue d’une manière qui favorise l’atteinte de ce but;
  3. les revendications fantaisistes faites au nom de la liberté universitaire;
  4. les caractéristiques structurelles des universités d’aujourd’hui, qui mettent en péril au sein des établissements la solidarité en matière de défense de la liberté universitaire.

Penchons-nous d’abord sur la définition de la liberté universitaire. Chacun de nous a forcément sa propre définition de celle-ci. À mes yeux, la liberté universitaire consiste en une liberté d’enseignement et de recherche uniquement assujettie à deux limites, à savoir le respect des normes professionnelles de la discipline concernée, et le respect des exigences légitimes et non discriminatoires des établissements en ce qui a trait à l’organisation de la mission d’enseignement.

La première de ces limites repose sur une distinction implicite entre la liberté universitaire et la notion plus large de liberté d’expression. Par exemple, si les tenants du négationnisme et les membres de la Flat Earth Society sont libres de clamer leurs points de vue sur la place publique, liberté d’expression oblige, il leur est interdit de le faire dans le cadre universitaire en alléguant la liberté universitaire. En effet, cela ne serait pas conforme aux normes professionnelles qui prévalent en histoire et en astrophysique.

Cela dit, la limitation de la liberté universitaire fondée sur la distinction entre cette dernière et la liberté d’expression se heurte fréquemment à deux arguments. Les tenants de ces arguments soutiennent d’abord qu’il est tout à fait possible que l’hérésie d’aujourd’hui devienne la vérité de demain, et que l’insistance sur le respect des normes professionnelles actuelles met en péril l’émergence de la vérité. Ils soutiennent également que toute idée doit pouvoir être remise en question, même si elle a trait à la forme de la Terre ou à la réalité historique de l’Holocauste. Ma réponse à ces arguments est fort simple : je suis d’accord avec ce qu’affirment ces personnes, mais il ne s’agit pas à mes yeux d’arguments valables à l’encontre du respect nécessaire des normes professionnelles.

L’importance attachée au respect des normes professionnelles est révélatrice de la rigueur de la recherche effectuée, non des résultats de celle-ci. En outre, s’il est vrai que toute idée doit pouvoir être remise en question au sein des universités, elle doit l’être suivant une démarche systématique, et les conclusions du processus mené à cette fin doivent pouvoir être défendues de manière rationnelle. La revendication par chacun du droit à sa propre opinion n’est guère pertinente dans un milieu qui a pour raison d’être la défense de la raison et de la rationalité. Certes, chacun a droit à son opinion, mais quel intérêt ou crédit accorder à celle-ci si elle ne peut résister à une analyse fondée sur la raison et sur les normes professionnelles en vigueur? Aucun.

La deuxième limite à la liberté universitaire, à savoir le respect des exigences légitimes et non discriminatoires des établissements, tient simplement au fait que la mission d’enseignement, comme toute autre activité, se doit d’être organisée. Ce n’est pas violer la liberté universitaire que d’insister pour que l’enseignement offert le soit dans le cadre d’un calendrier donné et pour que les attentes collégiales et administratives soient satisfaites, afin que la mission fixée soit remplie.

Selon moi, la liberté universitaire, tout en garantissant une grande liberté, doit comporter certaines limites. Autrement dit, le respect de la valeur fondamentale qu’elle constitue n’est possible que si on en respecte également les limites.

Il importe par ailleurs de distinguer la liberté universitaire d’une troisième notion : celle de l’autonomie institutionnelle. Au sein de mon université, j’ai entendu des gens dire que certains secteurs d’activité universitaires mettent en péril la liberté universitaire du fait des liens qu’ils entretiennent avec l’industrie et les utilisateurs de celle-ci. D’autres secteurs d’activité universitaires sont d’ailleurs susceptibles d’entretenir des liens avec l’extérieur, que ce soit avec les gouvernements, des organisations philanthropiques, des groupes religieux ou d’autres composantes de la société civile. Ces liens ne menacent pas ipso facto la liberté universitaire : ils ne le font que dans la mesure où ils mettent en péril la liberté d’enseignement et de recherche. Certaines personnes estiment toutefois que pour que la liberté universitaire soit protégée, les établissements doivent absolument se comporter en accord avec leurs propres valeurs, sans égard à celles parfois incompatibles qui ont cours au sein de la collectivité.

La liberté universitaire vise un but précis

Le deuxième facteur qui menace la liberté universitaire tient à la non-reconnaissance du fait que cette valeur fondamentale vise un but précis et qu’elle doit être perçue d’une manière qui favorise l’atteinte de ce but.

À l’instar de l’indépendance judiciaire, la liberté universitaire n’aurait aucune importance si elle ne visait pas la poursuite d’objectifs importants pour la société. Or, la liberté universitaire a pour but de faire progresser la recherche universitaire au profit de la recherche de la vérité. Il existe entre la liberté universitaire et la recherche universitaire un lien qui profite à toutes deux.

Au sein des meilleurs milieux universitaires, placés sous le signe de l’excellence, l’importance de la liberté universitaire est clairement comprise aussi bien au sein du milieu qu’à l’extérieur, car tous peuvent en constater les avantages. Au sein des milieux universitaires de moindre qualité, en revanche, les avantages de la liberté universitaire sont plus difficiles à percevoir, et la légitimité de celle-ci apparaît plus ténue. La préservation de la liberté universitaire exige donc dans ce cas une insistance sur le respect de normes universitaires élevées.

Le troisième facteur qui menace la liberté universitaire tient aux réclamations fantaisistes faites au nom de celle-ci, qui renvoient à la définition même de la liberté universitaire. Une définition trop large ou trop floue ne peut qu’entraîner des revendications du même ordre, en son nom. Les universités doivent analyser ces revendications trop larges et vagues avec clarté, et parfois publiquement, afin de bien montrer que les universités n’entendent pas se contenter de serrer les rangs devant des revendications insensées, déguisées en rhétorique sur la liberté universitaire.

Cela m’amène au quatrième et peut-être plus controversé des facteurs : le fait que la structure des universités actuelles met à mal la solidarité en matière de défense de la liberté universitaire. Les universités canadiennes comptent des milliers de professeurs. Si on demandait à ceux ci s’ils se considèrent comme membres d’une profession autonome et si le professorat devrait être considéré comme tel, quelle serait vraisemblablement leur réponse?

Je crois qu’ils répondraient par l’affirmative à ces deux questions. Pourtant, dans les faits, le professorat n’est pas une profession autonome. Il ne l’a d’ailleurs sans doute jamais été, si ce n’est dans le but de filtrer l’accès à cette profession. Cela dit, l’autonomie est plus qu’une simple affaire de tri et d’évaluation par les pairs dans une optique d’obtention de la permanence ou de promotions. C’est une affaire de réglementation par les pairs en vertu de normes connues et acceptées.

En veillant à ce que leurs membres puissent se syndiquer, les associations de professeurs universitaires ont privé ceux-ci de l’autonomie. Les normes de rendement professionnel et les sanctions liées au non-respect de celles-ci sont négociées avec un « employeur ». Leur application dépend d’une « direction », dont les initiatives à ce chapitre sont souvent, voire quasi systématiquement, contestées par les syndicats qui y voient un abus de pouvoir ou même de la malveillance. Que la liberté universitaire soit réellement en jeu importe peu. Nombre des revendications formulées au nom de la liberté universitaire le sont en réalité dans d’autres buts, et la rhétorique employée provoque des dommages.

Cette structure a deux conséquences regrettables. D’une part, elle alimente la confusion entre les diverses perceptions acceptées de la liberté universitaire, et d’autre part, elle contribue à répandre l’idée voulant que ce soit les administrateurs universitaires qui attentent à la liberté universitaire, et que les syndicats la défendent. En d’autres termes, la solidarité en matière de défense de la liberté universitaire au sein des établissements s’en trouve ébranlée. Un professorat autonome empêcherait que soit ainsi mise à mal une valeur essentielle à sa propre mission.

Peter MacKinnon est recteur de l’Université de la Saskatchewan et professeur de droit au sein de cet établissement.

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