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Changements climatiques : des chercheurs explorent une solution « solide comme le roc »

Le projet vise à démontrer qu’il est possible d’extraire des gigatonnes de CO2 de l’atmosphère et de les stocker sous le plancher océanique.

par SHARON ASCHAIEK | 15 FEV 22

Une collaboration interuniversitaire cherchant à atténuer l’intensification de la crise climatique vise haut en descendant très bas, c’est-à-dire à près de trois kilomètres sous l’océan.

L’objectif ambitieux du projet Solid Carbon consiste à extraire le dioxyde de carbone de l’atmosphère, à le liquéfier, à le pomper sous le plancher océanique et à le stocker de manière permanente dans le basalte, qui constitue la vaste couche de roche poreuse sous les mers et les océans. L’Université de Victoria a lancé le projet en 2019, grâce au financement du Pacific Institute for Climate Solutions.

Des chercheurs mènent une étude de faisabilité qui englobe de nombreuses disciplines : ingénierie, géoscience, océanographie, sciences sociales et droit. Le projet d’une durée de quatre ans en est à peine à mi-chemin, mais jusqu’ici, les travaux suggèrent que cette technologie à émissions négatives est réellement prometteuse pour décarboniser la planète.

« Les gens se préoccupent enfin des changements climatiques, et nous savons qu’il nous faut séquestrer du carbone pour que la planète demeure habitable pour les humains », explique Kate Moran, responsable du projet et présidente de l’initiative Ocean Networks Canada de l’Université de Victoria, qui surveille la santé des trois côtes du Canada. « Je suis optimiste, car nous avons la technologie. Et même si l’investissement initial est élevé, sa durée de vie utile est longue. »

Professeure à la Faculté des sciences de l’Université de Victoria, Mme Moran, qui a conseillé le gouvernement Obama sur les enjeux propres aux océans, à l’Arctique et au réchauffement climatique, supervise l’élaboration d’un plan visant à démontrer le fonctionnement du système de Solid Carbon. L’objectif est d’organiser un essai sur le terrain loin au large de la côte ouest du Canada, dans le bassin Cascadia, une plaque océanique qui, selon les chercheurs travaillant sur le projet Solid Carbon, pourrait stocker l’équivalent de 20 ans d’émissions mondiales de carbone.

Les travaux de Mme Moran dépendent en partie des progrès réalisés par Curran Crawford, professeur en génie mécanique à l’Université de Victoria, et de son équipe d’étudiants au doctorat et de chercheurs postdoctoraux, dont certains vivent en Angleterre, en Espagne ou au Pakistan. M. Crawford étudie les aspects techniques de l’utilisation des énergies renouvelables – éolienne, solaire ou thermique – pour la capture atmosphérique directe (CAD) en mer. Le processus consiste à aspirer l’air au moyen de ventilateurs et à en extraire le dioxyde de carbone par procédé chimique. L’idée est de concevoir une plateforme de CAD flottante dotée d’une éolienne capable d’éliminer de l’atmosphère une mégatonne de dioxyde de carbone par année. Selon lui, l’un des principaux défis consiste à déterminer le lieu d’ancrage de la turbine dans l’océan pour l’exposer au plus de vent possible.

« Nous cherchons à déterminer le rendement et les coûts associés aux diverses pièces technologiques, explique M. Crawford, directeur du Sustainable Systems Design Laboratory de l’Université de Victoria. Nous avons pu démontrer que cette technologie est réaliste du point de vue technique. Nous voulons maintenant créer une configuration qui pourra être reproduite à l’échelle mondiale. »

Les pièces d’un casse-tête

Pendant que M. Crawford poursuit ses travaux à la surface de l’océan, Benjamin Tutolo, géoscientifique à l’Université de Calgary, s’attaque aux morceaux souterrains du casse-tête Solid Carbon. Avec l’équipe du Reactive Transport Research Group de l’Université, il se penche sur ce qui arrive lorsque le dioxyde de carbone est injecté dans le basalte océanique.

Leurs travaux s’appuient sur l’expérience CarbonFix menée en 2016 en Islande, qui a démontré que le dioxyde qui interagit avec le basalte se minéralise en roche carbonisée en moins de deux ans. Ils s’appuient également sur l’étude CarbonSafe, publiée en 2017 et financée par le ministère de l’Énergie des États-Unis, dans laquelle l’Université Colombia évaluait la faisabilité de la séquestration de 50 millions de tonnes métriques de dioxyde de carbone dans le basalte océanique au large des côtes de l’État de Washington et de la Colombie-Britannique. M. Tutolo mène des expériences en laboratoire et conçoit des modèles prédictifs permettant de comprendre le fonctionnement du processus géologique à long terme.

« Jusqu’ici, nous avons confirmé nos intuitions initiales, à savoir que le basalte possède un potentiel énorme comme réservoir de carbone », explique-t-il. À titre de référence, les émissions de dioxyde de carbone du Canada provenant de la combustion de combustibles fossiles et de processus industriels totalisaient 536 millions de tonnes métriques en 2020.

Pendant que Mme Moran et MM. Crawford et Tutolo effectuent les travaux de recherche nécessaires à la conception, au développement et à la mise en œuvre des composants et processus technologiques, Terre Satterfield, spécialiste des sciences sociales de l’Université de la Colombie-Britannique, analyse la « dynamique humaine » qui guidera l’évolution de Solid Carbon. Membre de l’Institut des ressources, de l’environnement et du développement durable de l’Université de la Colombie-Britannique, Mme Satterfield se spécialise dans l’étude de la perception des risques sociaux et environnementaux des nouvelles technologies.

Une partie de sa démarche consiste à solliciter l’avis d’océanographes et de climatologues du monde entier sur la technique de Solid Carbon par rapport à des méthodes de dépollution plus naturelles, comme la restauration des côtes ou la reforestation. Une vaste enquête a aussi permis d’interroger des habitants de l’État de Washington et de la Colombie-Britannique sur leur compréhension et leur opinion du projet Solid Carbon.

« Nous voulons avoir une idée de leur perception de cette technologie, et de leur degré de confiance envers les organismes de réglementation et les scientifiques. Quelle idée le public s’en fait-il? Dans quelle mesure son opinion est-elle influencée par l’urgence de la question climatique? Les conceptions de la nature, de ce que signifie la gestion des impacts environnementaux et de la responsabilité individuelle varient d’une personne à l’autre », explique Mme Satterfield.

Une autre équipe de recherche, basée au Sabin Centre for Climate Change Law de l’École de droit de l’Université Columbia, a étudié le cadre juridique du déploiement du système Solid Carbon au Canada. Les disciplines universitaires collaborent étroitement pour créer une solution globale et intégrée dans le cadre de la lutte aux changements climatiques.

Selon les chercheurs, la réussite du projet dépend de différents facteurs, comme du perfectionnement de la technologie de CAD, encore jeune, et du soutien d’investisseurs pour sa commercialisation et pour la transformation d’équipements pétroliers et gaziers en mer. Les gouvernements devront aussi fournir des mesures incitatives et du financement pour stimuler l’« économie bleue », que la Banque mondiale définit comme l’utilisation durable des ressources océaniques pour la croissance économique, l’amélioration des moyens de subsistance et la santé des écosystèmes océaniques.

« Il n’y a pas de solution miracle aux changements climatiques. Les énergies renouvelables et l’électrification demeurent cruciales. Mais je pense que le poids de la technologie des émissions négatives pèsera de plus en plus lourd dans la balance, affirme M. Crawford. Le vent est partout! Le potentiel de séquestration du carbone se mesure en gigatonnes. Les défis ne manquent pas, mais tout est possible. »

COMMENTAIRES
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  1. Luc D / 20 février 2022 à 19:33

    Et si on plantait des arbres comme capteurs de co2? La nature offre déjà le meilleur système de captation pour notre pauvre biosphère qui en a bien besoin…

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