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Des changements attendus dans les hautes strates du milieu universitaire

Un rapport de Statistique Canada identifie des fossés de génération, de genre et de diversité au sein du corps professoral.

par SHAUNA MCGINN | 18 AVRIL 23

Offrant un aperçu des défis de recrutement à venir dans le milieu universitaire, un récent rapport de Statistique Canada sur le personnel enseignant fait état d’un corps professoral vieillissant et d’une surreprésentation des hommes aux plus hauts échelons.

En partie attribuable à la pandémie, la pénurie de main-d’oeuvre qui frappe bien des secteurs ne fera qu’empirer avec les départs à la retraite imminents des baby-boomers (et d’une partie de la génération X). Le milieu universitaire ne fait pas exception : à l’heure actuelle, plus de 20 % des personnes en âge de travailler au Canada ont entre 55 et 64 ans. Chez les professeur.e.s d’université, cette proportion est de 27 %. Et bien que la retraite ne soit généralement pas obligatoire pour ces personnes – environ 11 % d’entre elles continuent de travailler passé leurs 65 ans –, bon nombre d’entre elles partent à la retraite plus ou moins à cet âge.

Howard Ramos, professeur de sociologie à l’Université Western, tire du rapport la conclusion que les professeur.e.s de la génération X (qui ont actuellement entre 43 et 58 ans) seront surchargé.e.s pendant un certain temps, ce qui pourrait forcer leurs pairs millénariaux à prendre plus de responsabilités plus tôt dans leur carrière comparativement à leurs collègues des générations précédentes.

Il pourrait en découler de l’épuisement professionnel chez les deux groupes, craint M. Ramos, qui était membre du panel d’experts de l’Enquête sur la population active du gouvernement fédéral. « Les universitaires qui continuent d’évoluer dans ce système ont rarement reçu du mentorat ou du soutien de grande qualité et sont donc peu outillé.e.s pour donner au suivant. » En outre, bon nombre de ces professeur.e.s, et surtout les femmes, sont pris.e.s dans ce qu’il appelle « l’étau de la vie », c’est-à-dire devoir prendre soin à la fois d’enfants à charge et de parents âgé.e.s.

Moins de professeures titulaires

La représentation des femmes en milieu universitaire a plus que triplé entre 1971 et 2022, passant de 12,7 % à 42,1 %. Or, ces gains ne sont pas répartis également : les femmes ne constituent que 31 % des professeur.e.s titulaires, alors que pour les professeur.e.s agrégé.e.s et les professeur.e.s adjoint.e.s, la proportion est respectivement de 44 % et de 51 %. Dans plusieurs universités, on offre aux professeur.e.s titulaires de meilleurs salaires ainsi qu’un plus grand accès aux activités de recherche et au financement. Ces personnes ont également plus de chances de se voir donner un poste prestigieux comme celui de professeur.e émérite ou de doyen.ne de leur département.

Les raisons pour lesquelles les femmes n’arrivent pas à gravir les échelons sont multiples, explique Bessma Momani, professeure de sciences politiques à l’Université de Waterloo et autrice de recherches sur l’équité salariale dans le milieu universitaire. « Certaines personnes avancent que les femmes se soucient moins de ce type de prestige. Mais lorsqu’elles veulent devenir titulaires, elles héritent d’une kyrielle de nouvelles obligations qui leur grugent du temps et les éloignent de leurs travaux de recherche. »

La misogynie et le racisme ne font qu’exacerber le problème, surtout pour les femmes en science, en technologie, en ingénierie et en mathématiques, ainsi que pour les femmes de couleur, peu importe la discipline. « Toute la structure, du processus de promotion à l’attribution de prix, est encore sous le joug d’une vision androcentrique », ajoute la professeure. Elle note également que la culture de publication à tout prix mine, par sa nature hautement compétitive, la camaraderie recherchée comme forme de soutien par bien des femmes.

Qui plus est, la plupart des postes exigent maintenant un doctorat, lequel est généralement préparé pendant une période où certaines femmes songent à fonder une famille. Enfin, Mme Momani évoque le manque de mentorat, qui a un effet domino : « Pas de représentation, pas de modèles à suivre. »

Combler l’écart

Le rapport de Statistique Canada révèle également qu’il y a un fossé générationnel au sein du corps professoral, fossé que M. Ramos explique par l’embauche par cohortes : un grand nombre de baby-boomers sont devenu.e.s professeur.e.s dans la même période, bloquant l’accès aux générations suivantes. En 1971, plus de 13 % des professeur.e.s avaient moins de 30 ans; aujourd’hui, la proportion est de moins de 1 %. On observe une tendance similaire chez les moins de 40 ans : 57 % en 1971, 14 % en 2022.

Comment les universités combleront-elles cet écart? Depuis quelques années, on parle beaucoup du marché qui est inondé de titulaires de doctorat qui se disputent un nombre de postes limité. La solution semble donc aller de soi. Or, prévient M. Ramos, il faut aussi tenir compte des données qui ne sont pas incluses dans le rapport et qui permettraient de brosser un portrait plus complet de la situation, à savoir le nombre de professeur.e.s adjoint.e.s, contractuel.le.s et externes, que les universités embauchent de plus en plus, car ce personnel coûte moins cher que celui occupant des postes menant à la permanence (selon de récentes études, dans la plupart des universités, les postes d’enseignement sont surtout contractuels).

Compte tenu de la présence importante de ces enseignant.e.s, il faut se demander si les universités prévoient les élever au rang de professeur. e.s et leur faire grimper les échelons, ajoute M. Ramos. « Pour moi, la plus grande inégalité se situe sur le plan de l’accès à la permanence. »

Les statistiques sur la présence des femmes au sein du professorat sont bien sûr importantes, mais la nécessité de recueillir des données sur le statut de carrière et la représentation des trois autres groupes visés par l’équité en matière d’emploi désignés par le gouvernement fédéral : les personnes autochtones, les personnes appartenant à une minorité visible et les personnes ayant un handicap se fait aussi sentir. M. Ramos déplore qu’en plus de l’accès à la permanence, le manque de données est « l’une des plus grandes contraintes structurelles qui nuisent à l’équité, à la diversité et à l’inclusion (EDI) ».

François Gélineau, professeur à l’Université Laval, indique que la collecte de renseignements aux fins d’initiatives d’EDI est difficile, car elle dépend beaucoup de l’auto-identification des membres du personnel à un groupe digne d’équité. Les lois sur la protection de la vie privée varient d’une province et d’un territoire à l’autre, mais de manière générale, elles ne permettent pas aux universités d’obliger leurs professeur.e.s à révéler des détails comme leur origine culturelle ou leur orientation sexuelle. « Je peux vous dire quelle est la proportion d’étudiant.e.s québécois.e.s et de l’étranger [à l’Université Laval], mais cela nous en dit somme toute peu sur la diversité », admet M. Gélineau.

Cela ne signifie toutefois pas que les initiatives d’EDI doivent être mises de côté. En vertu de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics du Québec, l’Université Laval doit savoir combien de ses professeur.e.s font partie des groupes visés par la loi, c’est-à-dire les personnes autochtones, les personnes appartenant à une minorité visible et celles dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais.

Mais idéalement, dit M. Gélineau, les efforts en matière d’EDI devraient commencer bien avant qu’une personne débute sa carrière. « Nous embauchons les professeur.e.s, certes, mais nous sommes à la fin du continuum : les inégalités surgissent tôt dans la vie d’une personne, parfois avant même qu’elle commence l’école. Dans notre position, nous ne pouvons pas tout corriger; l’effort doit être mené par l’ensemble de la société. »

COMMENTAIRES
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  1. Éric GEORGE / 24 avril 2023 à 15:14

    Bonjour Chères et Chers Collègues,

    Toutes ces informations et l’analyse qui en résultent sont fort intéressantes mais en mettant systématiquement l’accent sur les inégalités de genre et de race, on en oublie complètement les rapports de classe.Combien d’entre nous, professeur.e.s sont issus du milieu ouvrier par exemple ?

    Merci.
    Bien cordialement
    Éric GEORGE, professeur titulaire, École des médias, Faculté de communication, UQAM

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