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Cheminer avec les Premiers Peuples

Le Forum national sur la réconciliation 2021 a permis de mettre le doigt sur le travail qu’il reste à faire dans le milieu universitaire.

par JEAN-FRANÇOIS VENNE | 14 OCT 21

La sixième édition du Forum national sur la réconciliation s’est tenue en mode virtuel sous le thème « S’engager dans les pas des étudiants des Premiers Peuples » les 21, 22 et 23 septembre derniers.

Le Forum se déroulait presque un an jour pour jour après la mort de Joyce Echaquan, une femme atikamekw décédée dans un hôpital de Lanaudière après avoir été maltraitée et insultée par du personnel soignant. Ce drame est devenu au Québec le symbole du racisme à l’égard des peuples autochtones. Il a été suivi quelques mois plus tard par la découverte de centaines de sépultures non identifiées d’enfants des Premières Nations près d’anciens pensionnats pour jeunes autochtones en Saskatchewan et en Colombie-Britannique.

« Ces tragédies très médiatisées ont intéressé encore plus de gens dans nos universités aux enjeux que vivent les Premiers Peuples et ont contribué à la popularité du Forum cette année, qui a accueilli environ 400 participants », reconnaît Johanne Jean, présidente de l’Université du Québec et coprésidente du Forum.

Ces événements permettent aussi de mieux comprendre le rapport difficile des peuples autochtones avec les établissements d’enseignement postsecondaire. Le souvenir des ravages causés par les pensionnats et les écoles de jours restent vifs dans les communautés. La sénatrice Michèle Audette, coprésidente du Forum et conseillère principale en matière de réconciliation et d’éducation autochtone à l’Université Laval, a dû fréquenter elle-même dans sa jeunesse les écoles de jour dirigées par des communautés religieuses, alors que ces établissements vivaient leurs dernières années.

« Les Innus de ma génération ne célèbrent pas l’éducation, souligne-t-elle. Ceux qui désirent poursuivre vers le postsecondaire sont souvent jugés par leurs pairs et parfois même vus comme moins Innus. »

Pour ces raisons, les avancées que les établissements postsecondaires souhaitent effectuer pour appuyer les étudiants des Premières Nations et des communautés inuites doivent être coconstruites avec ces peuples. « Cet aspect ressortait fortement lors du Forum et d’ailleurs, cet événement ainsi que les cinq webinaires préparatoires qui l’ont précédé ont été élaborés en collaboration avec des partenaires des Premiers Peuples », rappelle Mme Jean.

Isolement et aliénation

Organisé pour une première fois au Québec, le Forum a permis de mettre en lumière les réalités des étudiants autochtones qui fréquentent les établissements postsecondaires dans cette province. Chaque panel et atelier était précédé de témoignages d’un des 11 ambassadeurs représentant les 11 nations autochtones qu’on trouve au Québec.

Malgré le fait que ces personnes provenaient toutes de communautés différentes et avaient étudié dans des programmes et établissements variés, plusieurs aspects de leur expérience s’avéraient similaires. La sensation d’isolement et de déracinement était très répandue. La plupart ont évoqué l’importance de compter sur un lieu où se retrouver avec d’autres étudiants autochtones, notamment au début de la première année.

Plusieurs de ces ambassadeurs mentionnaient aussi la difficulté qu’ils ont éprouvée à accepter le contenu de programmes qu’ils jugeaient colonisateur. « Dans mes cours, j’entendais parler d’injustices sociales, d’inégalités et de démocratie, mais aucun de mes professeurs n’abordait les enjeux des peuples autochtones au Canada comme la pauvreté, le colonialisme ou le génocide culturel, déplorait Jedidat Matoush, de la communauté crie de Mistissini, candidate au doctorat en science politique à l’Université Concordia. C’est très aliénant. »

Ces témoignages ont marqué Mme Audette de deux manières bien différentes. « J’ai été très touchée par la fierté de ces jeunes, par leur courage et par leur volonté de persévérer, mais en même temps j’étais triste de constater qu’en 2021, ils devaient encore surmonter des blocages et affronter du racisme, qu’il vienne de l’institution ou d’autres étudiants. Ça montre bien qu’il reste des efforts à déployer. »

Au-delà des excuses

Andrea Brazeau, une Inuite de Kangiqsualujjuaq diplômée du baccalauréat en éducation préscolaire et primaire de l’Université McGill, soulignait d’ailleurs que les excuses qui se retrouvent souvent au centre de l’expression du désir de réconciliation avec les Autochtones doivent s’accompagner d’actions concrètes.

« Par exemple, tous les professeurs d’université devraient être formés sur les faits relatifs aux Inuits, aux Premières Nations et à propos d’éléments marquants de notre histoire, comme la colonisation, les pensionnats ou le massacre des chiens, avance-t-elle. Ils doivent savoir cela pour nous comprendre. »

De la même manière, les établissements ont intérêt à mieux connaître des aspects fondamentaux de la culture des Premiers Peuples, notamment l’importance accordée à la tradition orale — trop souvent négligée en tant que source ou sujet de recherche dans les universités — et les façons d’apprendre.

« Les Premières Nations valorisent beaucoup l’apprentissage circulaire, explique Édith Bélanger, membre de la Nation Wolastoqey et candidate à la maîtrise à l’École nationale d’administration publique. Nous apprenons à la fois en écoutant, en observant et en faisant. Cette approche dynamique repose sur l’apport de plusieurs personnes. Dans le modèle traditionnel colonial, c’est l’enseignant qui donne l’éducation. On pourrait voir la réconciliation comme une manière de concilier ces deux modèles. »

Une expérience que tente depuis quelques années Stéphane Grenier, professeur en travail social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, qui a déplacé sa salle de classe dans la communauté anishnabe du Lac Simon. Avec des aînés de la communauté, il y coenseigne le travail social à ses étudiants allochtones en le combinant avec les approches holistiques autochtones.

« Ce sont mes étudiants allochtones qui vivent l’insécurité culturelle ressentie par beaucoup d’étudiants autochtones dans nos établissements, souligne le professeur. Dans les communautés, on apprend en faisant, c’est une pédagogie inversée dans laquelle je deviens autant apprenant qu’enseignant. D’autres gens de la communauté, dont les enfants, viennent régulièrement se greffer au groupe. »

Les universités avancent

En 2019, Mme Jean avait recensé sous l’égide du Bureau de coopération interuniversitaire les actions entreprises dans les universités québécoises pour, par et avec les Premiers Peuples. Ce rapport révélait qu’au moins 13 établissements sur 19 tentaient de prendre en compte les visions, les valeurs, les besoins et les intérêts des communautés autochtones dans leur enseignement; que plus de la moitié investissaient dans un environnement culturellement sécuritaire et que des membres des Premiers Peuples siégeaient au sein de conseils d’administration et de comités consultatifs dans la moitié de ces établissements.

« Je suis fière de ce que les universités mettent en place, confie-t-elle. À l’intérieur de l’Université du Québec, par exemple, nous avons des espaces de partage sur nos pratiques, donc nous comprenons mieux ce qui fonctionne bien ou moins bien. »

Elle ajoute que les universités doivent jouer un rôle auprès des étudiants autochtones, mais aussi dans la société. « Nous formons le personnel de demain, notamment ceux qui travailleront dans les écoles, les hôpitaux ou les tribunaux, donc nous sommes bien placés pour favoriser la réconciliation et combattre le racisme systémique », croit-elle.

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