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Doctorat : en dehors de l’université, point de salut?

Des universitaires de tous les horizons s’intéressent aux dynamiques des trajectoires de carrière des titulaires de doctorat d’aujourd’hui et de demain.

par MAXIME BILODEAU | 24 MAI 23

Toujours autant d’appelé.e.s, encore aussi peu d’élu.e.s. Voilà un des principaux constats qui ressort d’un récent colloque scientifique sur la situation du doctorat au Québec, au Canada et dans la Francophonie. Intitulé L’avenir du doctorat, l’importance des trajectoires, l’événement a eu lieu dans le cadre du 90e Congrès de l’Acfas, qui s’est tenu du 8 au 12 mai dernier à l’Université de Montréal, HEC Montréal et Polytechnique Montréal.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En Europe, il faut attendre de six à 10 ans après l’obtention du titre de docteur.e avant d’obtenir un poste de professeur.e à temps plein, souligne Isabelle Skakni, responsable de l’unité Relève et carrières académiques à la Haute École spécialisée de Suisse occidentale. Au moment d’entamer leurs études, deux doctorant.e.s canadien.ne.s sur trois souhaitent accéder à ce Saint-Graal, selon un rapport du Conference Board du Canada. Néanmoins, un.e titulaire de doctorat sur cinq finit par occuper un tel emploi.

« Sortir de la sphère universitaire après le doctorat est souvent considéré comme un échec, surtout dans les sciences sociales et humaines », constate Mme Skakni en s’appuyant sur les résultats de deux études réalisées auprès de titulaires de doctorat travaillant hors des universités au Royaume-Uni et en Suisse ainsi qu’auprès des organisations qui les embauchent. « Ce sont surtout les doctorant.e.s suivant un parcours linéaire qui se sentent peu préparé.e.s à faire ce saut. »

S’entêter à décrocher une permanence ne se fait pas sans heurts. Sur le Vieux Continent, où le taux de mobilité géographique dans le système universitaire est parmi les plus élevés, les jeunes titulaires de doctorat s’engagent dans un véritable chemin de croix. « L’internationalisation des trajectoires [faire un postdoctorat, partir à l’étranger] se traduit par de l’isolement et de la précarisation, affirme Marie Sautier, chercheuse affiliée à l’Université de Lausanne. On peut parler d’une classe de travailleurs et travailleuses géoprécaires. »

Pas que du négatif

Le doctorat a pourtant une grande valeur à l’extérieur des murs de l’université. C’est ce que révèle une vaste enquête sur les compétences et parcours professionnels des doctorant.e.s canadien.ne.s menée par la firme spécialisée Adoc Talent Management. L’étude réalisée auprès de 1 084 personnes, dont 451 doctorant.e.s et 653 titulaires de doctorat, révèle que 38 % des personnes sondées occupent des fonctions hors recherche et que la stabilisation de carrière, soit l’acquisition d’un emploi permanent, prend environ six ans.

Mieux encore : selon les 155 organisations qui ont répondu au sondage en ligne, leurs prestations sont particulièrement prisées au sein des entreprises qui les emploient! De quoi battre en brèche l’idée de l’employé.e incapable de s’adapter aux réalités du secteur privé, car formaté.e pour le domaine universitaire. « Les employeurs sont plus à même de recruter d’autres titulaires de doctorat quand leur organisation en compte déjà », rapporte Matthieu Lafon, fondateur d’Adoc Talent Management.

Docteur.e.s et dirigeant.e.s ne valorisent toutefois pas les mêmes compétences. À preuve : les titulaires de doctorat placent des compétences comme l’expertise scientifique ou la capacité d’analyse bien avant d’autres, plus générales comme la patience ou la persévérance, pourtant davantage appréciées par le second groupe. « Les catégories de compétences où ces écarts sont les plus marqués sont les comportements, les aptitudes et qualités et les compétences transférables et formalisables », lit-on dans le rapport disponible en ligne.

S’il y a encore du travail à faire afin de faciliter la compréhension mutuelle et aplanir les divergences, « encore faut-il que les titulaires de doctorat prennent connaissance de leurs forces », estime M. Lafon. Plus facile à dire qu’à faire, rappelle Mme Skakni. « La sortie du milieu universitaire prend l’ampleur d’un choc culturel, voire d’un deuil identitaire pour plusieurs. Tes publications scientifiques, tout le monde s’en fiche en dehors. »

Au cours de leur parcours, les aspirant.e.s au titre de docteur.e acquièrent et intériorisent les normes, valeurs et rôles du métier de chercheur et chercheuse. Il existe pourtant d’autres modèles, fait valoir Catherine Déri, postdoctorante à l’Université du Québec en Outaouais, qui a consacré sa thèse à ce sujet. « Parmi les projets professionnels [mentionnés par les participantes à son étude], il y avait ceux d’enseignante au cégep, de chercheuse au gouvernement et de travailleuse autonome », énumère-t-elle.

Mieux outiller

La perception des compétences est justement le prochain chantier auquel compte s’attaquer Adoc Talent Management. Dans le cadre du projet PhDEXP, le cabinet en ressources humaines compte en effet suivre pendant trois ans 1 000 doctorant.e.s afin de répertorier leur perception des compétences scientifiques et des compétences transférables ainsi que les facteurs qui influencent cette perception. Le but : mieux comprendre les conséquences professionnelles de cette perception pendant et après le doctorat.

En attendant, les universités prennent à bras-le-corps l’enjeu de la difficile insertion professionnelle, mais aussi sociale des doctorant.e.s. Polytechnique Montréal offre par exemple un atelier nommé Concevoir son projet professionnel, au cours duquel les étudiant.e.s aux cycles supérieurs sont invité.e.s à réfléchir à la suite à donner à leur carrière. Une réflexion qui, selon les responsables de ce cours d’un crédit, est trop souvent repoussée à la toute fin des études,

Ce désir de mieux outiller les docteur.e.s de demain ne dispense toutefois pas de mener une réflexion de fond sur la manière dont est traitée cette main-d’œuvre. Cette dernière est après tout responsable d’environ le tiers des publications signées par des scientifiques québécois.es, pouvait-on lire dans une étude de 2011. « La désacralisation de la carrière universitaire passe, je pense, par un changement de culture institutionnelle », conclut Mme Skakni.

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