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Actualités

Des étudiants réclament une réflexion autour du corédaction scientifique

Plusieurs estiment que leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur par les professeurs.

par MARIE LAMBERT-CHAN | 16 OCT 13

Isabelle, une doctorante en sociologie, est coincée dans une situation délicate : elle sera première auteure d’un article scientifique… qui a été remanié de façon négligente par un professeur. « L’article est tellement mauvais, déplore l’étudiante qui tient à taire son identité. Je ne peux pas publier ça. »

Comme une vingtaine d’autres étudiants, Isabelle fait part de sa mésaventure lors d’un atelier sur la reconnaissance des étudiants-chercheurs qui a eu lieu pendant la Journée de la relève en recherche à Montréal en septembre dernier. L’activité était une initiative de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), un organisme à but non lucratif contribuant à l’avancement des sciences au Québec et dans la Francophonie canadienne.

L’atelier devait couvrir différents aspects de la valorisation du travail d’étudiant-chercheur, mais rapidement, un thème s’est imposé : les pratiques de signature d’articles scientifiques. Chaque étudiant avait son histoire. L’un avait été relégué au rang de troisième auteur malgré une contribution qu’il estimait colossale. Un autre a affirmé qu’il était courant dans son département que des noms de professeurs soient ajoutés sur des articles auxquels ils n’ont pas participé.

« Les pratiques de co-rédaction entraînent beaucoup de problèmes, mais personne n’ose en parler parce que tout le monde en est dépendant. C’est l’éléphant dans la pièce », observe Vincent Larivière, professeur à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, qui animait l’atelier.

L’autorat est la pierre angulaire de l’avancement de la carrière d’un chercheur. Plus il accumule des articles à titre de premier auteur, plus il a de chances d’obtenir des subventions, un poste de professeur, une chaire, etc… « C’est une monnaie d’échange », résume M. Larivière.

Dans ce système, les étudiants affirment avoir bien du mal à faire grimper la valeur de leur devise en raison de leur statut dans la hiérarchie universitaire. « Il existe une relation de pouvoir entre le professeur et l’étudiant, constate Isabelle. Dans ce contexte, il n’est pas évident de revendiquer notre juste part. »

Max Roy, président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, n’est pas de cet avis. « Les cas de plaintes pour les signatures d’article sont très rares, affirme-t-il. Peut-être y a-t-il des malentendus parfois, car la paternité d’une idée en recherche est souvent difficile à attribuer. »

Absence de consensus

Au terme de la Journée de la relève en recherche, les étudiants ont proposé des pistes de solution : documenter les pratiques exemplaires de corédaction; faciliter la discussion entre professeur et étudiant sur les publications, le financement et l’assistanat; obtenir davantage de renseignements sur les mécanismes de la publication savante; être mieux guidé dans la rédaction de leurs premiers articles.

Ces idées verront-elles le jour? Si le passé est garant de l’avenir, rien n’est moins sûr. En effet, chaque discipline, chaque université, voire chaque groupe de recherche procède différemment. Les articles en sciences biomédicales affichent en moyenne le plus grand nombre d’auteurs, alors qu’en administration, on en retrouve généralement deux. Certains directeurs de laboratoire inscrivent toujours leur nom en premier dans la signature. D’autres le mettent systématiquement en dernier.

Résultat : l’insatisfaction est répandue. « Même entre professeurs, il y a un malaise », indique Marc Couture, co-auteur du livre Propriété intellectuelle et université et professeur à la TÉLUQ, la seule université à distance au Québec.

Au cœur du problème se situe la définition de la contribution significative. « Au sens de la loi, pour qu’il y ait contribution substantielle, l’auteur doit participer à la rédaction du texte, rappelle M. Couture. Mais dans le monde scientifique, on reconnaît comme co-auteurs des professeurs qui ont aidé au financement du projet de recherche, des étudiants qui ont fait des analyses statistiques, des chercheurs qui ont donné des idées. Sans leur apport, l’article n’existerait sans doute pas. »

Transparence et dialogue

Pour faire entendre leur voix, les étudiants peuvent faire appel à leur association. Ils peuvent aussi améliorer leurs connaissances sur la propriété intellectuelle et les politiques d’intégrité et d’éthique en recherche de leur université, explique M. Couture. « Cela leur fournirait des arguments plus solides pour discuter avec le responsable de la recherche.»

Les professeurs ont également leur part de responsabilité, signale M. Larivière. « Ils doivent faire preuve de plus transparence par rapport à leur pratique de signature. L’étudiant est en droit de savoir ce qu’il doit faire pour être premier auteur. »

Des étudiants osent même négocier avant d’accepter un contrat de recherche. « Si j’estime que mon travail sera suffisamment important pour qu’on me désigne premier auteur, je le dis à l’avance, déclare un étudiant à la maîtrise en travail social. Des professeurs trouvent ça surprenant, mais les échanges demeurent respectueux. Jusqu’à présent, ma méthode me sert bien. »

Pour Isabelle, le simple fait de parler publiquement de cet enjeu est un pas dans la bonne direction. « On doit passer le mot, affirme-t-elle. Trop d’étudiants ne sont pas entendus. Certains en viennent même à ne plus vouloir collaborer avec des professeurs qui sont reconnus pour empiéter sur le travail de leurs étudiants. C’est malsain. »

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  1. Sonia Morin / 16 octobre 2013 à 14:27

    La question de la signature conjointe de communications scientifiques est effectivement importante dans le développement d’un « capital scientifique » chez les étudiants en recherche. C’est pourquoi l’Université de Sherbrooke lui a consacré un chapitre complet, le quatrième, dans sa Politique sur la protection de la propriété intellectuelle des étudiantes et étudiants et des stagiaires postdoctoraux. Cette politique a été adoptée en 2001, soit il y a 12 ans, et la question demeure toujours aussi actuelle.

  2. Marie-Thérèse Duquette / 24 octobre 2013 à 07:38

    Cette situation est très préoccupante sous plusieurs points.

    – Le processus d’évaluation par les pairs pour l’obtention de bourses ou de subvention prend en considération le fait qu’une candidate ou un candidat soit premier auteur ou non. Or les pratiques sont tellement variables selon les domaines que cet indicateur d’évaluation est de plus en plus questionnable.

    – Parlant de pratiques différenciées, dans certains domaines le premier auteur est inscrit à la fin de la liste des auteurs, dans d’autres au début, dans d’autres les auteurs sont par ordre alphabétique en indiquant en gras le premier auteur, dans d’autres… il n’y a pas de premier auteur mentionné. Une pratique commune est-elle envisageable ? Qui peut prendre la responsabilité de cette uniformisation dans le respect des véritables auteurs de l’article ?

    – Dans un article, qui est le véritable auteur ? La propriété intellectuelle d’un article appartient-elle vraiment à celui qui a soumis une demande de subvention par laquelle un étudiant a pu obtenir un complément de bourse et utiliser les données de la recherche pour faire son article ? La référence en bas de page de la source des données ne respecterait-elle pas plus fondamentalement l’éthique dans un tel cas ? Quand une intervention dans un processus de recherche «mérite»-t-elle une mention comme auteur d’un article ? Autant de questions dont les réponses ne sont pas claires.

    – Dans un contexte de libre accès aux résultats de recherche, auquel personne n’échappera dans un avenir rapproché, pourra-t-on encore longtemps faire l’économie de cette harmonisation et d’une réponse éthique à ces questions pour permettre aux utilisateurs non spécialistes de s’y retrouver ?

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