Au début de l’automne, des organisations étudiantes de partout au pays ont uni leurs forces pour réclamer une intervention plus vigoureuse face aux violences sexuelles sur les campus universitaires et collégiaux. Elles ont notamment publié un plan d’action à l’intention des gouvernements et des établissements postsecondaires.
Plus d’une dizaine d’associations d’étudiant.e.s et d’organismes nationaux représentant plus de vingt établissements postsecondaires ont adopté le plan en 10 points intitulé Nos campus, notre sécurité. Ce document demande précisément aux établissements de mettre en œuvre des plans d’éducation bien financés, qui englobent toute la population des campus; de traiter les plaintes de violence à caractère sexuel en employant des pratiques tenant compte des traumatismes, en faisant preuve d’équité procédurale et en suivant les principes de réduction des préjudices; d’offrir des mesures d’adaptation scolaires aux personnes survivantes; et de tenir compte de la voix des personnes survivantes dans l’élaboration des politiques. Chaque appel à l’action s’accompagne de pratiques prometteuses adoptées par des établissements postsecondaires canadiens et de ressources.
Selon Isabel Ojeda, coautrice du plan et étudiante de quatrième année à l’Université Memorial, les recommandations sont un moyen de tenir les établissements d’enseignement responsables. « Ces appels à l’action sont pour nous une façon de dire [à l’administration des universités] : c’est à vous de rendre les campus sécuritaires et de créer un endroit où les étudiant.e.s se sentent à l’aise d’exister. »
Des pratiques prometteuses dans les universités canadiennes
L’Université McGill fait partie des établissements cités dans le plan d’action en raison de son travail d’intervention et de prévention en matière de violence à caractère sexuel, qui s’appuie en partie sur la politique de la province.
En 2017, le gouvernement du Québec a adopté une stratégie quinquennale et une loi pour combattre la violence sexuelle dans les cégeps et les universités, et a consenti une enveloppe de 23 millions de dollars pour soutenir les établissements postsecondaires dans leurs travaux. Deux ans plus tard, en 2019, l’Université McGill adoptait une nouvelle politique sur la prévention de la violence sexuelle comme l’exigeait la loi provinciale (sa politique originale datait de 2016) et créait un programme en ligne de sensibilisation, obligatoire pour l’ensemble du personnel et du corps étudiant et professoral.
Concevoir et instaurer un programme s’adressant aux 50 000 membres de l’Université était un projet colossal, qui « démontrait qu’un vrai changement de culture importait à l’établissement », explique Angela Campbell, provost adjointe, équité et politiques universitaires.
Le Bureau d’intervention, de prévention et d’éducation en matière de violence sexuelle (OSVRSE) agit comme pôle central pour tout ce qui concerne le travail de l’Université McGill contre les violences sexuelles. Mme Campbell décrit l’OSVRSE comme « un endroit où les personnes survivantes peuvent trouver un soutien inconditionnel », que ce soit pour déposer une plainte, lancer une enquête ou demander des adaptations particulières dans leur cheminement scolaire. « Après avoir demandé à la personne quels sont ses besoins, l’équipe organisera des mesures d’adaptation avec les autres bureaux de l’Université », explique-t-elle.
Aux côtés d’administratrices et d’administrateurs de haut rang et de membres de la population étudiante, l’OSVRSE siège au comité chargé de réexaminer et d’appliquer la politique de l’établissement contre la violence sexuelle. Celui-ci se réunit quatre fois par an. Comme le souligne le plan Nos campus, notre sécurité, le fait que ce comité compte des étudiant.e.s constitue une « pratique prometteuse » qui permet aux personnes survivantes de participer à l’élaboration de politiques.
Farrah Khan, responsable du bureau de sensibilisation et de soutien en matière de violence sexuelle à l’Université métropolitaine de Toronto, croit que les universités pourraient aller plus loin et rémunérer les étudiant.e.s participant à ce genre de comité. D’ailleurs, en 2019, quand l’université torontoise a lancé un appel aux personnes diplômées et aux membres du corps étudiant de premier cycle pour trouver deux personnes survivantes qui coprésideraient son groupe de travail sur la violence sexuelle, ces deux postes étaient rémunérés.
« Nous leur avons donné un soutien structurel pour diriger le comité et faire rapport : nous leur avons fourni des mentor.e.s et une rémunération. Les universités doivent aussi s’assurer que la population étudiante a les compétences nécessaires pour participer à ces projets », ajoute Mme Khan, qui dirige également Courage d’agir, une initiative de recherche financée par le gouvernement fédéral pour contrer la violence sexiste dans les établissements postsecondaires. Nos campus, notre sécurité est d’ailleurs né de ce projet.
Place à amélioration
Dans le plan d’action, on souligne également qu’il faut des programmes qui tiennent compte de l’intersectionnalité (sachant qu’une même personne peut subir plusieurs formes de discrimination du fait de ses différentes identités raciales et sociales) et qui abordent le lien entre la violence sexuelle et les autres formes d’oppression : racisme, misogynie, capacitisme, classisme, homophobie, transphobie, etc. Adopter une approche universelle, c’est ignorer les besoins propres à certains groupes démographiques, comme les étudiant.e.s noir.e.s ou autochtones, qui sont touché.e.s différemment par la violence sexuelle, fait valoir Mme Ojeda.
Or, il s’avérera difficile d’adopter un programme nuancé si les bureaux de la violence sexuelle des établissements ne disposent pas des ressources nécessaires. Mme Khan raconte que lors d’un cours donné l’été dernier par Courage d’agir au personnel œuvrant dans le domaine de la prévention de la violence sexuelle, plusieurs participant.e.s ont mentionné accomplir deux fonctions en même temps, soit l’éducation et l’intervention en première ligne. « C’est beaucoup pour une seule personne. » Cela illustre toute l’importance pour les universités de recevoir des fonds des instances provinciales afin d’embaucher du personnel dédié, insiste-t-elle.
Au-delà des campus
Le plan d’action s’adresse également aux gouvernements du pays, des provinces et des territoires.
À l’heure actuelle, sept provinces ont légiféré sur la violence sexuelle et le harcèlement dans les établissements postsecondaires (la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Manitoba, l’Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard). Cela dit, les personnes derrière le plan d’action sont d’avis que les textes provinciaux manquent souvent de clarté et qu’une telle courtepointe législative à l’échelle du pays entraîne des incohérences entre les politiques des universités.
Si les universités assument une responsabilité croissante dans la lutte contre la violence sexuelle sur les campus, le rapport signale qu’il s’agit aussi d’un enjeu culturel qui s’étend bien au-delà de leurs murs. « La culture du viol a ses origines en dehors de l’université, de façon beaucoup plus large, affirme Mme Campbell. Bien que ce ne soit peut-être pas la faute de l’établissement, c’est sa responsabilité. »
Mme Khan abonde dans le même sens, ajoutant que les universités doivent être des catalyseurs de changement au-delà de leur enceinte. « Nous vivons au Canada une crise qui n’est pas prise au sérieux, et je ne parle pas seulement des universités, déclare-t-elle. Je pense toutefois que les universités et les collèges doivent être au premier rang pour dire au gouvernement : ‘‘Vous devez agir. Nous ne pouvons pas résoudre le problème.’’ »