Lorsque les grandes organisations et les particuliers investissent dans les sociétés pétrolières, gazières ou charbonnières, ils favorisent notre dépendance collective aux combustibles fossiles nuisant ainsi aux possibilités de se tourner vers les énergies vertes. Telle est la théorie derrière l’appel des étudiants canadiens au désinvestissement, un mouvement relativement récent, mais en croissance rapide.
« C’est une excellente façon de signaler clairement que nous ne souhaitons plus encourager l’utilisation des combustibles fossiles. Nous voulons une économie différente », soutient Kelsey Mech, récemment diplômée en études environnementales de l’Université de Victoria, pour expliquer l’intérêt des étudiants envers le projet. Mme Mech est aujourd’hui directrice générale de la Coalition canadienne des jeunes pour le climat, qui mène le mouvement étudiant à l’échelle nationale.
L’idée d’influer sur les décisions politiques en se dessaisissant de ses avoirs dans des entreprises n’est pas nouvelle : cette stratégie est largement considérée comme l’un des mécanismes ayant mis fin à l’apartheid en Afrique du Sud. En outre, certaines universités canadiennes n’investissent plus dans les sociétés productrices de tabac, en partie à cause de la pression exercée par les étudiants.
Le présent mouvement de désinvestissement est né au Canada il y a près de deux ans, après la conférence que Bill McKibben, environnementaliste américain de renom, a prononcée à ce sujet à Ottawa. Il a donné l’idée à des étudiants de l’Université McGill de lancer une pétition pour pousser l’établissement à transférer la part de son fonds de dotation de près d’un milliard de dollars qui est investie dans les combustibles fossiles. Puis, en janvier 2013, la Coalition canadienne des jeunes pour le climat a lancé sa campagne Fossil Free Canada, qui appelle les particuliers et les établissements au désinvestissement.
Aujourd’hui, les groupes militant pour le désinvestissement sont actifs dans 40 universités au Canada et environ 300 en Amérique du Nord. Le mouvement est né aux États-Unis, où 11 collèges et universités ont annoncé des plans de désinvestissement, et se propage en Europe. Partout dans le monde, des villes, des institutions religieuses et des banques parlent désormais de désinvestissement.
Les campagnes étudiantes canadiennes se fondent sur diverses méthodes. Les responsables de Divest McGill ont présenté une pétition comptant 1 500 signatures au Comité consultatif chargé des questions de responsabilité sociale du conseil d’administration – un comité mis en place pour traiter les demandes de désinvestissement pendant l’apartheid. En mai 2013, le comité a rejeté la pétition, arguant qu’il n’était pas prouvé que l’investissement dans le secteur des combustibles fossiles nuisait à la société, et que les pertes financières potentielles l’emportaient sur les autres préoccupations. Depuis, le conseil d’administration a toutefois adopté comme critère de désinvestissement la « dégradation importante de l’environnement ».
À l’Université de la Colombie-Britannique, en janvier dernier, 76 pour cent des étudiants ont voté pour que l’établissement se dessaisisse de ses avoirs dans le secteur des combustibles fossiles. À l’Université de Toronto, les organisateurs étudiants du groupe militant Toronto350 ont obtenu l’appui de célébrités comme l’environnementaliste David Suzuki, en plus d’être soutenus par l’association des professeurs. L’Université a décidé de former un comité spécial sur le désinvestissement.
À l’Université de Victoria, des professeurs qui traitent des changements climatiques dans leurs cours se sont joints au mouvement étudiant. « Il est problématique que notre propre organisation finance ce contre quoi nous luttons », affirme James Rowe, professeur adjoint à la faculté d’études environnementales.
En avril, M. Rowe et cinq autres professeurs ont rédigé une lettre ouverte qu’ils ont adressée à l’Université, accompagnée de 200 signatures. À présent, 10 professeurs de divers départements travaillent de concert. La motion qu’ils ont déposée à l’association des professeurs, appelant au dessaisissement des actions du secteur des combustibles fossiles détenues par leur fonds de retraite, a reçu l’appui de 66 pour cent des membres. La décision revient toutefois aux administrateurs du fonds, qui doivent respecter les principes de saine gestion financière et des règles légales très strictes. « Si nous parvenons à prouver qu’il y a un risque financier, cependant, ils sont obligés d’agir », ajoute M. Rowe.
Selon Cameron Fenton, du groupe environnementaliste 350.org, les établissements canadiens tendent à investir massivement dans le secteur des combustibles fossiles. « Le désinvestissement semble donc difficile. »
Les étudiants parlent à présent d’accentuer la pression et de multiplier les manifestations. À l’Université McGill, les organisateurs veulent mobiliser davantage d’étudiants et organiser de grands rassemblements sur le campus. Le groupe Divest McGill souhaite soumettre sa pétition de nouveau cet automne, consolider l’appui des professeurs et discuter avec chacun des membres du conseil d’administration. Leur rencontre avec la principale de l’Université, en mai, a toutefois mal tourné, Suzanne Fortier se disant ouvertement en désaccord avec l’idée.
La porte-parole Amina Moustaqim-Barrette précise que les étudiants ne baissent pas les bras. « Nous croyons que le désinvestissement est l’une des meilleures tactiques pour provoquer un changement social à grande échelle dans les délais qui s’imposent. »