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Décoloniser l’Atlas climatique du Canada grâce à une approche à double perspective

Une nouvelle initiative propose des ressources et des vidéos pour aider les communautés autochtones du Canada à lutter contre les changements climatiques.

par SHARON OOSTHOEK | 04 AVRIL 22

Tout ce qu’on trouve dans un atlas – les noms de lieux, les frontières, les renseignements que l’on choisit d’inclure ou d’omettre – est une prise de position. Mais quand un atlas porte sur les changements climatiques et qu’on y ajoute du contenu autochtone, là on passe véritablement à l’action.

En partenariat avec des groupes et organismes autochtones, c’est ce qu’a fait le Centre climatique des Prairies de l’Université de Winnipeg. Ensemble, ils ont enrichi l’Atlas climatique du Canada du Centre avec des connaissances autochtones et des données.

Lancée le 16 mars dernier, la nouvelle version de l’Atlas propose des vidéos et des ressources visant à aider les communautés autochtones. On y trouve notamment des données sur les conséquences anticipées des changements climatiques sur 634 communautés des Premières Nations et 53 communautés inuites, ainsi que des stratégies d’adaptation et d’atténuation pour l’ensemble des territoires des Métis.

L’Atlas adopte une approche à double perspective, indique Hetxw’ms Gyetxw (alias Brett Huson), membre de la nation Gitxsan et attaché de recherches au Centre climatique des Prairies. « On juxtapose la sagesse autochtone et la science occidentale pour obtenir une vue d’ensemble, explique-t-il. Nous sommes encore sollicités que de manière symbolique. Cette approche est une façon pour nous d’être reconnus, de faire valoir que notre savoir et notre perspective comptent. »

L’Atlas climatique du Canada, lancé en 2018, est un site Web interactif proposant des vidéos, des cartes et des explications vulgarisées sur les conséquences des changements climatiques un peu partout au pays. Ses cartes montrent des données hypothétiques, selon une augmentation des gaz à effet de serre plus ou moins élevée, pour des milliers de villages, de villes et de régions. Maintenant, ces données sont aussi disponibles pour des collectivités et territoires autochtones.


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Des attaques personnelles

À en juger d’après les commentaires qu’a reçus Hetxw’ms Gyetxw depuis la refonte de l’Atlas, le projet ne fait pas l’unanimité. Il explique que les critiques touchent moins le contenu ou la science que sa personne.

« Les gens m’envoient des messages privés et m’attaquent car je suis Autochtone, explique-t-il. Je ne voulais pas en parler, mais c’est devenu très lourd mentalement. Et je ne suis pas le seul à qui ça arrive. Tous les Autochtones subissent ce type d’attaques personnelles. »

Selon Ian Mauro, directeur général du Centre climatique des Prairies, les messages que reçoit Hetxw’ms Gyetxw sont le symptôme d’un profond malaise. « Bien des gens ne veulent pas voir cette carte du Canada, car elle redonne un certain contrôle aux communautés, croit M. Mauro, qui est allochtone. Les problèmes sont mis au grand jour, soumettant des acteurs comme les organismes de financement et les responsables des programmes gouvernementaux à une certaine imputabilité. »

Bien que l’équipe du Centre demeure fière de la première version de l’Atlas, elle a toujours su qu’il devait intégrer le savoir autochtone. « On a créé le Canada en effaçant les peuples autochtones, ajoute M. Mauro. L’Atlas fait partie du processus de décolonisation. »

L’Atlas a mis 20 ans à voir le jour, mais l’équipe du Centre a dû prendre quatre ans de plus pour en arriver à cette version : quatre ans de collaboration étroite avec les communautés autochtones, qui sont propriétaires du contenu et ont autorisé son utilisation. Pour y arriver, l’approche à double perspective et la confiance étaient de mise, soutient M. Mauro.

« Impossible de développer un tel outil sans avoir une confiance absolue les uns envers les autres. On parle souvent des universités qui travaillent de manière réciproque et respectueuse avec les communautés, mais de voir cette collaboration en pratique et de constater les avantages pour les communautés et la fierté des chercheurs, ça remplit d’humilité l’universitaire blanc formé à l’occidentale que je suis. »




« Nous ne sommes pas que des victimes »

La militante écologiste inuite et candidate au prix Nobel de la paix Siila Watt-Cloutier a assisté au dévoilement de l’Atlas, tenu à l’Université de Winnipeg à la mi-mars. Elle a salué l’initiative, qui selon elle renforce grandement le pouvoir des communautés autochtones.

« Nous ne sommes pas que des victimes des changements climatiques : nous pouvons être des vecteurs de collaboration pour combattre ce fléau. Ce projet m’enthousiasme beaucoup, se réjouit-elle. Le monde ignore l’étendue et l’ingéniosité du savoir autochtone et gagnerait à s’en servir. »

Par exemple, dans la section de l’Atlas sur les Inuits, Mme Watt-Cloutier explique la signification du mot « sila » et l’importance qu’il revêt dans la vision de l’environnement chez ce peuple. Dans la section sur les Métis, des pompiers en milieu sauvage décrivent des méthodes traditionnelles de gestion des incendies.

Enfin, dans la section sur les Premières Nations, une page est consacrée à l’initiative Onjisay Aki sur les changements climatiques. Dirigé par feu Dave Courchene, gardien du savoir anichinabé, le Sommet international Onjisay Aki sur le climat a réuni en 2017 des gardiens du savoir de 14 nations ainsi que des leaders de mouvements sociaux et environnementaux du monde entier pour quatre jours de cérémonies et de discussions. Les conclusions du Sommet – publiées l’an dernier dans la revue scientifique Climatic Change – portent sur les valeurs derrière nos comportements et notre mode de vie, qui dépendent de l’extraction et de l’exploitation, lesquels sont de grands responsables des changements climatiques.

« L’article a été évalué par les pairs plusieurs fois, précise M. Mauro. Les gens ne savaient pas quoi en faire. En bref, il démontre que les changements climatiques sont un symptôme dont la cause est la condition humaine et l’instinct colonial qui se manifeste par la cupidité et le désir de contrôler et d’accaparer plus que ce dont on a besoin. Comme l’a dit l’aîné Courchene, “pour véritablement lutter contre les changements climatiques, il faut changer le cœur de l’être humain”. »

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