Diederik Stapel, Eric Poehlman, Woo-Suk Hwang, Yoshitaka Fujii … Ces individus ont marqué l’histoire en fraudant le système scientifique. Ils ont dilapidé des fonds publics, risqué la vie de patients et trompé la confiance de la population.
Ils ont aussi laissé derrière eux des dizaines de chercheurs qui ont involontairement collaboré à leur supercherie. Que devient la carrière des scientifiques qui ont co-signé des articles rétractés pour cause d’inconduite? C’est la question qui taraude Vincent Larivière, professeur adjoint à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, et Philippe Mongeon, étudiant à la maîtrise.
MM. Larivière et Mongeon ont étudié le cheminement professionnel de plus de 1 700 chercheurs en biomédecine et en médecine clinique dont les noms ont été associés à des articles qui ont été rétractés entre 1996 et 2006, mais qui n’ont pas été accusés de comportements répréhensibles. Les publications avaient fait l’objet de fabrication de données, de falsification de données ou de plagiat. Ils ont présenté leurs résultats à la 3e Conférence mondiale sur l’intégrité dans la recherche qui a eu lieu à Montréal en mai dernier.
Au cours des cinq années suivant la rétractation d’articles frauduleux, le quart de ce groupe a cessé de diffuser ses résultats dans les revues scientifiques. Les autres ne sont pas en reste : leurs travaux sont beaucoup moins publiés et cités. Cette tendance est criante chez les auteurs qui avaient peu d’articles à leur actif dans les cinq années précédant le retrait de l’article délictueux. « La rétractation d’une publication pourrait avoir un effet décisif sur le désir ou l’habileté de ces individus à poursuivre une carrière scientifique », affirme le professeur Larivière.
Le sujet est préoccupant, selon M. Mongeon : « De récentes études ont démontré que les rétractations grimpent en flèche et que plus de la moitié d’entre elles seraient attribuables à des agissements frauduleux. En parallèle, on remarque que le nombre moyen d’auteurs par article augmente. Le nombre de chercheurs pouvant être touchés par des rétractations est donc en hausse. »
Une recherche désavouée est une tache à la réputation d’un scientifique. La question, manifestement, ne plaît guère. Un seul chercheur, sous couvert de l’anonymat, a accepté de témoigner dans le cadre du présent reportage. Cet homme, qui enseigne dans une université canadienne, a signé un article avec Eric Poehlman, reconnu pour ses travaux dans le domaine de l’obésité, qui a fabriqué et falsifié des données pendant plus de dix ans, alors qu’il travaillait pour l’Université du Vermont. Il a été à l’emploi de l’Université de Montréal de 2001 à 2005, mais n’y aurait pas commis de fraude. Son ex-collaborateur a été innocenté et sa carrière n’a jamais pâti de cette mésaventure qui a toutefois laissé des traces.
« Ça a été une trahison épouvantable, raconte-t-il. Depuis, je suis devenu un peu paranoïaque à l’égard de l’intégrité de mon équipe. Une rétractation, peu importe sa cause, est embarrassante pour un scientifique. Notre réputation est tellement précieuse. C’est pourquoi les autorités doivent tout faire pour identifier le fraudeur, mais aussi pour blanchir les individus qui n’ont rien à se reprocher. »
Selon le Cadre de référence des trois organismes sur la conduite responsable de la recherche, il revient aux établissements de déployer « tous les efforts requis pour protéger ou rétablir la réputation des personnes visées par une fausse allégation ».
Susan Zimmerman, directrice exécutive du Secrétariat sur la conduite responsable de la recherche (SCRR), chargée d’examiner les allégations de violation des politiques des trois organismes subventionnaires en matière d’intégrité, indique, « Pour notre part, nous protégeons les collaborateurs non-coupables de deux façons : nous préservons leur anonymat et soulignons leur innocence lorsqu’elle est prouvée. De plus, ils demeureront admissibles à des subventions. »
Sur le terrain, les choses ne semblent pas aussi simples. « Les collaborateurs innocents sont laissés à eux-mêmes, et doivent gérer leurs relations avec la revue concernée, leurs collègues et l’administration de leur université. Il n’y pas d’instance pour les accompagner dans ce dédale », remarque M. Mongeon.
« La fraude demeurant rare au Canada, estime M. Larivière, on juge sans doute inutile de mettre en place une telle structure. »
En effet, le SCRR a adopté une démarche visant davantage la valorisation des bonnes pratiques, où l’éducation joue un rôle central. « L’intégrité en recherche est une responsabilité partagée, insiste Mme Zimmerman. De notre côté, nous créons des outils pour bien expliquer notre Cadre de référence. Les établissements, quant à eux, doivent voir à ce que leurs chercheurs connaissent leurs responsabilités et ces derniers doivent être vigilants par rapport au travail de leurs collègues. »
L’ancien collaborateur du Dr Poehlman en est bien conscient, lui qui a mis en place plusieurs mécanismes au sein de son laboratoire pour éviter qu’une fraude ne s’y produise. « Nos données sont toujours vérifiées par plusieurs personnes, indique-t-il. Je tente aussi d’inculquer l’humilité et la rigueur aux membres de mon équipe. Je leur répète qu’il n’est pas nécessaire d’être le premier à annoncer une découverte. Il vaut mieux faire son travail avec minutie, quitte à arriver bon deuxième. »