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CRC : nouvelles directives pour contrer les préjugés inconscients envers les femmes

Le programme de Chaires de recherche du Canada réagit à une étude montrant que les lettres de recommandation rédigées pour des femmes sont moins convaincantes que celles qui sont rédigées pour leurs confrères masculins.

par NATALIE SAMSON | 03 DÉC 14

Les personnes qui militent pour des pratiques équitables en matière de recrutement dans le secteur canadien de l’enseignement supérieur s’en réjouissent : le prestigieux programme de Chaires de recherche du Canada (CRC) s’est récemment doté de nouvelles directives pour contrer les préjugés inconscients à l’encontre des femmes, désormais intégrées à ses consignes touchant la rédaction de lettres de recommandation.

Selon Michèle Boutin, directrice exécutive du Secrétariat du programme des CRC, ces nouvelles directives s’inspirent de deux études, menées en 2010 et en 2003 respectivement par l’American Association of University Women, et par Frances Trix et Carolyn Psenka de l’Université étatique Wayne. D’après ces études, les lettres de recommandation écrites pour des femmes sont généralement incomplètes ou brèves, incluent des termes comme « mère » ou « épouse », comportent peu d’adjectifs élogieux (« excellent », « exceptionnel », etc.), mettent l’accent sur les qualités personnelles plutôt que sur les compétences et les réalisations, et comportent souvent des formulations négatives susceptibles de semer le doute. Tel est le cas, que le répondant soit un homme ou une femme.

« En raison de l’importance qui est accordée aux lettres de recommandation dans le cadre du processus de mises en candidature du programme des CRC (trois sont exigées), il était capital de porter ce problème à l’attention des répondants », précise Mme Boutin.

Selon les nouvelles directives, les lettres de recommandation doivent porter spécifiquement sur les exigences de la chaire à pourvoir et éviter les stéréotypes sexistes qualifiant les candidates d’aimables, de sympathiques ou de maternelles; utiliser les titres officiels et noms de famille des candidates plutôt que leurs prénoms; ne comporter ni omission ni énoncé involontaire pouvant semer le doute, être négatif ou mal expliqué (p. ex. « pourrait être un excellent chef de file » plutôt que « est un chef de file établi »).

Selon Janice Dodd, professeure de physiologie et de pathophysiologie ainsi que d’études de genre à l’Université du Manitoba, les préjugés inconscients relativement à l’expertise et aux compétences des femmes sont un obstacle courant à l’avancement professionnel des femmes en milieu universitaire, raison pour laquelle l’adoption des nouvelles directives revêt une telle importance. « Une lettre de recommandation doit faire explicitement état de l’immense potentiel de la candidate. Sans l’emploi d’adjectifs comme “excellent” ou “exceptionnel”, comment y parvenir? »

Mme Dodd a assisté par le passé à l’ajout de directives touchant la manière dont les auteurs de lettres de recommandation et les comités de sélection doivent prendre en compte les interruptions d’activités prolongées des candidates pour cause de maternité, de maladie ou autre. C’est cependant la première fois qu’elle constate l’ajout de directives de la part d’organismes subventionnaires, d’établissements de recherche ou d’établissements d’enseignement visant explicitement les préjugés inconscients.

Lynne-Marie Postovit, professeure agrégée au département d’oncologie de l’Université de l’Alberta, convient que ces directives abordent adéquatement une forme de discrimination répandue, mais selon elle « difficile à combattre » parce que généralement inconsciente. Idéalement ces directives seraient adoptées par les trois organismes subventionnaires de la recherche fédéraux.

Le Conseil de recherches en sciences humaines et le Conseil national en sciences et en génie du Canada ont confirmé conjointement qu’un groupe de travail composé de représentants des trois organismes étudie la mise en place de mesures visant à promouvoir l’équité dans tous les programmes et processus.

Les directives à l’encontre des préjugés inconscients s’inscrivent parmi une série de programmes et de processus mis en place par les CRC pour favoriser la diversité parmi les titulaires de chaires, et surtout favoriser l’accès à des groupes historiquement sous-représentés au sein des pro-gram-mes gouvernementaux : femmes, Autochtones, handicapés, minorités visibles. Depuis environ quatre ans, le programme des CRC s’emploie avec les universités à fixer des objectifs pour améliorer la représentation de certains groupes marginalisés parmi les titulaires de chaires. Ces objectifs sont réexaminés tous les trois ans.

Le programme des CRC a en outre instauré des vérifications aléatoires des mises en candidature, portant entre autres sur la manière d’annoncer des chaires à pourvoir et sur le traitement des candidatures à l’interne. Il s’est également doté d’un programme annuel de reconnaissance qui souligne les pratiques exemplaires d’une université en matière de diversité du recrutement. Une tribune est offerte à l’université choisie pour expliquer comment elle a procédé pour élargir l’accès aux chaires et les obstacles qu’elle a dû surmonter. Après avoir souligné par les années passées les initiatives de l’Université de la Colombie-Britannique et de l’Université de Victoria, le programme souligne cette année celle de l’Université Lakehead.

En revanche, quand des failles sont décelées dans le processus de mises en candidature, le programme en informe les établissements, « en espérant qu’ils y remédient », souligne Mme Boutin. Selon elle, toutes ces démarches ont généré un dialogue sur l’équité en matière de recrutement et incité les établissements à se doter de pratiques qui favorisent cette équité.

Après avoir été accusé de discrimination fondée sur le genre au début des années 2000, le programme des CRC s’est lui-même doté de telles pratiques. En 2003, un groupe de huit femmes a porté plainte pour discrimination sexuelle devant la Commission canadienne des droits de la personne. En 2006, la Commission a finalement ordonné au programme d’attribuer ses chaires dans le respect des politiques fédérales en matière de recrutement équitable et de non-discrimination. Le programme a fait l’objet de nouvelles attaques en 2008 après que le programme de Chaires d’excellence en recherche du Canada (CERC), destiné à attirer au pays les meilleurs chercheurs au monde, n’a pas réussi à nommer aucune femme parmi les 19 premiers titulaires. (Vingt-deux personnes sont aujourd’hui titulaires de CERC; la première et seule femme, Luda Diatchenko, a été nommée titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur les mécanismes de la douleur chez l’humain en 2013.)

À la suite de ces incidents, le Conseil des académies canadiennes a chargé un groupe d’experts dont faisait partie Mmes Dodd et Postovit, de rédiger un rapport sur le statut des chercheuses au Canada. Publié en 2012 sous le titre Renforcer la capacité de recherche du Canada : la dimension de genre, ce rapport souligne les nombreux problèmes auxquels les femmes se heurtent au cours de leur carrière universitaire et formule des recommandations pour remédier aux « effets cumulatifs du sexisme, des stéréotypes et des préjugés au niveau du recrutement et de l’évaluation qui peuvent mener à une sous-évaluation de l’excellence des chercheuses ».

Mmes Dodd et Postovit font preuve d’un optimisme prudent quant aux effets des changements apportés au programme de CRC, et espèrent des initiatives plus ciblées. « Le dernier cycle devait être marqué par l’attribution de CERC dans des domaines favorisant les candidatures féminines. Pourtant, une seule femme à ce jour est titulaire d’une “super chaire”. Le non-accès des femmes à ces chaires prestigieuses et importantes demeure une vive préoccupation », précise Mme Dodd.

En octobre 2014, les femmes occupaient 26,8 pour cent, soit 449, de l’ensemble des 1 667 Chaires de recherche du Canada attribuées. Elles sont plus nombreuses à occuper des chaires de niveau 2 destinées aux chercheurs émergents que des chaires de niveau 1 réservées aux chercheurs réputés, occupant en effet 315 des 856 premières, mais seulement 134 des 811 secondes.

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  1. Murielle Nagy / 4 décembre 2014 à 18:49

    Pour les chaires de recherche du Canada de niveau 2, le vrai problème est la discrimination envers les chercheurs qui ont obtenu leur doctorat il y a plus de 10 ans. Cette restriction empêche beaucoup de femmes à appliquer.

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