Moments forts de la vie scientifique québécoise, les congrès annuels de l’Association francophone pour le savoir (Acfas) constituent une formidable vitrine permettant de mesurer toute l’ampleur du génie humain en action. L’édition de 2008, tenue du 5 au 9 mai dernier, ne faisait pas exception à la règle.
Placé sous la thématique des 400 ans de la ville de Québec et accueilli cette année par l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), l’événement réunissait des milliers de chercheurs de tous les continents œuvrant en sciences de la vie et de la santé, en sciences physiques, mathématiques et en génie, en lettres, en arts et en sciences humaines, en sciences sociales et en éducation. Outre les centaines de conférences, ateliers et colloques, l’Association proposait cette année les Midis de l’Acfas, des activités ouvertes au grand public permettant de mettre les citoyens en contact direct avec les producteurs de savoir et, ainsi, de favoriser le dialogue entre les scientifiques et la population.
Selon la présidente de l’Acfas, Mireille Mathieu, cette initiative s’inscrit dans un contexte plus large de rajeunissement de l’Association. « Au cours des trois dernières années, nous avons insisté sur la nécessité que la société, d’une part, place la science au cœur de sa compréhension de l’univers physique et social, et que nos dirigeants, d’autre part, appuient leurs décisions sur les données scientifiques les plus probantes. » Depuis mai dernier, neuf chantiers ont été ouverts afin de revoir en profondeur la mission et les pratiques de l’Acfas ; gouvernance, adhésion, activités scientifiques, outils de diffusion, sections régionales, soutien à la relève, prix de la recherche, implication dans les politiques publiques, Fondation de l’Acfas et financement.
Parmi la multitude des rencontres proposées pendant le congrès, le colloque-atelier parrainé par la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université a su attirer beaucoup de participants. Et pour cause, les conférenciers se sont penchés sur la question suivante : « à qui appartient l’université? » Question purement théorique? Il semblerait bien que non. à une époque où le concept de gouvernance est devenu un incontournable objet de réflexion pour toutes les institutions, la question d’appartenance des établissements universitaires semble plus pertinente que jamais. Bien sûr, l’université n’a jamais été à l’abri de divers pouvoirs, qu’ils soient religieux, politiques ou économiques. En tant que lieu majeur du développement des connaissances, l’université a-t-elle été happée par les nouveaux impératifs de la mondialisation et de l’économie du savoir?
Pierre Lucier, titulaire de la Chaire Fernand-Dumont sur la culture de l’INRS s’est penché sur ces questions et offre des pistes de réflexion qui, bien qu’elles tiennent compte de la réalité actuelle, tendent à repositionner le débat autour de la mission fondamentale des universités, à savoir l’apprentissage, la formation et la production de savoir. « On doit faire émerger une vision de l’université comme bien commun échappant à toute prétention légitime de propriété et comportant dès lors des exigences en matière de responsabilité, d’autonomie et de direction, expliquet-il. Le danger, c’est que l’université est déjà engagée dans un discours en pleine mutation où de nouveaux concepts et de nouvelles valeurs, dont on ne maîtrise pas les tenants et les aboutissants, s’inscrivent comme de puissants vecteurs de changement. »
Jusqu’où nous mènera ce que l’on a qualifié de glissement du sacré vers le sacrilège, voilà la question que l’on doit se poser, selon M. Lucier. La logique du marché, le règne de l’ici et du maintenant, le désenchantement du monde à l’égard des références fondatrices sont autant d’éléments qui permettent de se poser de sérieuses questions quant à la place éventuelle de la mission universitaire. Et, comme le soulignait M. Lucier en guise de conclusion, « l’ennemi n’est peut-être pas où l’on pense communément, soit à l’externe, mais bien plutôt à l’intérieur des murs des établissements ».
De son côté, Armande Saint-Jean, professeure titulaire et directrice du Département des lettres et communications à l’Université de Sherbrooke (U de S), pose la question suivante : « à qui appartient le pouvoir dans les universités? » L’exercice de révision des statuts de l’U de S, qui se déroule depuis deux ans et auquel participe Mme Saint-Jean, a permis de révéler les principaux lieux charnières où se posent les problèmes liés à la mission fondamentale de l’université. Selon elle, la tradition de collégialité, la liberté universitaire, l’exercice du pouvoir, la délégation des responsabilités et l’engagement face au bien commun sont tous des aspects fondamentaux mis en péril par les orientations prises actuellement.
Le débat est lancé. Nul doute qu’il risque de s’amplifier dans les années à venir…